Défense de la forêt landaise
« La forêt de pin [landaise] n’est pas « naturelle » mais à but productif. Fort bien, mais pourquoi pas ? Malgré ce massif d’un million d’hectares, nous manquons de bois. [...] Il nous semblerait logique de sanctuariser cette production en ces temps de recherche d’indépendance et d’autosuffisance », écrit Sylvie Daulouède, en réaction à une tribune ( dans « Le Monde ».)
Sylvicultrice, Landaise de naissance, constamment émerveillée par cette forêt que je parcours depuis mon enfance, je ne peux que réagir à la tribune de Hugues Jallon concernant l’avenir du massif forestier des Landes. J’invite M. Jallon à venir partager mon plaisir de me promener dans les fougères et la bruyère sous les pins qu’il regroupe sous l’appellation « d’usine » en reprenant le terme consacré de l’époque napoléonienne. Usine s’entendant en ce temps-là comme un outil de production agricole.
Au cours de cette simple promenade, M. Jallon, visiblement peu concerné par la sensibilité à un écosystème riche de faune et de flore, apprendra cependant, en peu de temps, beaucoup plus de notions qu’à la simple lecture de Wikipedia sur son ordinateur. Quelques exemples ? Impossible de faire tout un cours sur le sujet en quelques lignes car la forêt ne s’apprend pas sur un ordinateur.
Essayons tout de même pour l’essentiel. En se promenant, M. Jallon lèvera la tête pour regarder la canopée de tous ces pins qui montent jusqu’à 30-40 m de haut. Il apprendra alors que si l’on plante un pin au milieu d’un champ, il ne se développera pas plus qu’un pommier. Les plantations doivent être serrées pour que le pin aille chercher la lumière. Formidable nature : au cours de sa croissance, il va se débarrasser de ses branches basses. On nomme cela l’élagage naturel .
Oui, mais ces branches qui se détachent laissent des plaies sur le tronc. Qu’à cela ne tienne, l’arbre va sécréter une espèce de colle qui fera pansement. Cette colle est une résine (oléorésine) que les gemmeurs ont récoltée durant des décennies. Il faudra régulièrement éclaircir cette forêt touffue et aboutir à ces lignes qui laissent le pin grandir, n’en déplaise tant à l’auteur de la tribune. Il s’agit là d’un cycle naturel extrêmement sophistiqué et bien loin d’une usine.
Par ailleurs, M. Jallon qui verra des biches, des oiseaux de toutes sortes, des papillons et des insectes que l’on ne trouve plus dans les champs agricoles, constatera combien le sol est sec avec les exceptionnelles canicules. Nous lui apprendrons alors que le pin est un arbre d’une rare intelligence situationnelle. Il se met alors en mode économie d’eau et n’en consomme pratiquement plus. Quand la pluie revient, mouvement inverse, il stocke l’eau comme un trésor.
On pourrait ainsi agrémenter la visite de M. Jallon de tas de notions liées à la vie des pins qui, nous en sommes convaincus, changeront son regard sur ces arbres. Reste cependant un argument à ses yeux décisif : la forêt de pin n’est pas « naturelle » mais à but productif. Fort bien, mais pourquoi pas ? Malgré ce massif d’un million d’hectares, nous manquons de bois. Nous en importons, en particulier de Russie. Il nous semblerait logique de sanctuariser cette production en ces temps de recherche d’indépendance et d’autosuffisance.
Oui, mais les sols sont détruits, pense trop rapidement M. Jallon. Sait-il que chaque propriétaire, s’il veut bénéficier des avantages fiscaux (loi dite Sérot-Monichon), est obligé d’établir un plan de gestion ? Il ne pourra pas couper ses arbres quand il le veut. Tout cela très rigoureusement et avec le souci constant d’assurer une rotation qui permet aux terrains de se régénérer. Toute cette organisation a généré un écosystème remarquable et envié des autres pays.
Les Landais aiment leurs pins, leurs terres. Ils en retirent des subsides, mais pas au prix d’une exploitation sauvage. Si M. Jallon veut détruire tout cela en trouvant mieux que de revenir au temps des échasses, des marais, du paludisme et des autochtones que Napoléon appelait « les primitifs », nous sommes preneurs. Mais avant cela, par pitié, qu’il relise Mauriac, qu’il se promène dans la forêt, qu’il s’imprègne de ces habitus locaux qui font de cette forêt un joyau de notre pays.