- Internet par satellite : le danger de l’appropriation de l’espace par Elon Musk
- Des experts et des concurrents d’ Elon Musk s’inquiètent de la position de plus de plus dominante prise par Space X dans le projet d’Internet par satellite. Un danger qui pourrait se traduire par une appropriation de l’espace.
- (Article du Wall Street Journal).
- Le programme Starlink, géré par Space Exploration Technologies Corp. ou SpaceX, la société de M. Musk, a été autorisé à envoyer environ 12 000 satellites en orbite pour fournir une connexion Internet ultrarapide aux quatre coins de la planète. Dans ce cadre, une demande d’autorisation pour en déployer 30 000 autres a également été transmise.
- Aujourd’hui, des entreprises concurrentes comme Viasat, OneWeb Global, Hughes Network Systems et Boeing dénoncent la stratégie spatiale de Starlink devant les autorités réglementaires américaines et européennes. Certains reprochent, par exemple, aux satellites de M. Musk de bloquer les signaux de leurs propres appareils et de faire peser une menace physique sur leurs équipements spatiaux.
- Le projet de M. Musk n’en est encore qu’au stade des tests bêta, mais il a déjà bouleversé le secteur et a même incité l’Union européenne à développer un projet concurrent d’Internet via satellite qui sera dévoilé d’ici à la fin de l’année.
- Le principal argument des détracteurs du milliardaire est que le principe « lancer d’abord, améliorer ensuite » de M. Musk — sur lequel il s’est appuyé pour faire de sa société de voitures électriques Tesla un pionnier en la matière — fait primer la rapidité sur la qualité en saturant l’orbite terrestre déjà encombrée de satellites pouvant nécessiter des corrections après leur lancement.
- « SpaceX agit comme un cow-boy dans l’espace », estime Chris McLaughlin, responsable des relations avec les autorités publiques pour son rival OneWeb. « Chacun de nos satellites est semblable à une Ford Focus : il fait la même chose, il est testé, il fonctionne. Mais ceux de Starlink sont comme des Tesla : ils sont lancés, puis ils doivent être mis à jour et réparés, voire purement et simplement remplacés », poursuit-il.
- SpaceX n’a pas répondu à nos demandes de commentaires.
- « C’est une course à l’échalote pour obtenir, là-haut, autant de choses que possible afin de revendiquer la propriété de zones de l’espace orbital. [Elon] Musk fait seulement ce qui est légal… mais ce qui est légal n’est pas nécessairement sans risque ou durable »
- Environ 5 % du premier lot de satellites Starlink ont connu des défaillances, avait indiqué SpaceX en 2019. L’entreprise les a laissés retomber progressivement sur Terre et se désintégrer durant cette phase de descente. En novembre 2020, l’astrophysicien Jonathan McDowell, du Centre d’astrophysique Harvard-Smithsonian, a calculé que le pourcentage de dysfonctionnement chez Starlink était de près de 3 %. Il indique que Starlink a, depuis, considérablement amélioré la conception de ses satellites, et que son taux de défaillance est actuellement inférieur à 1 % et continue à se réduire.
- Mais selon M. McDowell, même en progressant continuellement, Starlink va exploiter un si grand nombre de satellites qu’un faible taux de défaillance suffira à représenter une menace relativement élevée pour la sécurité en orbite à cause des risques de collision. « Il est clair qu’ils apportent en permanence des améliorations… mais c’est un vrai défi qu’ils sont en train de relever et il n’est pas certain qu’ils seront en mesure de gérer leur constellation satellitaire complète », prévient-il.
- Starlink exploite déjà plus de 1 300 engins spatiaux en orbite basse autour de la Terre et en ajoute environ 120 par mois. Sa flotte dépassera prochainement le nombre total de satellites lancés depuis les années 1950, soit environ 9 000.
- L’espace orbital reste une zone de taille limitée, et l’absence actuelle de réglementation universelle signifie que les entreprises peuvent y placer des satellites selon le principe du premier arrivé, premier servi. M. Musk est ainsi en passe de se réserver la majeure partie de l’espace orbital disponible, en partie grâce au fait que, contrairement à ses concurrents, il possède ses propres lanceurs.
- Dans les prochains jours, la Commission fédérale des communications (FCC) américaine devrait statuer sur une demande de SpaceX visant à modifier sa licence et à lui permettre de posséder un plus grand nombre de satellites en orbite à une altitude inférieure à 550 kilomètres. Si cette requête obtient le feu vert de l’autorité, les satellites concurrents devront alors contourner la constellation de SpaceX pour placer leurs propres engins spatiaux.
- D’autres sociétés opérant dans l’espace ont demandé à la FCC d’imposer des conditions à SpaceX, notamment de réduire son taux de défaillance à 0,1 % et d’améliorer ses dispositifs d’évitement des collisions tout en veillant à ce que ses satellites ne bloquent pas les transmissions des autres engins en orbite au-dessus d’eux.
- « Il devrait avoir moins de satellites et les améliorer », lâche Mark Dankberg, fondateur et président exécutif de Viasat.
- Sur Twitter, M. Musk avait réagi aux précédentes mises en garde de M. Dankberg affirmant que sa société constituait un danger pour le trafic orbital : « Starlink “représente surtout un risque” pour les profits de Viasat », avait-il écrit.
- Un porte-parole de Boeing, qui attaque également Starlink devant la FCC, a déclaré qu’il est « d’une importance capitale pour avoir un environnement orbital sûr et durable à l’avenir que les normes soient cohérentes au niveau mondial et permettent l’application de règles du jeu concurrentielles. »
- Dans la zone spatiale où opère Starlink, les satellites tournent autour de la Terre à près de 30 000 km/h. Toute collision pourrait disperser des débris ayant une très grande vitesse susceptibles de rendre l’orbite inexploitable pendant des années.
- Les concurrents du projet d’Elon Musk affirment que ses satellites ont une faible manœuvrabilité, ce qui signifie que ce sont les engins de ces entreprises qui doivent réagir en cas de risque de collision.
- Au cours des deux dernières années, les satellites de Starlink se sont approchés de manière inquiétante d’autres engins spatiaux à deux reprises, notamment le 2 avril, lorsque l’un d’eux a contraint un appareil exploité par OneWeb — qui appartient aux conglomérat indien Bharti Global et au gouvernement britannique — à effectuer des manœuvres d’évitement, selon OneWeb et l’U.S. Space Command.
- Les satellites de M. Musk sont équipés d’un système automatique d’évitement des collisions géré par intelligence artificielle. Pourtant, ce système a dû être désactivé lorsqu’un de ses engins s’est approché à mois de 60 mètres d’un satellite d’un concurrent ce mois-ci, selon M. McLaughlin de OneWeb.
- Alors contactés par OneWeb, les ingénieurs de Starlink ont répondu qu’ils ne pouvaient rien faire pour éviter la collision et ont désactivé le système d’évitement afin que OneWeb puisse manœuvrer à proximité du satellite Starlink sans interférence, selon M. McLaughlin.
- Starlink n’a pas divulgué de détails sur son système d’IA anti-collision. M. McDowell, l’astrophysicien précité, note qu’il est difficile de considérer un tel système comme sérieux alors qu’on ne sait toujours pas quelles données il utilise pour fonctionner.
- Un incident similaire a eu lieu fin 2019, lorsqu’un engin de Starlink était sur une trajectoire devant presque aboutir à une collision avec un satellite météorologique de l’Union européenne, selon l’Agence spatiale européenne, qui gère ceux de l’UE. L’agence a déclaré qu’elle n’avait pu contacter Starlink que par e-mail et que l’entreprise lui avait répondu qu’elle ne prendrait aucune mesure, si bien que les ingénieurs de l’UE avaient dû procéder à une manœuvre pour éviter la collision.
- SpaceX n’a pas répondu à nos demandes de commentaires sur ces deux incidents.
- L’orbite terrestre basse est de plus en plus encombrée de constellations de satellites destinés à l’Internet haut débit. Le projet Kuiper d’Amazon veut en mettre en orbite 3 200, le britannique OneWeb environ 700 et le canadien Telesat quelque 300. La Russie et la Chine travaillent également sur leurs propres constellations, potentiellement gigantesques.
- Un responsable de l’UE explique que posséder une constellation capable de fournir de l’Internet haut débit sur Terre est une priorité stratégique pour l’Union européenne. Celle-ci devrait publier d’ici à la fin de l’année une feuille de route pour un partenariat public-privé visant à créer une flotte de satellites pour le haut débit d’une valeur d’environ 6 milliards d’euros.
- Selon les experts en sécurité spatiale, le nombre de projets signifie qu’une réglementation plus stricte est désormais nécessaire pour éviter d’éventuelles catastrophes.
- « C’est une course à l’échalote pour obtenir, là-haut, autant de choses que possible afin de revendiquer la propriété de zones de l’espace orbital », observe Moriba Jah, professeur associé au département d’ingénieries aérospatiale et mécanique de l’Université du Texas à Austin. « Musk fait seulement ce qui est légal… mais ce qui est légal n’est pas nécessairement sans risque ou durable. »
- Néanmoins, la plupart des gouvernements accueillent favorablement l’arrivée d’un Internet haut débit par satellite, qui constitue une alternative moins coûteuse et plus rapide à la construction de réseaux terrestres. En Allemagne, plus grande économie européenne, le principal opérateur télécoms, Deutsche Telekom, a récemment fait part de sa volonté de s’associer à Starlink.
- « Je suis un grand admirateur d’Elon Musk et de ses idées », a déclaré Timotheus Höttges, directeur général de l’entreprise, en janvier.
- (Traduit à partir de la version originale en anglais par Grégoire Arnould)
- Traduit à partir de la version originale en anglais