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L’ADN circulant : nouvel outil pour le diagnostic des cancers

L’ADN circulant : nouvel outil pour le diagnostic des cancers

L’ADN est, normalement, confortablement niché dans un noyau au cœur de nos cellules. Par contre, quand celles-ci viennent à mourir, toute cette organisation se désagrège peu à peu. Notre matériel génétique n’échappe pas à cette débandade cellulaire. Alors que le noyau se dégrade, l’ADN se fragmente et ses morceaux se retrouvent libres. L’ADN peut ainsi se retrouver dans la circulation sanguine : ces fragments constituent ce qu’on appelle l’« ADN circulant », ou ADNc. Longtemps ignoré ou sous-estimé, il est désormais de plus en plus scruté par les spécialistes qui lui découvrent de nombreux intérêts. Une simple prise de sang (« biopsie liquide ») suffit en effet aux médecins pour le recueillir et l’étudier – un millilitre de plasma permet de le récolter par milliers voire par millions !

par Audrey Rousseau
Professeur en Anatomie Pathologique – Médecin enseignant-chercheur au CHU d’Angers, Université d’Angers

dans The Conversation

Et après ? Chez les sujets sains, l’ADNc est surtout relargué par les cellules du sang (les globules blancs, par exemple) qui arrivent en fin de vie. Par contre, chez les sujets atteints de cancer, il va en partie être d’origine tumorale. Or, comme la molécule d’ADN entière, il code des informations génétiques : certes très parcellaires, mais néanmoins précieuses pour le diagnostic.

Depuis le développement de techniques particulièrement sensibles pour le détecter, l’ADNc est devenu un allié précieux des chercheurs et des oncologues !

Infographie schématisant la récupération d’ADNc : prise de sang, composition du sang et présence d’ADN cancéreux
Une simple prise de sang peut permettre de détecter de l’ADN circulant provenant de cellules cancéreuses. Meletios Verras/Shutterstock
Un marqueur du cancer facile à détecter
Le plus souvent, un diagnostic de cancer est posé suite à l’apparition de symptômes ou à la découverte d’une masse au scanner. Une biopsie (ou exérèse) de la tumeur n’est pas toujours possible, et c’est là que ce type d’analyse entre en scène.

Les biologistes peuvent séquencer le texte génétique (lire les lettres) porté par ce fragment d’ADN : cela leur permet de repérer les mutations présentes et, parfois, d’identifier le cancer dont il est issu. Ils peuvent ainsi caractériser plus précisément la tumeur et déterminer le pronostic de la maladie.

Parfois également, le cancer associé à cet ADNc n’est pas connu (chez un patient jusqu’alors en bonne santé) ou est bien caché (cancer dit « occulte ») : cette caractérisation peut aider les médecins à trouver la tumeur d’origine.

Ces informations sont aussi utiles pour choisir les traitements les plus adaptés. Chaque type de cancer présente en effet des vulnérabilités spécifiques, qui le rendent sensible à certains médicaments plutôt qu’à d’autres.
Mais ce n’est pas tout. Chez les patients ayant un antécédent de cancer ou particulièrement à risque d’en développer un, l’analyse de l’ADNc peut aider à dépister la maladie avant l’apparition de symptômes.

De plus, son étude au cours du suivi d’un cancer chez un patient déjà diagnostiqué est utile à plusieurs niveaux. Avec une simple prise de sang, rapide et aisée à réaliser lors d’une consultation, l’oncologue peut :

Évaluer l’efficacité des traitements : la quantité d’ADNc associé à la tumeur diminue dans le sang quand celle-ci régresse ; si son taux reste stable, c’est que le traitement ne marche pas. S’il devient indétectable, c’est que le patient est en rémission.

Assurer un suivi plus simple des patients, sans avoir à répéter les scanners (qui délivrent des rayons X toxiques sur le long cours) et les biopsies de la tumeur ou de ses métastases. Les biopsies tissulaires sont invasives et présentent un risque d’hémorragie, d’infection… notamment en cas de tumeur des organes profonds. L’oncologue peut suivre l’évolution de la maladie de façon plus régulière tout en étant moins invasif. Point important, surtout chez l’enfant.

Guetter une éventuelle rechute. La réapparition de l’ADNc est synonyme de récidive, qu’il est ainsi possible de diagnostiquer précocement, avant même l’apparition d’une tumeur détectable cliniquement ou par imagerie – le scanner n’est pas très performant pour détecter des micrométastases (< 3 mm).

Détecter toutes les anomalies génétiques de la tumeur. Contrairement à l’ADN obtenu via une biopsie, qui ne va concerner qu’un petit fragment de la tumeur, ici c’est l’ADN issu de toutes les cellules cancéreuses, où qu’elles soient, qui peut être analysé. L’ADNc porte de ce fait les anomalies génétiques du cancer et de toutes ses métastases.

Suivre l’évolution des mutations. Ce point est particulièrement crucial car, sous la pression des traitements (chimiothérapie, radiothérapie), qui créent un environnement toxique pour la tumeur, les anomalies présentes dans l’ADN des cellules cancéreuses évoluent : de nouvelles mutations apparaissent qui leur permettent parfois d’acquérir de nouvelles capacités et de résister. Identifier ces mutations de résistance est nécessaire pour adapter les chimiothérapies.

Mieux comprendre la maladie sur le plan génétique. Ce qui est important pour faire avancer la recherche et contribuer au développement de traitements innovants, plus efficaces.

Les scientifiques analysent aussi – grâce à des techniques qui sont encore du domaine de la recherche – des modifications à la surface de l’ADNc qui servent à réguler l’expression des gènes présents, dont certains sont des accélérateurs de la croissance tumorale.

L’ADNc peut également être recueilli dans des liquides autres que le plasma, tels que les urines où il est efficace pour le diagnostic de cancers de la vessie, du rein ou de la prostate mais aussi de cancers non urologiques. Et le recueil des urines est encore plus aisé que celui du plasma !

Chez les patients présentant une tumeur du cerveau, il peut être détecté dans le liquide céphalo-rachidien – liquide baignant le cerveau et la moelle épinière. Il y est présent en plus grandes quantités que dans le sang, mais le prélèvement y est complexe et nécessite une ponction dans le dos (entre deux vertèbres).

Enfin, ces précieuses molécules ne sont pas utiles uniquement dans les cancers. Elles ont également prouvé leur efficacité dans le dépistage de la trisomie 21 au cours de la grossesse. L’ADNc du fœtus peut être recueilli dans le sang maternel, sans besoin donc de pratiquer une amniocentèse – cette ponction de liquide amniotique qui est à la fois invasive pour le fœtus et redoutée par les futures mamans…

Des usages, donc, en plein développement et qui vont encore se multiplier ! Au grand intérêt des chercheurs, et au bénéfice des patients.

L’ADN pour le suivi des cancers

L’ADN pour le suivi des cancers

L’ADN est, normalement, confortablement niché dans un noyau au cœur de nos cellules. Par contre, quand celles-ci viennent à mourir, toute cette organisation se désagrège peu à peu. Notre matériel génétique n’échappe pas à cette débandade cellulaire. Alors que le noyau se dégrade, l’ADN se fragmente et ses morceaux se retrouvent libres. L’ADN peut ainsi se retrouver dans la circulation sanguine : ces fragments constituent ce qu’on appelle l’« ADN circulant », ou ADNc. Longtemps ignoré ou sous-estimé, il est désormais de plus en plus scruté par les spécialistes qui lui découvrent de nombreux intérêts.par Professeur en Anatomie Pathologique – Médecin enseignant-chercheur au CHU d’Angers, Université d’Angers dans the Conversation

Une simple prise de sang (« biopsie liquide ») suffit en effet aux médecins pour le recueillir et l’étudier – un millilitre de plasma permet de le récolter par milliers voire par millions !

Et après ? Chez les sujets sains, l’ADNc est surtout relargué par les cellules du sang (les globules blancs, par exemple) qui arrivent en fin de vie. Par contre, chez les sujets atteints de cancer, il va en partie être d’origine tumorale. Or, comme la molécule d’ADN entière, il code des informations génétiques : certes très parcellaires, mais néanmoins précieuses pour le diagnostic.

Depuis le développement de techniques particulièrement sensibles pour le détecter, l’ADNc est devenu un allié précieux des chercheurs et des oncologues !

Une simple prise de sang peut permettre de détecter de l’ADN circulant provenant de cellules cancéreuses. Meletios Verras/Shutterstock

Le plus souvent, un diagnostic de cancer est posé suite à l’apparition de symptômes ou à la découverte d’une masse au scanner. Une biopsie (ou exérèse) de la tumeur n’est pas toujours possible, et c’est là que ce type d’analyse entre en scène.

Les biologistes peuvent séquencer le texte génétique (lire les lettres) porté par ce fragment d’ADN : cela leur permet de repérer les mutations présentes et, parfois, d’identifier le cancer dont il est issu. Ils peuvent ainsi caractériser plus précisément la tumeur et déterminer le pronostic de la maladie.

Parfois également, le cancer associé à cet ADNc n’est pas connu (chez un patient jusqu’alors en bonne santé) ou est bien caché (cancer dit « occulte ») : cette caractérisation peut aider les médecins à trouver la tumeur d’origine.

Ces informations sont aussi utiles pour choisir les traitements les plus adaptés. Chaque type de cancer présente en effet des vulnérabilités spécifiques, qui le rendent sensible à certains médicaments plutôt qu’à d’autres.

Mais ce n’est pas tout. Chez les patients ayant un antécédent de cancer ou particulièrement à risque d’en développer un, l’analyse de l’ADNc peut aider à dépister la maladie avant l’apparition de symptômes.

De plus, son étude au cours du suivi d’un cancer chez un patient déjà diagnostiqué est utile à plusieurs niveaux. Avec une simple prise de sang, rapide et aisée à réaliser lors d’une consultation, l’oncologue peut :

Évaluer l’efficacité des traitements : la quantité d’ADNc associé à la tumeur diminue dans le sang quand celle-ci régresse ; si son taux reste stable, c’est que le traitement ne marche pas. S’il devient indétectable, c’est que le patient est en rémission.

Assurer un suivi plus simple des patients, sans avoir à répéter les scanners (qui délivrent des rayons X toxiques sur le long cours) et les biopsies de la tumeur ou de ses métastases. Les biopsies tissulaires sont invasives et présentent un risque d’hémorragie, d’infection… notamment en cas de tumeur des organes profonds. L’oncologue peut suivre l’évolution de la maladie de façon plus régulière tout en étant moins invasif. Point important, surtout chez l’enfant.

Guetter une éventuelle rechute. La réapparition de l’ADNc est synonyme de récidive, qu’il est ainsi possible de diagnostiquer précocement, avant même l’apparition d’une tumeur détectable cliniquement ou par imagerie – le scanner n’est pas très performant pour détecter des micrométastases (< 3 mm).

Détecter toutes les anomalies génétiques de la tumeur. Contrairement à l’ADN obtenu via une biopsie, qui ne va concerner qu’un petit fragment de la tumeur, ici c’est l’ADN issu de toutes les cellules cancéreuses, où qu’elles soient, qui peut être analysé. L’ADNc porte de ce fait les anomalies génétiques du cancer et de toutes ses métastases.

Suivre l’évolution des mutations. Ce point est particulièrement crucial car, sous la pression des traitements (chimiothérapie, radiothérapie), qui créent un environnement toxique pour la tumeur, les anomalies présentes dans l’ADN des cellules cancéreuses évoluent : de nouvelles mutations apparaissent qui leur permettent parfois d’acquérir de nouvelles capacités et de résister. Identifier ces mutations de résistance est nécessaire pour adapter les chimiothérapies.

Mieux comprendre la maladie sur le plan génétique. Ce qui est important pour faire avancer la recherche et contribuer au développement de traitements innovants, plus efficaces.

Les scientifiques analysent aussi – grâce à des techniques qui sont encore du domaine de la recherche – des modifications à la surface de l’ADNc qui servent à réguler l’expression des gènes présents, dont certains sont des accélérateurs de la croissance tumorale.

L’ADNc peut également être recueilli dans des liquides autres que le plasma, tels que les urines où il est efficace pour le diagnostic de cancers de la vessie, du rein ou de la prostate mais aussi de cancers non urologiques. Et le recueil des urines est encore plus aisé que celui du plasma !

Chez les patients présentant une tumeur du cerveau, il peut être détecté dans le liquide céphalo-rachidien – liquide baignant le cerveau et la moelle épinière. Il y est présent en plus grandes quantités que dans le sang, mais le prélèvement y est complexe et nécessite une ponction dans le dos (entre deux vertèbres).

Enfin, ces précieuses molécules ne sont pas utiles uniquement dans les cancers. Elles ont également prouvé leur efficacité dans le dépistage de la trisomie 21 au cours de la grossesse. L’ADNc du fœtus peut être recueilli dans le sang maternel, sans besoin donc de pratiquer une amniocentèse – cette ponction de liquide amniotique qui est à la fois invasive pour le fœtus et redoutée par les futures mamans…

Des usages, donc, en plein développement et qui vont encore se multiplier ! Au grand intérêt des chercheurs, et au bénéfice des patients.

Lire dans l’ADN le potentiel intellectuel et de santé ?

L’ADN déterminant du potentiel intellectuel et de santé ?

par Françoise Clerget-Darpoux, Inserm et Emmanuelle Genin, Inserm dans the Conversation

Auteurs d’un article récemment publié dans la revue scientifique Nature Genetics s’inquiètent de l’impact sociétal des avancées de la génomique (l’étude des génomes, autrement dit, du matériel génétique d’un individu ou d’une espèce). Ils évoquent les visions, à leurs yeux prémonitoires, du film Bienvenue à Gattaca : la possibilité de lire dans notre ADN nos capacités physiques et intellectuelles et, même, de pouvoir concevoir in vitro des enfants quasi parfaits, exempts de maladie future.

Grâce aux progrès réalisés dans le domaine de la génomique, la réalité a en effet rattrapé la fiction. Il est désormais possible d’analyser l’entièreté du génome, à la recherche de causes génétiques de maladies complexes.

Appelés genome-wide association studies (GWAS, ou « étude d’association pangénomique »), ce type de travaux a donné lieu à une multitude de publications scientifiques annonçant la découverte de nombreux variants génétiques qui augmenteraient ou diminueraient le risque d’une maladie, voire la propension à de nombreux traits, comme certains comportements ou aptitudes intellectuelles.

À en croire certains auteurs, notre avenir médical et social serait réellement inscrit dans notre génome. Cette vision est erronée car elle repose sur une série d’erreurs et d’incompréhensions que nous allons étudier.

Qu’est-ce qu’une étude GWAS ?

Les études GWAS consistent à établir une corrélation entre l’expression d’un trait chez un groupe d’individus et des marqueurs sur leur génome. Ces marqueurs peuvent être vus comme des petits drapeaux balisant tout le génome. L’idée sous-jacente aux études GWAS est qu’une association entre un marqueur et un trait permet de détecter des facteurs génétiques indépendamment des facteurs d’environnement dans le trait étudié.

Ceci peut se faire sur un trait quantitatif (comme la taille) ou sur une maladie. Dans ce dernier cas, on comparera ces marqueurs dans un groupe de personnes malades avec ceux d’un groupe de personnes non malades. On affecte alors à chaque différence génétique identifiée un coefficient censé représenter la force de son association avec le trait considéré, puis on calcule un score global (le « score polygénique ») qui représente l’intensité du risque encouru.
De nombreuses études GWAS ont été engagées sur des maladies dont les causes (on parle d’« étiologie » de la maladie) sont notoirement complexes : schizophrénie, cancer du sein, maladie coronarienne…

Dès 2007, des entreprises ont commencé à vendre en ligne des prédictions de risque sur un simple envoi de salive. La société 23andme a ainsi récolté plus d’un million d’ADN avant d’être sommée par la FDA, en 2013, d’arrêter ses activités faute de preuves de validité.

23andme a continué ses activités en changeant sa démarche et en recueillant des ADN pour une nouvelle utilisation : dresser la carte des origines géographiques des ancêtres de leur propriétaire. Ces ADN peuvent ensuite être mis à disposition d’équipes scientifiques qui peuvent mener des études GWAS et les publier.

D’abord menées sur des centaines d’individus, ces recherches se sont rapidement étendues à des milliers, puis à des millions de personnes et conduisent à la publication de certaines études aux résultats questionnables.

Ces dernières années, des centaines d’articles scientifiques assurent avoir détecté – via des associations – les facteurs génétiques dont les effets se cumulent dans un score. Ces scores sont censés prédire non seulement nos risques de maladie, mais aussi nos aptitudes intellectuelles ou d’adaptation sociale.

À en croire ces travaux, une simple lecture de notre ADN permettrait donc de savoir si l’on est à risque de développer une maladie ou si notre intelligence sera plus ou moins élevée. Ce qui promeut la thèse selon laquelle tous nos traits seraient « prédéterminés génétiquement »…

En 2018, une étude portant sur les nombres d’années d’études de près de 270 000 individus dit avoir identifié plus d’un millier de facteurs génétiques impliqués dans « l’intelligence ». Quatre ans plus tard, en passant à 3 millions d’individus, ce nombre de facteurs génétiques est multiplié par 4. In fine, par une simple lecture de votre ADN, on pourrait donc prédire votre nombre d’années d’études ou si vous allez devenir fumeur ou alcoolique. Et cela sans prendre en compte votre environnement familial ou culturel…

Le problème est que les conclusions de ces études sont tout simplement fausses car basées sur des hypothèses erronées et sur une interprétation abusive des associations entre les traits à prédire et des marqueurs génétiques…

Les calculs de score de prédiction reposent sur des hypothèses proposées en 1965 par Douglas Scott Falconer pour calculer l’héritabilité de certaines maladies. Parmi ces hypothèses, il est exclu d’emblée qu’un facteur d’environnement puisse jouer un rôle important dans l’expression du trait, alors qu’on sait combien notre alimentation, la consommation d’alcool ou de tabac et plus largement notre hygiène de vie ont un impact sur notre santé.

On suppose aussi que l’individu sera soumis aléatoirement aux facteurs d’environnement et,ce, indépendamment de ses conditions familiales, sociales et professionnelles. On suppose enfin que les facteurs d’environnement vont agir sur lui indépendamment de son génome alors qu’on sait pertinemment que la régulation et l’expression de nos gènes dépendent de notre environnement.

Ces hypothèses sont en totale contradiction avec les connaissances biologiques acquises depuis qu’elles ont été proposées et d’ailleurs questionnées par Falconer lui-même, dès 1967, pour le diabète

Un autre problème est que les scores de prédiction reposent sur une interprétation abusive des études GWAS. L’association d’un trait avec un marqueur génétique peut, certes, refléter l’action d’un facteur génétique ; mais ceci reste à confirmer par des études familiales et fonctionnelles ultérieures, seules capables de le démontrer. Des associations peuvent en effet refléter des différences environnementales ou culturelles parmi les personnes étudiées.

Ainsi, une telle étude GWAS qui comparerait, en France, des personnes mettant du beurre doux sur leurs tartines et des individus tartinant plutôt du beurre salé identifierait un grand nombre de marqueurs génétiques associés à cette dernière préférence… Non pas parce qu’elle révélerait des facteurs génétiques conférant un goût particulier pour le beurre salé, mais parce que ces marqueurs ont une fréquence différente en Bretagne et dans les autres régions de France !

De la même façon, sachant que le cancer du sein est plus fréquent chez les femmes ayant un indice de masse corporelle (IMC) élevé, les associations trouvées entre femmes atteintes et non atteintes de cancer du sein peuvent refléter des facteurs environnementaux impliqués dans l’IMC… et non dans l’étiologie du cancer du sein !

Exemple de représentation graphique d’une étude GWAS portant sur les calculs rénaux. Sarah A. Howles/Wikipedia, CC BY
Ces fausses conclusions ont de lourdes conséquences au plan clinique, car des outils de calcul de risque incorporant ces scores de risque erronés commencent à être mis à disposition des cliniciens. La validation de ces scores est faite uniquement sur les données en population, sans se soucier du fait qu’on a mélangé, pour les établir, des malades avec des étiologies différentes.

Les interprétations et comparaisons aberrantes qui ont trait au quotient intellectuel (QI) (dénoncées dès 1975 par Feldman et Lewontin et en 1978 par Jacquard dans « l’inné et l’acquis »)), sont un exemple frappant de dérive.

La variable QI avait été proposée à l’origine comme une mesure d’adéquation d’un enfant d’un âge donné à un programme scolaire donné : elle n’a de sens que lorsqu’elle est normée et moyennée dans un contexte homogène donné. Il ne s’agit pas d’une mesure universelle et intemporelle des capacités cognitives, voire de l’intelligence.

Même en se restreignant à la France, on ne peut pas comparer les performances en calcul mental d’enfants ayant aujourd’hui 9 ans avec ceux d’il y a un siècle, pour la simple raison qu’ils n’y ont pas été entraînés de la même façon… Par ailleurs, la différence entre deux enfants de même âge soumis à un même apprentissage scolaire dépend non seulement de leurs gènes, mais aussi de leur milieu culturel et des apprentissages antérieurs, préscolaires ou extrascolaires, etc. Le tout sans qu’il soit possible d’en évaluer les contributions respectives.

Malheureusement, de nombreuses études dites de « socio-génomique » font progresser, en s’appuyant sur les études GWAS, l’idée que nous sommes génétiquement prédéterminés à faire des études ou pas (l’idée étant que les variations génétiques influeraient sur la variable QI, dont on vient de rappeler les limites…).

Selon ce courant de pensée, nos capacités intellectuelles sont écrites dans notre génome. Largement diffusées tant par la presse scientifique que par les médias généralistes ou certains ouvrages comme ceux des psychologues Kathryn Paige Harden ou Robert Plomin, par exemple. Ces idées conduisent inéluctablement à se demander à quoi bon promouvoir une éducation pour tous quand certains y seraient, pour ainsi dire, « génétiquement imperméables »…

Les scores polygéniques sont aussi utilisés par certains pour différencier des populations sur des traits tels que l’intelligence, justifiant ainsi des visions racistes ou des comportements eugénistes.

On peut ainsi lire dans la revue « Intelligence » que les scores moyens de QI sont différents suivant les populations étudiées (4,4 pour les Chinois, 4 pour les Japonais, 3,7 pour les Européens et 2,3 pour une population d’Afrique). L’auteur en conclut que les facteurs génétiques contribuant à l’intelligence ont été soumis, lors des migrations, à une pression de sélection expliquant des taux d’intelligence différents dans différentes zones géographiques.

Lors de son discours présidentiel à l’American Society of Human Genetics, en 2015, son président le généticien Neil Risch a malicieusement souligné le manque de solidité de cette approche. Il a en effet calculé les scores de Craig Venter (pionnier du séquençage du génome humain) et de James Watson (co-découvreur de la structure de l’ADN) avec les SNPs de cette étude.

Résultat  : le score de James Watson s’est avéré légèrement inférieur à la moyenne européenne, tandis que celui de Craig Venter était égal à la moyenne de la population africaine… Neil Risch concluait avec humour qu’un score en dessous de la moyenne était suffisant pour obtenir un prix Nobel ou la Médaille des Sciences (médaille équivalente à notre médaille Field) !

Sur les mêmes concepts erronés, des entreprises privées donnent à de futurs parents la possibilité de choisir, parmi plusieurs embryons, celui qui minimise le risque de développer telle ou telle maladie (cancer du sein, schizophrénie, diabète…) et promettent même que, bientôt, il sera possible de sélectionner parmi ces embryons celui qui sera doté de la meilleure intelligence.

Un certain nombre d’auteurs, comme ceux du commentaire de Nature Genetics mentionné dans l’introduction de cet article, s’émeuvent à juste titre des dérives engendrées par cette vision de déterminisme génétique. Mais ils pointent uniquement les aspects éthiques et idéologiques, sans souligner que le problème est, à la racine, celui de l’acceptation aveugle d’un modèle génétique erroné et de l’interprétation abusive de marqueurs génétiques avec des associations.

Le débat scientifique peut être caricaturé en qualifiant d’« environnementalistes » ceux qui contestent la validité de prédictions génétiques. Pourtant, nier le bien-fondé de prédictions génétiques pour des traits ou maladies à étiologie complexe, ce n’est pas nier l’effet de facteurs génétiques sur nos traits. C’est seulement contester les hypothèses sur lesquelles reposent ces prédictions.

Pour terminer sur une note plus positive, soulignons que cette dérive de la génétique ne doit pas faire oublier l’apport précieux de ces nouvelles technologiques lorsqu’elles sont utilisées correctement. En particulier, des études qualifiées de « post-GWAS » ont permis de mettre en évidence le rôle de certains gènes ou de réseaux de gènes agissant en interaction dans la physiopathologie de maladies à étiologie complexe (cancers, maladies neurologiques…). Bien intégrées aux autres sources d’information, elles enrichissent les connaissances sur les processus pathologiques, et révèlent ainsi de nouvelles cibles thérapeutiques.




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