Optimisation fiscale: la faute à Moscovici (Eva Joly)
, Eva Joly, revient sur l’évasion fiscale et n’épargne ni le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ni son commissaire aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l’Union douanière, Pierre Moscovici.
Comment jugez-vous le travail effectué par l’UE dans la commission « Taxe » dont vous faites partie?
Un travail transpolitique très important a été réalisé et beaucoup de champs ont été couverts. On s’est posé la question de savoir comment depuis 30 ans les États ont pu se priver de recettes fiscales aussi importantes. Notre mandat prend fin dans cinq semaines mais le travail n’est pas terminé. On veut notamment avoir accès à la retranscription des réunions du groupe dédié à ces questions qui a été créé en 1997, et qui dépend de la Commission européenne. Pour l’instant, la Commission nous refuse ces documents.
Plusieurs membres de la commission « Taxe » ont justement mis en cause la Commission européenne et notamment Jean-Claude Juncker, pour avoir failli à sa mission de gardienne des traités.
La Commission a été défaillante et cela ne date pas d’aujourd’hui. Il y a eu avant Juncker, dix ans de Barroso… Mais Jean-Claude Juncker, c’est vrai, n’a rien changé. Nous l’avons auditionné et il n’a pas pris cela très au sérieux. Il a dit que cette matière ne lui était pas inconnue, il a répondu à côté. Le ton n’y était pas. Ce n’est pas sa priorité. C’est terrible car le scandale « LuxLeaks » (il a révélé le contenu de centaines d’accords fiscaux très avantageux conclus avec le fisc luxembourgeois par des cabinets d’audit pour le compte de nombreux clients internationaux, Ndlr) a été insupportable à beaucoup de citoyens. Cela a entraîné une méfiance forte à l’endroit des politiques. Et elle n’est pas injustifiée puisque le seul qui doit répondre de ses actes pour avoir rendu public l’affaire est ce jeune lanceur d’alerte, Antoine Deltour. Il n’y a pas d’enquête sur les entreprises qui ont bénéficié de ces « rulings ».
Certains chefs d’États comme François Hollande ou Angela Merkel ont-ils été assez volontaristes sur ces questions ?
Pas assez. Mais j’en veux surtout beaucoup à Pierre Moscovici qui a fait une proposition en mars sur le reporting pays par pays (obligation de rendre transparents les profits et les impôts payés par les multinationales dans chacun des pays où elles sont implantées, Ndlr) et l’a limitée aux services fiscaux plutôt que de le rendre public. Rien ne l’y obligeait. Juncker était affaibli par le scandale « LuxLeaks », il n’aurait pas pu s’opposer à Moscovici. Ce n’est pas acceptable. Il a volontairement réduit la portée de cette proposition comme il l’a d’ailleurs fait s’agissant de sa loi sur la séparation bancaire en France qui ne sépare pas grand-chose. Il a fait le minimum syndical et surtout il a mal négocié au sein de la Commission car il avait les cartes en main. Des dizaines de personnes auraient fait mieux que lui.
Quelle sont selon vous les premières mesures à mettre en œuvre pour lutter contre l’optimisation fiscale ?
Il faut d’abord rendre public le reporting pays par pays et ne pas le cantonner aux seuls services fiscaux étatiques. Les citoyens ont le droit de savoir. Je pense aussi que nous devons très vite harmoniser l’impôt sur les sociétés à l’échelle européenne et mettre fin à la concurrence fiscale que se livrent les pays.
Comment jugez-vous le travail de l’OCDE qui vient d’adopter le programme Beps qui a pour but de lutter contre la localisation des profits des sociétés dans les paradis fiscaux ?
Cela va dans le bon sens. Pascal Saint-Amans (directeur du centre de politique et d’évasion fiscale de l’OCDE, Ndlr) fait un travail de qualité. Mais ces mesures sont limitées aux pays de l’OCDE et ne prennent pas assez en compte les pays en voie de développement. Je pense aussi qu’il faut taxer les multinationales comme entité sans passer par des mesures qui vont s’appliquer à chaque filiale. On cherche des solutions très complexes alors qu’il suffirait de cibler en priorité les multinationales. Après je sais bien que tout cela est difficile à mettre en œuvre.