Politique- « La Provence » : encore un journal racheté par un grand financier
En rachetant « La Provence », le PDG du troisième armateur mondial se place dans la lignée de Gaston Defferre et de Bernard Tapie, anciens propriétaires du journal et hommes d’influence. M. Saadé dit vouloir « participer au rayonnement » de Marseille, mais ses intentions restent floues.
Une sorte de continuité de nature politique. Le patron de la CMA avait considérablement grossi en rachetant à bon compte la CGM grâce aux décisions de Juppé et à ses relations particulières avec le RPR. Aujourd’hui 80 % de la grande presse est détenue par des financiers sans doute pas pour des motifs philanthropiques ou démocratiques mais évidemment pour peser sur l’opinion. Pas étonnant si la plupart des grands médias se ressemblent et se caractérisent par des lignes électorales globalement proches du pouvoir et des grands intérêts NDLR
« Je ne veux ni racheter l’OM ni devenir maire de Marseille. » Les propos datent de janvier 2022, tenus au détour d’un entretien accordé au Monde par Rodolphe Saadé, dans son bureau au 30e étage de la tour CMA CGM, vue imprenable sur le port. Depuis, le président-directeur général du troisième armateur mondial a livré un duel acharné et arraché à un autre milliardaire, Xavier Niel [actionnaire à titre individuel du Monde], le journal La Provence, principal quotidien du Sud-Est. Pour 81 millions d’euros – une goutte dans l’océan des bénéfices vertigineux de plus de 15 milliards d’euros que réalisera son groupe en 2022 pour la deuxième année d’affilée – « Citizen Saadé », 52 ans, fait ses premiers pas dans le monde des médias. Et figurait dans la liste des candidats au rachat de la chaîne de télévision M6, que Bertlesmann a renoncée à vendre, lundi 3 octobre.
Rodolphe Saadé ne rêve ni de l’Olympique de Marseille ni de l’hôtel de ville. Mais en reprenant La Provence, il se place, qu’il le veuille ou non, dans les traces d’un ex-président du club de football, Bernard Tapie, et d’un ancien maire, le socialiste Gaston Defferre. Si ce dernier, historique propriétaire du Provençal et du Méridional, fusionnés en 1997 dans le titre actuel, utilisait les journaux pour contrôler l’expression politique dans sa ville et faire écho à sa propagande de campagne, l’homme d’affaires, lui, n’aura finalement pas mis son média au soutien d’un come-back électoral. La maladie l’a emporté le 3 octobre 2021.
A l’aune de ce passé récent, le rachat du grand quotidien marseillais par le premier employeur privé de Marseille – 2 900 des 150 000 salariés mondiaux de la CMA CGM y travaillent – pose la question du rôle de ce nouveau mastodonte dans les rapports de force politiques de la ville. En 2022, La Provence ne tire plus qu’à 70 000 exemplaires et a perdu près de 15 millions d’euros en deux ans. Sa stratégie numérique est confuse. Mais, même exsangue financièrement, forcé de vendre son siège historique début 2021 pour se renflouer, le quotidien reste un lieu de pouvoir.
Incontournable puissance locale
Si le plan de relance imaginé par Rodolphe Saadé, qui prévoit d’y injecter 50 millions d’euros, porte ses fruits, il peut récupérer rapidement une partie de son influence. Pour quel usage ? Difficile de le pronostiquer aujourd’hui. Le patron balaye tout objectif politique. Les « chicayas » marseillaises, stigmatisées par Emmanuel Macron dans son discours du 2 septembre 2021, semblent loin des préoccupations quotidiennes d’un entrepreneur qui, ces derniers mois, a finalisé l’acquisition d’un terminal maritime dans le port de Los Angeles, de 9 % du capital d’Air France-KLM et racheté le leader européen de la logistique automobile Gefco.