« La démondialisation de la finance » !!!
par Nicolas Mackel, PDG de Luxembourg for Finance, l’agence de développement de la place financière du Luxembourg.Joost Joossen
Un article pour affoler les investisseurs sur les risques de la démondialisation de la finance. En réalité un plaidoyer pour une mondialisation qui n’est pas prête de disparaître ! NDLR
La guerre que vivent, depuis plus d’un an, nos amis ukrainiens face à l’agression russe, entraîne également des mutations pour l’économie mondiale. Un changement qui perdurera bien au-delà de ce tragique conflit. L’offensive russe en Ukraine a créé une division entre les pays qui se sont déclarés totalement solidaires des victimes ukrainiennes et ceux qui ont préféré ne pas prendre parti. S’ensuivirent des débats autour de la nécessité de savoir qui étaient vraiment nos « amis », en vue de ne plus faire affaire qu’avec eux. Ce revirement radical ne sera pas sans risques pour l’économie mondiale.
Au fil des décennies, les entreprises ont mis sur pied des chaînes d’approvisionnement internationales très complexes, souvent fondées sur le principe du « juste à temps », toujours dans l’optique d’une efficacité maximale et d’une réduction des coûts, ce qui a profité in fine au consommateur occidental. Dans bien des cas, cette approche supposait de délocaliser les capacités de production en Asie, le plus souvent en Chine.
Dans un monde où les relations diplomatiques entre certains pays occidentaux et la Chine sont en train de se dégrader, les Etats-Unis et l’Europe ont brusquement pris conscience des dangers que représentaient ces chaînes d’approvisionnement et de production mondialisées. La nouvelle loi américaine Chips and Science Act peut être interprétée comme une expression manifeste de la volonté d’indépendance économique des Etats-Unis. Elle prévoit de mobiliser 280 milliards de dollars de financements publics pour convaincre les fabricants américains de semi-conducteurs de bâtir des capacités de production considérables sur leur territoire national. De son côté, la proposition de règlement européen sur les semi-conducteurs vise à faire la même chose dans l’Union européenne, avec une enveloppe de 43 milliards d’euros à investir dans les capacités de production de puces électroniques en Europe d’ici à 2030.
Nous sommes entrés dans une ère de « démondialisation », dans laquelle les moteurs de l’économie de marché à l’origine du développement de l’activité mondiale, depuis l’effondrement de l’Union soviétique et l’ouverture de la Chine, ont succombé aux craintes nées des failles rendues visibles par la pandémie et aux menaces que le nouvel ordre géopolitique fait planer sur la sécurité. Comme nous n’en sommes qu’aux prémices de ce bouleversement radical, il est difficile de prévoir où il nous mènera. Pourtant, nous pouvons déjà voir des premières tendances émerger.
Même si la quête d’une certaine autonomie pour des biens d’importance stratégique comme les semi-conducteurs ou les équipements médicaux est tout à fait justifiée, nous ne pourrons pas rapatrier la majeure partie des biens de consommation produits à l’étranger. La démondialisation des échanges commerciaux, et donc des risques liés à l’industrie manufacturière, aura immanquablement pour conséquence une démondialisation des flux financiers.
Or, depuis des dizaines d’années, le système financier s’est développé pour devenir le moteur extrêmement performant qu’il est aujourd’hui, capable d’orienter les capitaux d’investisseurs en quête d’un taux de rendement raisonnable établi dans une partie du monde vers une autre, en fonction des besoins. Ce phénomène s’est traduit par une baisse du coût du capital pour les entreprises à la recherche de financements, couplée à un meilleur rendement pour les commanditaires, tels que les fonds de pension. Ces flux sont à l’origine d’une accélération de la croissance, de créations d’emplois et de davantage de prospérité pour tous.
C’est aussi un système qui se révèle particulièrement utile aujourd’hui, à l’heure de cette révolution industrielle qui nous intime de décarboner nos économies et de nous libérer de la dépendance aux hydrocarbures. Nous sommes face à un chantier financier colossal : selon une étude du cabinet McKinsey, il devrait coûter 275 000 milliards de dollars d’ici à 2050, un investissement de nature à solliciter intensément le système financier mondial pendant des décennies, même s’il fonctionne dans les meilleures conditions d’efficience et de liquidité.
C’est pourquoi l’Occident doit réfléchir soigneusement à la manière dont il envisage la démondialisation et ne pas se satisfaire de solutions simplistes voire populistes. Nous n’atteindrons jamais les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique fixés par l’accord de Paris si nous entravons la libre circulation des capitaux, même si ce n’est qu’une conséquence de la démondialisation des échanges. Un monde financier interconnecté est d’une importance critique pour notre avenir à tous.
Nicolas Mackel est PDG de Luxembourg for Finance, l’agence de développement de la place financière du Luxembourg