2024: L’année des faillites (COFACE)
L’économiste Ruben Nizard, en charge de l’Amérique du Nord chez Coface, revient en détail dans « La Tribune ». Il prévoit une croissance encore plus molle en 2024 et surtout une vagues de faillites
À quoi faut-il s’attendre pour la croissance mondiale en 2024 ?
RUBEN NIZARD- L’économie mondiale se dirige vers « un soft landing » en 2024. La croissance du PIB est estimée à 2,6% en 2023 et 2,2% en 2024. Le ralentissement ne devrait pas être catastrophique. Avant la pandémie, la croissance était en moyenne autour de 3% sur la décennie 2010-2020. Les États-Unis ont surpris à la hausse. Les chiffres du second semestre 2023 ont été extraordinaires. La politique monétaire affecte progressivement consommateurs et entreprises. La baisse du crédit a pesé sur l’investissement des entreprises. Mais il n’y a pas eu d’effondrement. Chez les ménages, il y a des signes de ralentissement.
En Europe, aucun rebond significatif n’est attendu. Les indicateurs récents en Allemagne sont restés moroses. En France, la croissance devrait rester lente en 2024. En Chine, la transition économique risque d’être encore difficile. En revanche, l’Inde devrait surperformer cette année.
L’inflation a marqué le pas dans la plupart des pays. Pour autant, les banques centrales n’ont pas l’intention de baisser les taux rapidement. Quelles sont les perspectives d’inflation dans les pays avancés ?
Le ralentissement de l’inflation dans les pays avancés est sans doute plus rapide que prévu. Le retour vers la cible des 2% en 2024 semble être le scénario central. La baisse des prix de l’énergie a fortement contribué à ce coup de frein. En 2024, les inquiétudes sur les prix du gaz sont en baisse. Sur le marché du pétrole, il y a plus de volatilité en raison des tensions géopolitiques au Moyen-Orient. Nous tablons sur un baril à 85 dollars sur l’année. La demande a ralenti dans la plupart des pays avancés. Les marchés du travail ne montrent pas de risques de boucle prix-salaires.
Les banques centrales gardent une attitude prudente. Les marchés ont parié des baisses de taux agressives. Mais cinq ou six baisses de taux cette année nous paraissent beaucoup. Les banques centrales ne veulent pas revenir trop tôt à des politiques monétaires accommodantes en raison des craintes de résurgence des prix. L’assouplissement monétaire aux États-Unis pourrait avoir lieu en milieu d’année et un peu plus tard en Europe.
Avec le ralentissement de l’économie et des politiques budgétaires plus restrictives en Europe, doit-on s’attendre à une hausse des faillites d’entreprises en 2024 ?
Oui, la hausse des faillites fait partie de notre scénario central. Dans beaucoup de pays avancés, le retrait des mesures de soutien et des moratoires sur les procédures avaient entraîné une normalisation des défaillances. En France et aux Royaume-Uni, les défaillances sont déjà au dessus de leur niveau de 2019. Avec des conditions financières plus compliquées et des remboursements de prêts garantis par l’État, on peut s’attendre à une poursuite des hausses en Europe. On ne s’attend pas non plus à un tsunami.
En Europe, la colère des agriculteurs s’est propagée dans plusieurs pays. Existe-t-il un risque d’embrasement et de contagion à d’autres secteurs économiques ?
La question des réglementations européennes est revenue dans les mouvements des différents pays. Les accords commerciaux sont également au cœur des revendications des agriculteurs. En France, on parle beaucoup du Mercosur. Mais le Canada et le Royaume-Uni ont également suspendu leurs négociations sur un accord post-Brexit en raison d’un désaccord sur les accès aux marchés. La question des produits phytosanitaires n’est pas nouvelle.
L’agriculture reste un sujet très sensible en raison de sa portée stratégique et symbolique. Il est difficile de prévoir un risque d’embrasement. Les réglementations européennes sont des sujets de crispation entre Bruxelles et les pêcheurs. On l’a vu avec le Brexit. Il y a également un sujet de mécontentement social. L’agriculture est symptomatique. C’est un secteur qui dépend beaucoup des subventions de l’État. Le sentiment de stagnation des niveaux de vie et de détérioration des conditions de travail est très important. Ce sont des revendications que l’on retrouve dans d’autres secteurs comme la Santé ou l’Éducation.
Les tensions en mer rouge ont continué de se propager ces dernières semaines. Quel est l’impact macroéconomique de ces attaques ?
Actuellement, deux fois moins de navires transitent par le Canal de Suez et doivent passer par le cap de Bonne Espérance. Ce détour ajoute entre 10 et 15 jours de trajet. Cela provoque des coûts supplémentaires de transport. Il y a également des répercussions sur les chaînes d’approvisionnement. Tesla et Volvo ont déjà fait des annonces sur des productions mises sur pause pendant plusieurs jours.
Pour l’instant, les transporteurs sont encore loin des niveaux de stress de la pandémie. Mais c’est un point à surveiller. Enfin, il existe un risque inflationniste sur les prix. Depuis l’attaque du 7 octobre 2023, les prix du pétrole avaient baissé. Mais les tensions se cristallisent sur l’approvisionnement en pétrole. La situation au Moyen-Orient est préoccupante. Le risque d’escalade a gagné en intensité ces dernières semaines.
Élections européennes, présidentielle américaine…2024 sera incontestablement une année importante de scrutins. Existe-t-il un risque de vote sanction dans les urnes des deux côtés de l’Atlantique ?
En 2024, plus de 70 pays vont voter sur la planète. Ce sera un record. Certaines élections comme en Russie ne laissent peu de doutes sur l’issue. Aux États-Unis, la hausse du niveau général des prix depuis deux ans alimente une grogne. Les événements de troubles sociaux arrivent souvent un ou deux ans après un choc sur l’activité ou les revenus. Il pourrait y avoir un vote sanction dans ce contexte. Les résultats des élections intermédiaires aux États-Unis ont montré que la participation avait beaucoup bénéficié aux Démocrates. Biden pourrait être favori.
Mais c’est une élection particulière car deux anciens présidents vont s’affronter. Donald Trump se maintient à des niveaux stables dans l’opinion. Biden ne suscite pas d’enthousiasme. Mais le calendrier judiciaire chargé de Donald Trump pourrait peser sur la mobilisation des électeurs. Le clivage entre Républicains et Démocrates ne fait que s’accroître.
Les élections européennes pourraient être un terreau fertile aux partis populistes d’extrême droite ou d’extrême gauche. La colère pourrait se traduire en vote sanction dans les urnes. Les griefs liés à la gestion de la pandémie continuent de peser. Les méfiances à l’égard des institutions persistent. La montée des populismes est une tendance claire.