Archive pour le Tag 'l’anthropocène'

Société: le poulet industriel, symbole de l’anthropocène

Société: le poulet industriel, symbole de l’anthropocène

Nous habitons une planète de poulets. Ces animaux élevés pour leur viande pèsent à eux seuls trois fois plus que l’ensemble des oiseaux sauvages réunis. Et, au-delà même des oiseaux, il s’agit de l’espèce vertébrée la plus répandue sur Terre : elle compte 23 milliards d’individus vivants et constitue la viande la plus consommée dans le monde. Elle est ainsi devenue un symbole frappant de l’anthropocène – cette nouvelle ère géologique caractérisée par l’impact écrasant des humains sur les processus géologiques terrestres. Le poulet tel que nous le connaissons a tellement évolué au regard de ses ancêtres, que ses os deviendront sans doute des fossiles de ce temps où les humains régnaient sur la planète. Dans une récente étude publiée dans Royal Society Open Science, nous avons comparé les os des poulets contemporains à ceux de leurs ancêtres de l’époque pré-romaine. Nos poulets actuels apparaissent radicalement différents : ils sont dotés d’un squelette surdimensionné, leur chimie cérébrale reflète l’homogénéité de leur régime alimentaire et la diversité génétique de l’espèce a significativement diminué. Le poulet actuel apparaît ainsi deux fois plus grand que le poulet médiéval. Le but de son élevage n’est autre qu’une prise de poids rapide.

Par
Carys Bennett
Honorary Fellow in Geology, University of Leicester

Jan Zalasiewicz
Senior Lecturer in Palaeobiology, University of Leicester

Mark Williams
Professor of Palaeobiology, University of Leicester

Richard Thomas
Reader in Archaeology, University of Leicester

dans The Conversation

Un poulet âgé de cinq semaines, à côté de son ancêtre (la poule rouge « de jungle ») âgée de six semaines. Bennett et al / Royal Society, Author provided
La vitesse de sa croissance s’est accélérée durant la seconde moitié du XXᵉ siècle : aujourd’hui, le poulet dit de chair grossit cinq fois plus vite que les poulets des années 1950. Ils sont par conséquent mûrs pour l’abattage à seulement cinq ou six semaines. La preuve de cette croissance extraordinaire est inscrite dans leurs os, qui apparaissent moins denses et souvent déformés. Il est poignant de constater que ces oiseaux ne survivraient pas s’ils sortaient de l’élevage industriel. Du fait de leur corps énorme, beaucoup d’oiseaux meurent de problèmes cardiaques ou respiratoires lorsqu’ils vivent un mois de plus.

Le poulet moderne n’existe sous sa forme actuelle que par l’intervention humaine. Nous avons altéré leurs gènes pour faire muter le récepteur qui régule leur métabolisme : ces oiseaux ont ainsi faim en permanence, mangeant et grossissant plus rapidement. Leur cycle de vie est d’autre part entièrement contrôlé par la technologie humaine. Les poulets voient le jour dans des élevages à l’humidité et la température commandés par ordinateur.

Parmi les différents élevages – vaches, cochons, moutons – les poulets restent l’exemple le plus frappant de la biosphère moderne. Leurs os sont éparpillés dans les décharges et fermes dans le monde entier : il y a donc de grandes chances qu’ils témoignent de la façon dont notre planète et sa biosphère ont évolué, depuis l’ère pré-humaine à celle dominée par les humains et leurs animaux domestiqués.

Si les humains ont élevé des poulets de manière sélective depuis leur domestication en Asie du Sud-Est il y a près de 6000 ans, la vitesse et l’échelle du changement survenu au XXᵉ siècle vont bien au-delà de tout ce qui avait été observé dans le passé. Depuis les années 1950, la population de poulets a augmenté parallèlement à la croissance démographique, tout comme notre utilisation de carburants fossiles, plastiques et autres ressources : désormais, cet animal affaibli et à la vie brève compte plus de congénères qu’aucune autre espèce d’oiseaux dans l’histoire de la planète.

Contrôlés par les humains et leurs ordinateurs. David Tadevosian / shutterstock
Que nous réserve l’avenir dans de telles conditions ? Actuellement, la consommation de poulet ne cesse de croître : cette viande est en effet peu coûteuse, et beaucoup de personnes se détournent aussi du bœuf et du porc dans le but de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Il nous faut faire face à une hausse démographique dans un monde affecté par le changement climatique. Certains grands producteurs de poulet – comme Tyson Foods et Perdue Farms – ont surpris en investissant dans des protéines à base de plantes pour nourrir leurs volailles.

Mais quelles que soient les orientations que nous prendront dans les décennies à venir, la trace de ce poulet conçu par l’homme demeurera gravé dans l’histoire. Les espèces intelligentes qui surgiront dans un lointain futur – des rats ou des méduses hyper-évolués, qui sait ? – auront entre les mains (ou les tentacules) un puzzle à reconstruire pour tenter de comprendre comment et pourquoi des millions de squelettes à croissance rapide reposent au milieu des débris technofossiles, issus des immenses décharges pétrifiées que nous auront laissé derrière nous…

Société-Le poulet , symbole de l’anthropocène

Société-Le poulet , symbole de l’anthropocène

Nous habitons une planète de poulets. Ces animaux élevés pour leur viande pèsent à eux seuls trois fois plus que l’ensemble des oiseaux sauvages réunis. Et, au-delà même des oiseaux, il s’agit de l’espèce vertébrée la plus répandue sur Terre : elle compte 23 milliards d’individus vivants et constitue la viande la plus consommée dans le monde. Elle est ainsi devenue un symbole frappant de l’anthropocène – cette nouvelle ère géologique caractérisée par l’impact écrasant des humains sur les processus géologiques terrestres. Le poulet tel que nous le connaissons a tellement évolué au regard de ses ancêtres, que ses os deviendront sans doute des fossiles de ce temps où les humains régnaient sur la planète. Dans une récente étude publiée dans Royal Society Open Science, nous avons comparé les os des poulets contemporains à ceux de leurs ancêtres de l’époque pré-romaine. Nos poulets actuels apparaissent radicalement différents : ils sont dotés d’un squelette surdimensionné, leur chimie cérébrale reflète l’homogénéité de leur régime alimentaire et la diversité génétique de l’espèce a significativement diminué. Le poulet actuel apparaît ainsi deux fois plus grand que le poulet médiéval. Le but de son élevage n’est autre qu’une prise de poids rapide.

Par
Carys Bennett
Honorary Fellow in Geology, University of Leicester

Jan Zalasiewicz
Senior Lecturer in Palaeobiology, University of Leicester

Mark Williams
Professor of Palaeobiology, University of Leicester

Richard Thomas
Reader in Archaeology, University of Leicester

dans The Conversation

Un poulet âgé de cinq semaines, à côté de son ancêtre (la poule rouge « de jungle ») âgée de six semaines. Bennett et al / Royal Society, Author provided
La vitesse de sa croissance s’est accélérée durant la seconde moitié du XXᵉ siècle : aujourd’hui, le poulet dit de chair grossit cinq fois plus vite que les poulets des années 1950. Ils sont par conséquent mûrs pour l’abattage à seulement cinq ou six semaines. La preuve de cette croissance extraordinaire est inscrite dans leurs os, qui apparaissent moins denses et souvent déformés. Il est poignant de constater que ces oiseaux ne survivraient pas s’ils sortaient de l’élevage industriel. Du fait de leur corps énorme, beaucoup d’oiseaux meurent de problèmes cardiaques ou respiratoires lorsqu’ils vivent un mois de plus.

Le poulet moderne n’existe sous sa forme actuelle que par l’intervention humaine. Nous avons altéré leurs gènes pour faire muter le récepteur qui régule leur métabolisme : ces oiseaux ont ainsi faim en permanence, mangeant et grossissant plus rapidement. Leur cycle de vie est d’autre part entièrement contrôlé par la technologie humaine. Les poulets voient le jour dans des élevages à l’humidité et la température commandés par ordinateur.

Parmi les différents élevages – vaches, cochons, moutons – les poulets restent l’exemple le plus frappant de la biosphère moderne. Leurs os sont éparpillés dans les décharges et fermes dans le monde entier : il y a donc de grandes chances qu’ils témoignent de la façon dont notre planète et sa biosphère ont évolué, depuis l’ère pré-humaine à celle dominée par les humains et leurs animaux domestiqués.

Si les humains ont élevé des poulets de manière sélective depuis leur domestication en Asie du Sud-Est il y a près de 6000 ans, la vitesse et l’échelle du changement survenu au XXᵉ siècle vont bien au-delà de tout ce qui avait été observé dans le passé. Depuis les années 1950, la population de poulets a augmenté parallèlement à la croissance démographique, tout comme notre utilisation de carburants fossiles, plastiques et autres ressources : désormais, cet animal affaibli et à la vie brève compte plus de congénères qu’aucune autre espèce d’oiseaux dans l’histoire de la planète.

Contrôlés par les humains et leurs ordinateurs. David Tadevosian / shutterstock
Que nous réserve l’avenir dans de telles conditions ? Actuellement, la consommation de poulet ne cesse de croître : cette viande est en effet peu coûteuse, et beaucoup de personnes se détournent aussi du bœuf et du porc dans le but de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Il nous faut faire face à une hausse démographique dans un monde affecté par le changement climatique. Certains grands producteurs de poulet – comme Tyson Foods et Perdue Farms – ont surpris en investissant dans des protéines à base de plantes pour nourrir leurs volailles.

Mais quelles que soient les orientations que nous prendront dans les décennies à venir, la trace de ce poulet conçu par l’homme demeurera gravé dans l’histoire. Les espèces intelligentes qui surgiront dans un lointain futur – des rats ou des méduses hyper-évolués, qui sait ? – auront entre les mains (ou les tentacules) un puzzle à reconstruire pour tenter de comprendre comment et pourquoi des millions de squelettes à croissance rapide reposent au milieu des débris technofossiles, issus des immenses décharges pétrifiées que nous auront laissé derrière nous…

Société- Les défis de l’anthropocène

Société- Les défis de l’anthropocène 

La recherche fondamentale est en crise de moyens. Face aux turbulences du XXIe siècle, des choix s’imposent et « chaque chercheur doit se demander quel sens donner à un possible chant du cygne de son activité », analyse, dans une tribune au « Monde », le biologiste Jean Colcombet.( le Monde, extrait)

 

Tribune.

La recherche moderne ne s’est développée sous sa forme actuelle qu’après-guerre. Efficace et en partie non finalisée, elle est largement menée par des fonctionnaires sur fonds publics. Son émergence est la conséquence de la profonde transformation de la société induite par le progrès et l’abondance des énergies fossiles.

En moins d’un siècle, la mécanisation a entraîné une diminution drastique du nombre d’agriculteurs, a décuplé la productivité au point de rendre les ouvriers quasi accessoires et a permis un accroissement explosif du secteur tertiaire, devenu nécessaire pour gérer des flux de plus en plus complexes et répondre aux désirs de chacun.


Car, en même temps, nous sommes devenus incroyablement riches au regard de l’histoire humaine. La complexification de cette société a nécessité la spécialisation poussée de chacun de ses composants et permis la création d’une recherche professionnalisée appuyée sur des budgets sanctuarisés.

La recherche offre une grille de lecture du monde

Avant le XXe siècle, l’attrait du progrès et la compétition entre les nations motivaient les développements technologiques finalisés, menés par les artisans et les entreprises. La recherche fondamentale, très mineure, était souvent l’occupation d’individus fortunés ou soutenus par des mécènes.

Au cours du XXe siècle, et particulièrement depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la recherche a été nationalisée – c’est l’époque en France de la création des grandes agences de recherche – et a graduellement ajouté à sa mission de développement celle d’accroître les connaissances fondamentales.


Aujourd’hui, la plupart d’entre nous, chercheurs, parlons de notre contribution comme d’une petite brique apportée à l’édifice de la connaissance. Nous rechignons à nous voir imposer des objectifs, pointant les cas où le hasard mène à des découvertes remarquables et utiles alors que l’étude initiale n’avait rien de pratique. Par ce travail de fourmi, dont la somme ambitionne exhaustivité et objectivité, la recherche offre une grille de lecture du monde qui s’élargit et se précise continuellement.

La recherche, fille de la modernité et des énergies fossiles

L’ironie veut que cette recherche, fille de la modernité et des énergies fossiles, nous aide à analyser les grands enjeux de l’anthropocène : nous comprenons désormais que notre développement glouton nous fait dépasser les frontières planétaires et fragilise les écosystèmes. Sans l’expertise scientifique pointue dont nous disposons aujourd’hui, les défis essentiels de notre ère n’auraient pas été pleinement appréhendés.




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