Après la guerre douanière, la guerre monétaire
Pour résorber le déficit commercial américain et relancer l’industrie, Donald Trump ne compte pas s’arrêter aux droits de douane. La deuxième séquence de sa thérapie de choc devrait commencer bientôt : dévaluer le dollar, monnaie de référence mondiale. Un pari à très haut risque, selon de nombreux économistes.
par
Mathieu Viviani dans la Tribune
Donald Trump mercredi dernier, lors de sa grande conférence de presse où il a annoncé des droits de douane massif à l’ensemble des pays du monde.
Une petite « pancarte » sur laquelle figurent des droits de douane infligés à tous les pays du monde, des marchés qui dévissent en cascade… en seulement cinq jours, Donald Trump a instauré un climat d’incertitude économique majeure sur le globe. Et après ?
Le début de réponse se trouve dans cette phrase prononcée l’été dernier, dans une interview accordée à l’agence de presse financière Bloomberg : « Nous [Les États-Unis] avons un gros problème de taux change (…). Personne ne veut acheter nos produits parce qu’ils sont trop chers ! (…) C’est un fardeau énorme ».
Après le tsunami des droits de douane, la dévaluation du dollar serait donc la prochaine vague qui vient. Celle-ci fait même partie du plan élaboré par Donald Trump et inspiré par son jeune « économiste en chef », Stephen Miran, nouveau président du prestigieux conseil des conseillers économiques de la Maison-Blanche (CEA).
En quoi consiste la « doctrine Miran », en résumé ? Après une première salve massive de droit de douane assénée au monde, la suite du traitement est le suivant : mettre la pression sur les pays étrangers et les investisseurs privés afin qu’ils se délestent de leurs dollars. Ce qui mécaniquement ferait baisser sa valeur sur les marchés. Car encore aujourd’hui, le billet vert est surévalué à cause de son statut de monnaie de référence mondiale, et donc utilisé comme réserve et moyen de paiement majoritaire dans les échanges commerciaux.
Objectif visé par l’administration Trump avec cette méthode : n’étant plus surévalué, ce nouveau dollar faciliterait les exportations américaines, moins chères, et donc redonnerait des carnets de commandes aux industries du pays, plus à même de se mesurer à celles de la Chine. Autre ambition derrière cette doctrine : attirer davantage d’investissements d’entreprises étrangères aux États-Unis, car exporter des biens aux États-Unis, deviendra beaucoup plus cher, avec un dollar plus faible et des droits de douane élevés.
Mais dans le Financial Times, l’économiste américain Barry Eichengreen, professeur à l’université de Berkeley, ne croit pas à cette ambition : « L’incertitude politique et les doutes sur l’État de droit américain menacent de faire de l’Amérique un pays moins attractif pour investir. » Plus grave encore, cette thérapie de choc présente des risques massifs pour l’économie américaine. À commencer par l’inflation, qui pourrait bondir à 4,5 % cet été aux États-Unis, contre 2,8 % actuellement.
« D’autant plus que l’effet inflationniste de cette dépréciation et de ces droits de douane sur l’économie domestique va user l’opinion américaine autant que leur porte-monnaie. Trump pourrait se heurter à une forme d’épuisement social dès 2025 l’obligeant à infléchir ses positions », prévient dans le média The Conversation Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et l’Inseec.
De leurs côtés, les économistes d’Allianz Trade, sur le podium mondial des assureurs crédit aux entreprises, indique dans une analyse récente que les États-Unis ne pourront échapper à une récession, avec un recul de 0,5 % du produit intérieur brut (PIB) entre le premier et le troisième trimestre 2025. « Pire, juge Jean-Marie Cardebat. Ce n’est pas seulement la croissance américaine qui va ralentir, mais bien la croissance mondiale par effet de domino, affectant encore un peu plus les exportateurs européens. »
Un autre gros problème subsiste : la dette publique américaine, massive (environ 36 000 milliards de dollars, soit environ 100 % du PIB) est justement financée par les achats étrangers de bons du Trésor américain, en dollars, et donc gage de confiance. Si le billet vert est dévalué, que va devenir ce « privilège exorbitant », selon les mots Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la République française ?
Une note récente des économistes de la banque américaine Goldman Sachs tente d’y répondre : « Les tendances négatives de la gouvernance et des institutions américaines érodent le privilège exorbitant dont bénéficient depuis longtemps les actifs américains, ce qui pèse sur les rendements des actifs américains et sur le dollar, et pourrait continuer à le faire à l’avenir. » En d’autres mots, une perte de confiance envers la solidité du dollar, pourrait empêcher les États-Unis de continuer à financer le train de vie de son économie.
Las, Thomas Piketty, économiste français auteur de l’ouvrage à succès « Le capital au XXIe siècle », a donné ce mardi matin son analyse de la situation à l’AFP : cette politique commerciale et monétaire « ne va pas marcher : le cocktail trumpiste va simplement engendrer plus d’inflation et plus d’inégalités ».