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Enseignement: L’université et l’économie : quelle synergie ?

Enseignement: L’université et l’économie : quelle synergie ?

par
Valérie Revest
Professeure des universités en sciences économiques, centre de recherche Magellan, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3

Jean-Régis Kunegel
Docteur en économie, Université Lumière Lyon 2 dans The Conversation


Depuis le milieu du XXe siècle, les deux principales missions de l’université communément identifiées sont l’enseignement et la recherche. Cependant, il existe une troisième mission, moins connue, qui amènerait l’université à adopter une approche dite « entrepreneuriale », et qui depuis les années 2000 fait l’objet d’un engouement croissant.

Selon les partisans de la troisième mission, l’université doit s’engager – au-delà de ses fonctions d’éducation et de recherche – dans des activités entrepreneuriales, et avoir des impacts bénéfiques sur le développement socio-économique, notamment au niveau local. La troisième mission de l’université consiste ainsi à transférer des connaissances produites dans la sphère académique vers la société, au travers essentiellement de la valorisation de sa propriété intellectuelle, et d’activités d’essaimage, c’est-à-dire la création d’entreprises issues de connaissances universitaires.

Aux États-Unis, la volonté de soutenir la mission entrepreneuriale de l’université s’incarne au travers de la loi emblématique Bayh Dole votée en 1980. Ce texte a été répliqué, en partie, en France en 1999 avec la promulgation de la loi sur l’Innovation et la recherche, et de manière plus ou similaire dans d’autres états de l’Union européenne. Dans les tous les cas, il s’agit de construire des ponts entre d’un côté des savoirs universitaires et de l’autre côté des activités économiques et sociales.

Depuis les années 2000, on observe chez différents acteurs – politiques et économiques – un intérêt accru envers la dimension entrepreneuriale de l’université, la littérature académique notamment en sciences économiques et de gestion s’en est fait largement l’écho. Selon cette perspective, le transfert et la valorisation des connaissances académiques peuvent contribuer à la création d’entreprises, d’emplois, à l’émergence d’innovations (technologiques, organisationnelles, sociales…), et plus généralement à la croissance économique.

L’information fiable doit être accessible au plus grand nombre.

Parmi les critiques bien connues adressées aux universités, on retrouve l’argument selon lequel ces dernières seraient enfermées dans des tours d’ivoire, insensibles aux difficultés économiques et aux défis sociétaux. Ces reproches conduiraient à favoriser une ouverture des universités au monde extérieur.

Cependant, l’engouement pour une mission entrepreneuriale est loin de faire consensus au sein de la sphère académique. Nous pouvons regrouper les arguments contre une intensification des liens entre les universités et les activités marchandes dans deux sous-ensembles : premièrement, certains chercheurs restent sceptiques quant à la faisabilité des objectifs associés à cette troisième mission, même au niveau régional.

Deuxièmement, d’autres chercheurs font part de leurs craintes concernant la qualité de la recherche scientifique : la nature heuristique de la recherche pourrait être affectée par des pressions économiques venant du secteur privé. En d’autres termes, favoriser une recherche appliquée en lien avec des intérêts économiques de court terme pourrait perturber des processus de recherche fondamentale qui visent, à long terme, des répercussions favorables sur l’ensemble de la société et l’économie. Ce dernier argument fait référence au principe de sérendipité, c’est-à-dire de découverte liée au hasard, principe crucial pour de nombreux scientifiques.

Selon une croyance répandue, l’université entrepreneuriale serait un phénomène relativement récent. Ce terme est apparu en 1983 dans l’ouvrage d’Etzkowitz, qui, dès les années 1980, soulignait la mise en œuvre de transformations majeures dans le monde universitaire. Cependant, des traces de l’existence d’un intérêt porté par les universités à l’environnement économique sont en réalité très anciennes. Le premier signe d’une université dite entrepreneuriale remonte au XIe ou XIIe siècle en France, en Italie et au Royaume-Uni.

Au Moyen Âge, on observe déjà des liens robustes entre des universités et certaines sphères de l’activité économique. Un des objectifs associés à la création d’universités est alors la formation de professionnels qui seraient davantage compétents qu’une partie de l’administration royale et des élites.

Plus tard, à la Renaissance, le mécénat joue un grand rôle dans le financement de recherches scientifiques. De son côté, le début du XIXe siècle est marqué par l’apparition, outre-Rhin, du modèle de Humboldt qui met l’accent sur l’éducation et la recherche comme étant les deux activités clés des universités. L’université de Berlin, créée en 1810 sur la base de ce modèle est considérée comme l’une des institutions d’enseignement et de recherche les plus prestigieuses au monde, générant de nombreux prix Nobel et de célèbres étudiants, tels que Karl Marx, Max Weber, Arthur Schopenhauer, Albert Einstein et Otto von Bismarck. Le modèle de l’université de Berlin s’est largement répandu notamment en Europe continentale.

Néanmoins, au cours de la même période, on observe comme un contrepoids, l’émergence d’établissements d’enseignement supérieur purement utilitaristes axés sur l’enseignement, sans préoccupation pour la recherche. L’objectif principal de ces établissements est alors de répondre à des besoins industriels et sociétaux, c’est notamment le cas du modèle des grandes écoles en France.

Cependant, on peut relever le rôle clé joué par les universités lors de la première révolution industrielle : de nombreuses inventions émergent de collaborations entre les universités et l’industrie. Cela a notamment donné lieu à des avancées technologiques majeures apparues en Allemagne dans les secteurs de l’électricité et de la chimie. Au Royaume-Uni, au XIXe siècle, Lord Kelvin incarne à la fois un physicien reconnu et un membre de la direction de la filiale britannique de la société américaine Kodak. Un autre exemple illustre français demeure celui de Marie Curie, lauréate de deux prix Nobel, et à l’origine d’une toute nouvelle industrie.

Ce n’est qu’au cours du XXe siècle, après les deux guerres mondiales, un changement conséquent se produit avec l’apparition d’un certain éloignement entre le monde universitaire et le monde industriel. Les universités semblent moins enclines à se rapprocher des entreprises privées, notamment pour y trouver des financements. Cela est dû, au moins en partie, à la forte croissance, à la fois des activités économiques et de la richesse du monde occidental.

En Europe continentale, la perception selon laquelle les missions de recherche et d’éducation doivent être à la fois prépondérantes et corrélées devient une opinion dominante. En effet, à cette époque de nombreux opposants à la valorisation économique de la recherche affirment que recherche et formation représentent le modèle souhaité de ce que devrait être une université. Ils défendent ainsi un modèle d’université indifférent à toute préoccupation économique.

Finalement, si on considère les siècles passés plutôt que les dernières décennies, la période pendant laquelle les universités ont été étrangères à toute considération sociale et économique demeure assez limitée. Ainsi, il n’y aurait pas eu de passage récent d’un mode de production de connaissances purement académique à un mode plus utilitariste de production de connaissances, comme certains ont pu l’affirmer dès les années 1990. Ces deux modes co-existent simultanément depuis longtemps.

Cependant, leur poids, leurs influences respectives, et leurs configurations varient au cours du temps, en fonction de valeurs sociales, économiques et politiques. Aujourd’hui, les grands défis sociétaux auxquels nous sommes confrontés, tels que la transition écologique, le vieillissement de la population, la souveraineté technologique et industrielle, l’impact de la digitalisation et de l’intelligence artificielle (IA), appellent premièrement à un renouvellement de la réflexion sur les interactions au sein des universités entre recherche, enseignement et engagement entrepreneurial.

Deuxièmement, dans la continuité des travaux sur la recherche et l’innovation responsable (RIR), on peut également s’interroger sur l’importance de construire des relations fortes entre les universités d’un côté et la société de l’autre. En effet, face à des défis complexes, changeants, combinant des enjeux technologiques et sociétaux, et caractérisés par une forte incertitude, la question du rôle et des missions des organisations de création de savoirs tels que les universités, est plus que jamais d’actualité.

L’université et l’économie : quelle synergie ?

L’université et l’économie : quelle synergie ?

par
Valérie Revest
Professeure des universités en sciences économiques, centre de recherche Magellan, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3

Jean-Régis Kunegel
Docteur en économie, Université Lumière Lyon 2 dans The Conversation


Depuis le milieu du XXe siècle, les deux principales missions de l’université communément identifiées sont l’enseignement et la recherche. Cependant, il existe une troisième mission, moins connue, qui amènerait l’université à adopter une approche dite « entrepreneuriale », et qui depuis les années 2000 fait l’objet d’un engouement croissant.

Selon les partisans de la troisième mission, l’université doit s’engager – au-delà de ses fonctions d’éducation et de recherche – dans des activités entrepreneuriales, et avoir des impacts bénéfiques sur le développement socio-économique, notamment au niveau local. La troisième mission de l’université consiste ainsi à transférer des connaissances produites dans la sphère académique vers la société, au travers essentiellement de la valorisation de sa propriété intellectuelle, et d’activités d’essaimage, c’est-à-dire la création d’entreprises issues de connaissances universitaires.

Aux États-Unis, la volonté de soutenir la mission entrepreneuriale de l’université s’incarne au travers de la loi emblématique Bayh Dole votée en 1980. Ce texte a été répliqué, en partie, en France en 1999 avec la promulgation de la loi sur l’Innovation et la recherche, et de manière plus ou similaire dans d’autres états de l’Union européenne. Dans les tous les cas, il s’agit de construire des ponts entre d’un côté des savoirs universitaires et de l’autre côté des activités économiques et sociales.

Depuis les années 2000, on observe chez différents acteurs – politiques et économiques – un intérêt accru envers la dimension entrepreneuriale de l’université, la littérature académique notamment en sciences économiques et de gestion s’en est fait largement l’écho. Selon cette perspective, le transfert et la valorisation des connaissances académiques peuvent contribuer à la création d’entreprises, d’emplois, à l’émergence d’innovations (technologiques, organisationnelles, sociales…), et plus généralement à la croissance économique.

L’information fiable doit être accessible au plus grand nombre.

Parmi les critiques bien connues adressées aux universités, on retrouve l’argument selon lequel ces dernières seraient enfermées dans des tours d’ivoire, insensibles aux difficultés économiques et aux défis sociétaux. Ces reproches conduiraient à favoriser une ouverture des universités au monde extérieur.

Cependant, l’engouement pour une mission entrepreneuriale est loin de faire consensus au sein de la sphère académique. Nous pouvons regrouper les arguments contre une intensification des liens entre les universités et les activités marchandes dans deux sous-ensembles : premièrement, certains chercheurs restent sceptiques quant à la faisabilité des objectifs associés à cette troisième mission, même au niveau régional.

Deuxièmement, d’autres chercheurs font part de leurs craintes concernant la qualité de la recherche scientifique : la nature heuristique de la recherche pourrait être affectée par des pressions économiques venant du secteur privé. En d’autres termes, favoriser une recherche appliquée en lien avec des intérêts économiques de court terme pourrait perturber des processus de recherche fondamentale qui visent, à long terme, des répercussions favorables sur l’ensemble de la société et l’économie. Ce dernier argument fait référence au principe de sérendipité, c’est-à-dire de découverte liée au hasard, principe crucial pour de nombreux scientifiques.

Selon une croyance répandue, l’université entrepreneuriale serait un phénomène relativement récent. Ce terme est apparu en 1983 dans l’ouvrage d’Etzkowitz, qui, dès les années 1980, soulignait la mise en œuvre de transformations majeures dans le monde universitaire. Cependant, des traces de l’existence d’un intérêt porté par les universités à l’environnement économique sont en réalité très anciennes. Le premier signe d’une université dite entrepreneuriale remonte au XIe ou XIIe siècle en France, en Italie et au Royaume-Uni.

Au Moyen Âge, on observe déjà des liens robustes entre des universités et certaines sphères de l’activité économique. Un des objectifs associés à la création d’universités est alors la formation de professionnels qui seraient davantage compétents qu’une partie de l’administration royale et des élites.

Plus tard, à la Renaissance, le mécénat joue un grand rôle dans le financement de recherches scientifiques. De son côté, le début du XIXe siècle est marqué par l’apparition, outre-Rhin, du modèle de Humboldt qui met l’accent sur l’éducation et la recherche comme étant les deux activités clés des universités. L’université de Berlin, créée en 1810 sur la base de ce modèle est considérée comme l’une des institutions d’enseignement et de recherche les plus prestigieuses au monde, générant de nombreux prix Nobel et de célèbres étudiants, tels que Karl Marx, Max Weber, Arthur Schopenhauer, Albert Einstein et Otto von Bismarck. Le modèle de l’université de Berlin s’est largement répandu notamment en Europe continentale.

Néanmoins, au cours de la même période, on observe comme un contrepoids, l’émergence d’établissements d’enseignement supérieur purement utilitaristes axés sur l’enseignement, sans préoccupation pour la recherche. L’objectif principal de ces établissements est alors de répondre à des besoins industriels et sociétaux, c’est notamment le cas du modèle des grandes écoles en France.

Cependant, on peut relever le rôle clé joué par les universités lors de la première révolution industrielle : de nombreuses inventions émergent de collaborations entre les universités et l’industrie. Cela a notamment donné lieu à des avancées technologiques majeures apparues en Allemagne dans les secteurs de l’électricité et de la chimie. Au Royaume-Uni, au XIXe siècle, Lord Kelvin incarne à la fois un physicien reconnu et un membre de la direction de la filiale britannique de la société américaine Kodak. Un autre exemple illustre français demeure celui de Marie Curie, lauréate de deux prix Nobel, et à l’origine d’une toute nouvelle industrie.

Ce n’est qu’au cours du XXe siècle, après les deux guerres mondiales, un changement conséquent se produit avec l’apparition d’un certain éloignement entre le monde universitaire et le monde industriel. Les universités semblent moins enclines à se rapprocher des entreprises privées, notamment pour y trouver des financements. Cela est dû, au moins en partie, à la forte croissance, à la fois des activités économiques et de la richesse du monde occidental.

En Europe continentale, la perception selon laquelle les missions de recherche et d’éducation doivent être à la fois prépondérantes et corrélées devient une opinion dominante. En effet, à cette époque de nombreux opposants à la valorisation économique de la recherche affirment que recherche et formation représentent le modèle souhaité de ce que devrait être une université. Ils défendent ainsi un modèle d’université indifférent à toute préoccupation économique.

Finalement, si on considère les siècles passés plutôt que les dernières décennies, la période pendant laquelle les universités ont été étrangères à toute considération sociale et économique demeure assez limitée. Ainsi, il n’y aurait pas eu de passage récent d’un mode de production de connaissances purement académique à un mode plus utilitariste de production de connaissances, comme certains ont pu l’affirmer dès les années 1990. Ces deux modes co-existent simultanément depuis longtemps.

Cependant, leur poids, leurs influences respectives, et leurs configurations varient au cours du temps, en fonction de valeurs sociales, économiques et politiques. Aujourd’hui, les grands défis sociétaux auxquels nous sommes confrontés, tels que la transition écologique, le vieillissement de la population, la souveraineté technologique et industrielle, l’impact de la digitalisation et de l’intelligence artificielle (IA), appellent premièrement à un renouvellement de la réflexion sur les interactions au sein des universités entre recherche, enseignement et engagement entrepreneurial.

Deuxièmement, dans la continuité des travaux sur la recherche et l’innovation responsable (RIR), on peut également s’interroger sur l’importance de construire des relations fortes entre les universités d’un côté et la société de l’autre. En effet, face à des défis complexes, changeants, combinant des enjeux technologiques et sociétaux, et caractérisés par une forte incertitude, la question du rôle et des missions des organisations de création de savoirs tels que les universités, est plus que jamais d’actualité.

L’université se portent mieux qu’on le dit !

L’université se porte mieux qu’on le dit !

 

 

La publication du classement de Shanghaï, palmarès mondial des meilleures universités, a été suivie, en France, de commentaires dépréciant notre système d’enseignement supérieur, estime Pierre Veltz, dans une tribune au « Monde ». Selon l’ancien PDG de l’établissement public de Paris-Saclay Pierre Veltz,  l’université française se porte mieux qu’on ne l’admet.

En réalité, la tribune défend surtout le succès mérité de Paris-Saclay. Le reste de l’argumentation est faible pour défendre l’université en France NDLR

Pour les médias et une partie de l’opinion, le classement de Shanghaï a deux propriétés merveilleuses. Il permet d’expliquer une fois de plus que les classements internationaux ne peuvent pas vraiment s’appliquer à la France, qui est trop spéciale pour cela. Cela est vrai aussi pour le programme international pour le suivi des acquis des élèves : l’évaluation des performances scolaires conduite par l’Organisation de coopération et de développement économiques. Et, en même temps, ce classement considéré comme peu pertinent offre une occasion en or d’exercer notre sport national, l’autodénigrement.

Lors des dernières éditions, en 2020 et 2021, il avait bien fallu constater la remarquable percée de nos meilleures universités, en particulier de Paris-Saclay, seule université non anglo-saxonne à entrer dans le top 20, au milieu d’une cohorte d’universités américaines dont les moyens financiers et logistiques sont cinq à dix fois supérieurs (rapportés à l’étudiant). En 2022, divine surprise : nos trois champions nationaux perdent chacun quelques places ! Du même coup, la presse, quasi unanime, titre sur « le recul de nos universités ».

Où est le recul ? En 2022, comme en 2021, les universités françaises font bonne figure, avec les quatre franciliennes [Paris-Saclay, l’université Paris Sciences et lettres, Sorbonne Université et l’université Paris Cité], mais aussi Aix-Marseille, Grenoble, Strasbourg, Montpellier, et d’autres. Les trois premières universités allemandes (à Munich et à Heidelberg), ce pays proche où tout est fantastique, sont aux rangs 56, 57 et 70, très loin derrière les trois meilleures françaises. Celles-ci sont, avec l’université de Copenhague, les seules de l’Europe des Vingt-Sept à figurer dans le top 50.

Sylvie Retailleau, notre nouvelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, n’a pas crié cocorico, mais elle a constaté, avec bon sens, une « stabilité ». De fait, lorsqu’on regarde les résultats qui sous-tendent le classement, on voit que les écarts sont en réalité très réduits. Tous les utilisateurs de ce genre de classements (il y en a de multiples) savent que, d’une année à l’autre, de petites inversions sont possibles. Il y a très clairement un peloton de tête, 100 % anglophone (Harvard, Stanford, Massachusetts Institute of Technology, Oxford et Cambridge, Berkeley), et un deuxième groupe, américain, dans lequel s’est glissée Paris-Saclay. Bel exploit, en réalité. Rappelons-nous : en 2019, nous n’avions aucune université dans les trente premières mondiales. Et, à propos, qui a signalé que, au classement par disciplines, Paris-Saclay était première mondiale en mathématiques ?

Séparatisme»: le Sénat défend la laïcité à l’université et la gauche retombe dans l’islamogauchisme

 Séparatisme»: le Sénat défend la laïcité à l’université et la gauche retombe dans l’islamogauchisme

Tout ce que compte l’islamogauchisme  de l’écologie Esther Benbassa en passant par les socialistes et les communistes ont protesté contre les orientations du Sénat qui visent  à défendre la laïcité à l’université.

«On est en train de jeter l’opprobre sur tout ce qui se passe à l’université, ce qui s’est passé et ce qui se passera demain», a déploré Cécile Cukierman (CRCE-PC ), tandis que Sylvie Robert (PS) dénonçait «une forme de surenchère politique qui devient préoccupante parce que ça rate ça cible».

Le Sénat n’a en revanche pas adopté un amendement porté par Jérôme Bascher (LR) visant à interdire le port du voile, ou tout signe «ostentatoire ou prosélyte», à l’université. Un amendement qui a «fait froid dans le dos» du centriste Loïc Hervé et auquel se sont opposés aussi bien Jean-Michel Blanquer que Stéphane Piednoir. Pour le rapporteur, «la situation n’est pas comparable» à celle de l’école, notamment parce que les étudiants «sont de jeunes adultes» ! De toute évidence le fossé se creuse entre la représentation officielle de la gauche et l’opinion publique.

 

« Islamo-gauchisme » : le rôle de l’université

« Islamo-gauchisme » : le rôle de l’université

Comme en France, le gouvernement britannique tente de contrer les mouvances identitaristes soupçonnées d’étouffer le débat scientifique. Or, c’est aux chercheurs en sciences sociales qu’il  appartient de se consacrer à un travail de cohérence interne, estime le sociologue, Alexis Artaud de La Ferrière dans une tribune au « Monde ».(Extraits)

Tribune.

 

Intellectuellement, je vis entre la France et l’Angleterre. Une des conséquences de cette double appartenance : je suis témoin des résonances entre les paniques morales qui troublent périodiquement les systèmes universitaires de ces deux pays.

Actuellement en France, le sujet est celui de l’« islamo-gauchisme »Ce phénomène serait d’une telle gravité que, le 16 février, la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, en appelait au CNRS d’établir un bilan de l’ensemble des recherches en France afin d’identifier les activités qui relèveraient du militantisme. Evidemment, cette sortie provoqua une levée de boucliers chez mes collègues français qui y discernent une ingérence inquiétante de la part d’un gouvernement qui s’enfonce progressivement dans une dynamique de plus en plus sécuritaire.

 

Alors que les associations et les cultes sont visés par le projet de loi « contre le séparatisme », les chercheurs seraient désormais un corps social de plus à être capturé par cette machine infernale de la sécurisation – machine dont le gouvernement se veut le pilote, mais qui est en réalité animée par le spectre de l’islamisme. 

En Angleterre, ce débat trouve son pendant. Ce même 16 février, le secrétaire à l’éducation, Gavin Williamson, annonça une proposition de loi afin de renforcer la liberté de parole dans les universités anglaises. De prime abord, cette initiative semble aller à rebours de celle de Frédérique Vidal. Mais en réalité, c’est bien la même cible qui y est visée, à travers une stratégie plus subtile. M. Williamson cherche à contrer une certaine expression politique qui serait en passe d’étouffer le débat scientifique dans le pays. Cette expression est celle des nouvelles mouvances de gauche donnant voix à des revendications de reconnaissance identitariste centrées autour de l’ethno-racial, du genre autodéterminé, du désir sexuel, ou du religieux.

 

Ces mouvances sont productrices de nouvelles notions qui animent les sciences sociales (intersectionnalité, décolonialité, constructivisme social accru), accompagnées d’une série de pratiques qui visent à réordonner l’économie politique de la parole dans le monde académique. Le « no-platforming » [pratique consistant à boycotter ou à faire désinviter un conférencier], le « online shaming » [humiliation en ligne], l’interruption de manifestations scientifiques : autant d’actions qui peuvent susciter interrogation dans le milieu universitaire. 

«L’Université ne doit pas être un lieu de fanatisme » ( Frédérique Vidal)

«L’Université ne doit pas être un lieu de fanatisme ». ( Frédérique Vidal)

La ministre de l’enseignement supérieur persiste et signe pour dénoncer l’islamo-gauchisme dans une tribune .

Comme universitaire, jamais je n’ai eu de difficultés à enseigner la théorie de l’évolution, la sélection naturelle ou le dernier état de la recherche scientifique à mes étudiants. L’université m’a rendue libre de le faire et précisément, cette liberté est l’un des biens les plus précieux de notre République. Elle est la condition indispensable de l’émancipation de notre jeunesse, elle est le meilleur rempart face au fanatisme islamiste et à toutes ces forces qui travaillent à défaire notre société dans la violence, la terreur et la haine de l’autre.

L’université est un héritage précieux. Elle est la liberté institutionnalisée, dans nos territoires et dans les esprits.

« Parce que la liberté d’expression et les libertés académiques sont indissociables, l’université questionne et irrite parfois, tous ceux qui confondent préjugés et certitudes, tous ceux qui rejettent l’altérité, le doute et l’esprit critique »

Liberté face à l’église dès le Moyen-Âge, lieu des franchises face aux pouvoirs qui se sont succédé dans notre pays depuis plus d’un millénaire, l’université a noué un pacte avec la République. C’est la République qui, la première, a reconnu la liberté académique comme le corollaire indispensable de la liberté d’expression. C’est la République qui garantit à chaque professeur, à chaque maître de conférences, à chaque enseignant de pouvoir librement enseigner le produit de ses recherches, de transmettre une connaissance scientifiquement établie avec méthode, esprit critique et raison. Dans le même sens, nos savants, nos professeurs ont toujours répondu à l’appel pour accompagner des générations d’étudiants, contribuer à leur émancipation par la connaissance et faire rayonner notre pays.

Si la France est le pays des Lumières, l’institution universitaire est bien la torche de l’éclaireur devant l’obscurité de l’ignorance. C’est à l’université que sont formés nos enseignants et c’est en ce lieu qu’ils reçoivent comme un héritage à transmettre aux plus jeunes, à l’école, les valeurs et les principes de la République : la liberté d’expression naturellement comme la tolérance et le respect qui sont au cœur de notre conception de la laïcité. Samuel Paty était l’un des milliers d’enseignants dépositaires de cet héritage et l’ensemble du monde universitaire et de la recherche s’est associé à l’hommage que le président de la République, et à travers lui toute la France, lui a rendu pour rappeler le lien indéfectible qui nous rattache à la République, à ses valeurs, son histoire et la promesse d’émancipation qu’elle porte pour notre jeunesse.

Parce que la liberté d’expression et les libertés académiques sont indissociables, l’université questionne et irrite parfois, tous ceux qui confondent préjugés et certitudes, tous ceux qui rejettent l’altérité, le doute et l’esprit critique. Le débat démocratique appuyé sur des faits établis par la science n’est jamais acquis, il s’apprend, il se transmet. Souvent avec bonheur, parfois dans la difficulté.

« La liberté des universités, c’est d’être affranchie de toute idéologie ou de représentation de la vérité qui ne soit pas scientifiquement démontrée et étayée par les faits »

Confrontation d’idées. A cet égard, les derniers mois avant le confinement ont été marqués par des conférences perturbées ou annulées au nom de telle ou telle cause. A chaque fois, avec l’appui de leurs enseignants-chercheurs, les présidents d’université les ont reprogrammés. A chaque fois, ils ont trouvé le soutien de leur communauté scientifique comme celle de mon ministère. La tolérance et l’écoute entre les étudiants s’apprennent à l’université. Chaque jour, des milliers d’événements dans les universités et les établissements d’enseignement supérieur font vivre ensemble liberté d’expression et liberté d’enseigner. C’est cela, la tradition universitaire française, n’en déplaise à tous ceux qui espèrent instrumentaliser les étudiants ou les enseignants-chercheurs au service d’une ambition politique.

La tradition universitaire française, c’est aussi la confrontation d’idées venant de tous les continents analysées au prisme de la controverse scientifique. Notre culture scientifique s’enrichit de ces apports et des débats qu’ils suscitent, comme notre recherche française enrichit d’autres pays car la science ne connaît pas de frontières. Ce qui est certain, c’est que l’extrémisme y est étranger par essence et qu’en dernière analyse, toutes nos forces de recherche se retrouvent toujours autour du respect des valeurs de la République qui rendent possible le déploiement, dans notre pays de la méthode scientifique. La liberté des universités, c’est d’être affranchie de toute idéologie ou de représentation de la vérité qui ne soit pas scientifiquement démontrée et étayée par les faits.

L’université n’est ni la matrice de l’extrémisme, ni un lieu où l’on confondrait émancipation et endoctrinement. L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du fanatisme. Elle est, au contraire, le lieu où s’apprennent le doute comme la modération ainsi que la seule de nos institutions capable d’éclairer l’ensemble de la société, de l’école aux médias, par une connaissance scientifiquement établie, discutée et critiquée collégialement. Elle est le lieu dans lequel les étudiants apprennent à questionner et dépasser leurs préjugés par la raison scientifique. Démocratiser l’accès à cette connaissance est l’une de nos meilleures armes pour faire reculer l’obscurantisme islamiste comme toutes les formes de radicalités qui travaillent à saper notre société.

« Avec Jean-Michel Blanquer, nous avons, pour la première fois, créé un pont entre l’enseignement supérieur et l’enseignement secondaire à travers la transformation du premier cycle »

Chacun le sait, la recherche n’est pas responsable des maux de la société, elle les questionne, elle les analyse, elle déplie leurs causes sous-jacentes pour nous permettre d’y faire face. L’université a des choses à nous apprendre sur les radicalités qui s’expriment dans notre société. Elle a des choses à nous dire pour combattre le fanatisme islamiste. C’est tout le sens du discours du président de la République s’agissant de la lutte contre les séparatismes. Notre pays dispose de forces de recherches internationalement reconnues en sciences humaines et sociales, notamment dans le domaine de l’islamologie qui est un fleuron national, au moins depuis la Révolution française. Nous irons plus loin en ce sens avec l’aide des historiens, des sociologues, des politistes, des géographes, des juristes, des économistes, bref de tous ceux qui travaillent à nous permettre de comprendre notre société, notre pays, le monde qui nous entoure et les interactions qui en découlent.

Avec Jean-Michel Blanquer, nous avons, pour la première fois, créé un pont entre l’enseignement supérieur et l’enseignement secondaire à travers la transformation du premier cycle. Nous pouvons aller plus loin et rapprocher davantage l’université de l’école pour venir en appui aux enseignants. Les spécialistes des humanités, de toutes les disciplines, qui permettent d’ouvrir le dialogue autour du sens, peuvent apporter des outils concrets à nos enseignants pour les aider à surmonter les difficultés qu’ils rencontrent pour enseigner et faire vivre la liberté d’expression dans leurs classes.

Notre tradition universitaire est une force face à la menace islamiste qui a trop de fois frappé notre pays. Nos enseignants-chercheurs et nos chercheurs sont en première ligne pour comprendre ce qui est à l’œuvre et comment le combattre, justement parce qu’ils sont libres et qu’ils ne réduisent pas leurs travaux à des formules convenues.

La République est plus forte lorsque l’université est reconnue et écoutée pour ce qu’elle est, c’est-à-dire le cœur battant de notre liberté, telle qu’elle s’est construite pendant des siècles dans notre pays.

l’ « islamo-gauchisme » : décoloniser l’Université

l’ « islamo-gauchisme » : décoloniser l’Université

Stéphane Dufoix, professeur de sociologie à l’Institut Universitaire de France, analyse les accusations d’ »l’islamo-gauchisme » dont fait l’objet l’université française dans une tribune au JDD.

 

L’Université est en émoi. Le 16 février 2021, devant l’Assemblée nationale, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a confirmé la mise en place d’ »un bilan de l’ensemble des recherches » en lançant, rapporte Le Monde, une enquête scientifique sur « l’islamo-gauchisme » pour identifier, selon elle, ce qui relève de la recherche ou du militantisme. Ce nouveau développement et l’ingérence du politique dans la recherche semblent faire suite à une série de polémiques visant à pointer du doigt le travail des chercheurs et des courants de recherche non hégémoniques.
Ainsi cet hiver, une tribune rassemblant cent universitaires a entrepris dans Le Monde de défendre les propos Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale sur l’ »islamo-gauchisme » mais aussi sur le risque que représentent :  »les idéologies indigéniste, racialiste et ‘décoloniale’ (transférées des campus nord-américains), « bien présentes » dans les universités et y « nourrissant une haine des “Blancs” et de la France. » Cela sonne comme une litanie. Au cours des deux dernières années, généralement à l’automne, un groupe d’intellectuels et d’universitaires publie dans un quotidien ou dans un magazine un texte collectif mettant en cause l’emprise qu’aurait acquise au cours des dernières années, à l’Université et dans le monde intellectuel au sens large, une « nébuleuse » politique et idéologique se présentant sous les oripeaux de la science.

 

En novembre 2018, c’est sa « stratégie hégémonique » qui est mise en accusation dans Le Point. En décembre 2019, dans L’Express cette fois-ci et à l’instigation de Pierre-André Taguieff, les « bonimenteurs du postcolonial business » se voient reprocher de voir du colonialisme partout et de rechercher une « respectabilité académique » au sein de l’Université française. En janvier 2021, enfin, est créé un « Observatoire du décolonialisme », formé par soixante-seize universitaires, et dont l’objectif serait de « mettre un terme à l’embrigadement de la recherche et de la transmission des savoirs. ».

Des simplifications politiques, historiques et intellectuelles

Il ressort de ces différents textes et propositions au moins trois points communs associés à cette « nébuleuse » :

  1. « Une emprise hégémonique » : la « matrice intellectuelle » (pour reprendre l’expression utilisée par Jean‑Michel Blanquer) en question serait dominante dans les sciences sociales françaises et aurait pris possession des universités et des grandes écoles. L’institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) s’est ainsi trouvé au cœur d’une polémique au mois d’août 2020 lorsque fut publiée sur son compte Instagram la liste des « lectures d’été » recommandées, dont plusieurs portaient sur la question de l’anti-racisme et du « privilège blanc » aux États-Unis. Certains journaux ont alors pris le parti de fustiger ce choix comme étant au contraire une promotion pour des groupes véhiculant des propos « racialistes » ou « racistes ». Ce fut le cas, entre autres, de Valeurs actuelles, du Figaro-étudiant et de Marianne.
  2. Un projet anti-Occident : cette matrice aurait une cohérence propre, une homogénéité dont le propre serait d’essentialiser les identités, de vouloir tout genrer, racialiser, ethniciser dès l’instant que cela permet de mettre en cause les Blancs, les Européens ou les Occidentaux.
  3. Une pensée étrangère : elle proviendrait des « campus nord-américains », véritables pourvoyeurs de pensées essentialisantes où les identités s’articulent à des « communautés » (de race, de genre, de sexualité, de confession, d’ethnicité etc.) selon un modèle « multiculturaliste ».

Parmi les nombreuses tribunes soulevant ces points, une phrase du polémiste Eric Zemmour résume l’idée générale. Il s’attaque au livre Les impostures de l’universalisme du militant et universitaire Louis-Georges Tin comme modèle du « substrat de l’idéologie qui règne aujourd’hui sur l’université française (venue d’Amérique) ». Or ces partis pris et ces postures, souvent plus militantes qu’académiques, occultent une histoire intellectuelle plus longue et plus complexe.

Postcolonial, décolonial : comprendre les mots

Les mots « postcolonial » et « décolonial » apparaissent dans le milieu des sciences sociales respectivement au début des années 1980 et au début des années 1990, avant tout en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Ils reflètent une pensée visant essentiellement à changer de regard pour tout à la fois constater la prédominance de la pensée politique, culturelle, économique et sociale du monde occidental et lui opposer d’autres grilles de lectures possibles.

S’ils ont depuis acquis un poids académique non négligeable dans de nombreuses parties du monde, y compris en Allemagne par exemple, ils occupent essentiellement en France une place médiatique et politique, mais leur enseignement est encore bien rare. Il l’est d’autant plus qu’il ne convient guère à l’organisation largement disciplinaire de l’enseignement supérieur en France alors que les études en questions sont largement pluri- et inter-disciplinaires.

On ne peut d’ailleurs pas mettre dans le même panier académique la très grande pluralité à l’œuvre dans le monde des études postcoloniales (surtout si l’on sort de France). De même, certains des mouvements concernés peuvent fonder leur légitimité propre sur leur différence par rapport à d’autres courants généralement considérés comme totalement identiques. Ainsi, les études décoloniales se sont consciemment structurées autour du refus des références jugées trop « occidentales » des études postcoloniales.

Mais tous ces courants œuvrent au décentrement de la pensée et à la prise en compte des cultures et des pensées populaires. On pense ainsi aux Cultural Studies britanniques ou Subaltern Studies indiennes. Les chefs de file des Subaltern Studies, par exemple Ranajit Guha, ont proposé d’analyser des moments de l’histoire indienne à travers le regard des groupes les plus marginalisés ou les plus dominés comme les paysans, les intouchables, les femmes etc., à l’encontre des récits « colonialistes » ou « nationaliste » de cette même histoire.

Le propre des différents courants que nous avons mentionnés ci-dessus est de vouloir changer le regard porté sur la réalité en le rendant plus complexe, moins eurocentrique, moins hégémonique et moins élitiste.

Penser autrement le monde et ceux qui l’habitent

La question de l’intersectionnalité, remise en cause par Jean-Michel Blanquer, est ainsi un concept qui permet de dé-essentialiser, soit ne pas réduire à une seule catégorie, les individus et collectifs dont on discute/sur lesquels on porte un regard. C’est d’ailleurs bien cet argument qui est mis en avant par un collectif de revues de SHS dans un texte collectif publié dans Le Monde du 4 novembre lorsque l’accent est mis sur le fait qu’elle est « précisément l’un des outils critiques de la désessentialisation du monde social ».

C’est grâce à ces concepts et à ces théories qu’il devient notamment possible de penser autrement le phénomène des décolonisations en ne les voyant pas uniquement comme des phénomènes de libération d’une domination politique, économique et militaire, mais aussi en les saisissant comme des processus plus longs impliquant également une « décolonisation de l’esprit ». En effet, le colonial – comme régime de domination – a toujours impliqué, pendant le temps de l’occupation, une dévalorisation, voire une véritable entreprise de démolition des savoirs « indigènes » au profit des savoirs du colonisateur.

La prétendue origine nord-américaine

Il est impossible de limiter les approches critiquées dans ces tribunes à une origine nord-américaine. Comme le soulignent les auteur·e·s de la contre-pétition « Pour un savoir critique et émancipateur dans la recherche et l’enseignement supérieur » :  »Cette “accusation” prêterait à sourire si elle ne sous-entendait pas que toute forme de réflexion s’inspirant et se nourrissant d’ailleurs serait par principe suspecte. » Elle témoigne également d’une grande méconnaissance des mécanismes de circulation internationale des idées ainsi que de l’ampleur de la présence quasi-mondiale de ces études.

Comment ne pas y voir aussi la trace de l’opposition entre « républicains » et « démocrates », échafaudée par Régis Debray dès 1989 pour opposer les républicains, partisans des Lumières et de l’universalisme, aux démocrates, partisans des minorités et du modèle des commmunautés. Cette opposition permet depuis trente ans aux néo-républicains français, rassemblés autour de la nécessité de lutter contre l’intégrisme musulman et de défendre les valeurs républicaines, de s’opposer au modèle dit « démocrate » et « multiculturaliste » des États-Unis et d’ériger ainsi la France en parangon de l’universalisme, réactivant par là même un anti-américanisme déjà très implanté historiquement.

Sortie du modèle binaire à l’université

Le Manifeste des 100 propose ce que nombre de chercheurs perçoivent comme des simplifications et un dangereux glissement vers une conception du monde manichéenne, à l’encontre de ce que défendent justement les sciences sociales : quiconque ne se prononce contre le supposé « islamo-gauchisme » serait ainsi un défenseur du terrorisme ou, à tout le moins, le promoteur d’une société racialisée et ethnicisée. Or, nombreux sont les chercheurs et chercheuses en sciences sociales qui refusent ce modèle binaire tout en s’élevant fermement contre tous les fondamentalismes. La liberté et l’ouverture de la science sont à ce prix.

Les auteurs de la tribune « Cette attaque contre la liberté académique est une attaque contre l’État de droit démocratique », publiée dans Le Monde du 4 novembre 2020, ont raison d’insister sur l’absurdité qu’il y aurait à considérer que « les terroristes auraient été guidés par des « ‘études décoloniales’ dont ils ignorent l’existence ». Véritable « idéicide » au sens où l’entend l’historien et politiste Achille Mbembe, ce processus a impliqué de facto une quasi-ignorance des auteurs les plus originaux – ce qui n’empêche nullement de critiquer leurs travaux – de ces différents courants ou au moins une réelle réticence à les rendre accessibles au public français, sur les tables des libraires comme sur les bancs des amphithéâtres.

Si les noms d’Edward Saïd, de Stuart Hall ou de Paul Gilroy ont acquis une certaine visibilité en termes de traductions ou de commentaires, c’est loin d’être le cas pour la Bolivienne Silvia Rivera Cusicanqui, le Péruvien Aníbal Quijano, l’Américaine Gloria Evangelina Anzaldúa, l’Argentin Walter Mignolo ou le Mexicano-Argentin Enrique Dussel pour ne prendre que des exemples en provenance du continent américain.

« Esprits captifs » et « esprits captateurs »

On peut aller encore un peu plus loin. Dans un article publié en 1974 dans la Revue internationale des sciences sociales, le sociologue malaisien Syed Hussein Alatas réfléchissait à la manière dont ses étudiants à Singapour étaient en réalité des « esprits captifs », prisonniers de concepts et de théories élaborés en Occident, et qui les reproduisaient au point de devenir eux-mêmes des « esprits captateurs » pour de futurs « esprits captifs ».

Ce qui est vrai pour une société colonisée l’est tout autant pour une société colonisatrice. Les formes de savoir, d’enseignement et d’apprentissage héritées de notre histoire impériale n’ont pas disparu. Elles sont encore présentes : « esprits captifs » de notre propre légende, nous sommes aussi des « esprits captateurs » envers nos étudiants en réduisant largement leur horizon à celui de la France. Il nous faut aussi décoloniser nos sciences sociales.

Un autre universalisme à inventer

Le mot fait peur, là aussi. Depuis quand « décoloniser » est-il devenu un mot abject? Depuis quand serait-il incompatible avec les valeurs de la science? Si l’universalisme scientifique ne prend en compte les propriétés culturelles et sociales ni des individus ni des idées, comment peut-il dans le même temps fustiger les campus nord-américains ou bien dénoncer les positions « idéologiques » de chercheurs en sciences sociales?

Il y a ici une contradiction dans les faits parce que les défenseurs de l’universalisme ne font pas ce qu’ils affirment pourtant défendre et qu’ils n’admettent pas qu’il puisse exister plusieurs définitions de l’universalisme, alors que l’immense majorité des auteurs non-occidentaux (Anouar Abdel-Malek, Alberto Guerreiro Ramos, Paulin Hountondji etc.) ayant critiqué l’ »injustice épistémique » de la domination occidentale ne l’ont pas fait au nom d’un simple repli sur eux-mêmes mais au nom d’un autre universalisme à inventer.

D’ailleurs, la question compliquée de la décolonisation des sciences sociales implique de se saisir de deux dimensions qu’interdit une version radicale de l’universalisme : la capacité à « situer » socialement ce que disent et ce que font les acteurs sociaux, ainsi que la nécessité de faire preuve d’une bonne connaissance de l’histoire, comme le rappelait il y a peu Jean‑François Bayart à propos de la dénonciation de l’islamo-gauchisme.

En 1976, Pierre Bourdieu réfléchissait à la manière dont le passé de la « science » coloniale constituait un des obstacles épistémologiques principaux à la « véritable décolonisation de la science sociale d’une société récemment décolonisée » et il fut loin d’être le seul à utiliser cette expression qui n’est en rien l’apanage de mouvements politiques récents.

Plusieurs programmes de décolonisation de la sociologie, de la philosophie ou de l’anthropologie existent désormais – notamment depuis le mouvement Rhodes Must Fall en Afrique du Sud en 2015 – dans plusieurs pays européens, en particulier en Angleterre – à la LSE, à SOAS, à Oxford ou à Cambridge – en essayant de poser franchement sur la table les enjeux que posent l’ouverture des cursus, pour les rendre plus ouverts à des courants de pensée non-occidentaux, et des canons pour élargir l’espace des références à des auteurs non-occidentaux.

Dans une tribune publiée par Libération le 26 octobre 2020, Pierre-André Taguieff écrit que :  »Les querelles de mots ne doivent pas nous empêcher de voir la dure réalité, surtout lorsqu’elle contredit nos attentes ou heurte nos partis pris. »

La réalité du terrorisme est insupportable. Qui le nie au sein des sciences sociales françaises? Personne, sans doute. Mais les mots ne sont pas pour rien dans notre compréhension ou notre incompréhension de ce qui se passe autour de nous. Ils ne peuvent en aucun cas se trouver confisqués au nom d’une vision scientifique, intellectuelle et politique simpliste et largement ignorante des idées dont elle prétend parler. Pour être vigilants, ouvrons l’œil, mais aussi les œillères.

Société-Crise de l’Université : le dualisme grandes écoles et universités

Crise de l’Université : le dualisme grandes écoles et universités

 

 

Dans une interview au Figaro, Marie Duru-Bellat  explique certains éléments de la crise de l’université notamment le dualisme grandes écoles et université mais aussi la mode de la « diplomite » en France et indirectement le manque de sélection dans l’université.  Marie Duru-Bellat est sociologue, spécialiste des inégalités au sein de l’éducation. Elle a récemment participé à l’ouvrage collectif Altergouvernement (Le Muscadier, 2012).

Au-delà des problèmes de coûts de la scolarité, la vrai inégalité ne se situe-elle pas entre université et grandes écoles?

 

Lorsqu’on touche aux Grandes Ecoles, on crie souvent que l’excellence française est assassinée, et on a bien vu la réaction des jeunes de prépas lorsque l’Etat a souhaité baisser les salaires des professeurs .

La France a un système unique au monde. D’un côté les Grandes Écoles, qui paraissent plus attractives pour les jeunes, et de l’autre l’Université, qui est actuellement un second choix pour de nombreux étudiants. Notre faiblesse internationale en matière de recherche s’explique sans doute en partie par cette dichotomie: les meilleurs étudiants français vont dans les Grandes Écoles, et délaissent l’Université. Les premières ont donc le plus de moyens – rappelons qu’elles sont extrêmement favorisées par l’Etat -, les meilleures étudiants, et siphonnent la force vive de la recherche universitaire. Le problème vient, de plus, des lobbys qui défendent les Grandes Ecoles, extrêmement valorisées par nos décisionnaires politiques: il est probable que la majorité des parlementaires ont un enfant dans ces écoles, et il est donc impossible de mettre fin à cette dichotomie structurelle! De nombreuses tentatives avaient déjà été mises en œuvre pour réformer ce système, mais elles ont toutes échoué. Lorsqu’on touche aux Grandes Ecoles, on crie souvent que l’excellence française est assassinée, et on a bien vu la réaction des jeunes de prépas lorsque l’Etat a souhaité baisser les salaires des professeurs, qui sont pourtant les fonctionnaires les mieux payés aujourd’hui! Les lobbys sont donc organisés pour lutter contre toute modification du système.

 

Vous avez écrit un livre intitulé «l’inflation scolaire»: les soucis d’égalité s’est-il transformé en égalitarisme, finalement contre-productif? Faut-il introduire une forme de sélection à l’université?

 

De très nombreux jeunes diplômés arrivent sur un marché du travail où ils peinent à trouver la place qu’ils espéraient, malgré leur excellente formation. En réalité, l’ouverture de l’enseignement supérieur est due aux injonctions européennes, pour que les jeunes européens soient le mieux armé possible face à la compétition internationale. Cette thèse a surtout été très défendue dans les années 2000. Aujourd’hui, cependant, on revient quelque peu sur cette politique, car multiplier les diplômes ne suffit pas pour faire baisser le chômage des jeunes, pour créer des emplois qualifiés. On arrive donc à un déclassement, où de très nombreux jeunes diplômés arrivent sur un marché du travail où ils peinent à trouver la place qu’ils espéraient, malgré leur excellente formation. Ce problème est en réalité mondial, on le retrouve aux Etats-Unis ou à Cuba… On croit au pouvoir magique de l’instruction. Cela explique le désenchantement actuel. Les jeunes sont, pour beaucoup, trop qualifiés, trop diplômés par rapport au marché du travail. L’Union Européenne et l’OCDE mettent donc aujourd’hui l’accent sur la formation tout au long de la vie, plutôt que l’accumulation de diplômes et les études très longues.

 

«L’islamo-gauchisme dans l’université»

«L’islamo-gauchisme  dans l’université»

 

 

- Le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, qui a créé à la Sorbonne une formation de «référent laïcité», appelle dans le Figaro à prendre des mesures contre l’activisme islamiste, soutenu par l’extrême gauche, que l’on constate à l’université.

- «Le poisson pourrit par la tête», a déclaré Jean-Michel Blanquer, évoquant «des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits.» Partagez-vous l’inquiétude du ministre de l’Éducation nationale?

Pierre-Henri TAVOILLOT. - Je suis surtout sidéré que le monde académique ne mobilise pas aujourd’hui toute son énergie pour éviter qu’advienne dans l’université ce qui est tragiquement arrivé dans le secondaire. Au lieu de cela, le premier réflexe est d’accuser de chasse aux sorcières et de maccarthysme ceux qui tentent de proposer des instruments permettant de lutter contre l’islamisme et contre le terreau qui lui est favorable. C’est ahurissant! Par quoi la liberté académique est-elle le plus menacée aujourd’hui? Est-ce vraiment par une Grande Inquisition d’État ou par la montée des idéologies hostiles aux valeurs de la République?

Pour moi la réponse est claire, mais je suis surpris de voir que ceux-là

Un « plan d’investissement massif » pour l’université (Thomas Piketty)

Un « plan d’investissement massif » pour l’université (Thomas Piketty)

Thomas Piketty réclame un « plan d’investissement massif » pour l’enseignement supérieur français après les « six mois de blanc complet » dans les universités liés au confinement imposé par la crise du covid19.

Avec l’épidémie, « il y a eu six mois de blanc complet, qui viennent après un début d’année très chahuté par les grèves sur les retraites. Aujourd’hui, on a besoin d’un plan d’investissement massif » pour l’université déclare M. Piketty dans un entretien au Journal du Dimanche durant lequel il estime que la situation de la jeunesse représente le « plus grand gâchis depuis dix ans ».

« Le nombre d’étudiants a augmenté de 30% mais le budget de l’enseignement supérieur n’a absolument pas suivi. Les places disponibles, en particulier en IUT et BTS pour les bacheliers technologiques, sont insuffisantes. Elles sont prises par des bacheliers généraux qui eux-mêmes fuient un système mal financé. C’est un gâchis gigantesque », dénonce l’économiste, qui est directeur d’études à l’ Ecole des hautes études en sciences sociales et professeur à l’Ecole d’économie de Paris.

Il fustige aussi un « double discours avec d’un côté la start-up nation et l’innovation, et de l’autre la paupérisation de l’enseignement supérieur »« Le budget total des universités, hors recherche, stagne autour de 12-13  milliards d’euros depuis dix ans. En récupérant les 5  milliards d’euros perdus » lors de la suppression de l’Impôt sur la fortune (ISF) et la flat tax, on augmenterait de 40 % leurs moyens, estime-t-il.

 

Voile à université : le gouvernement bredouille

Voile à université : le gouvernement bredouille

Vals pas opposé à l’interdiction du voile à l’université, la ministre de l’université, Fioraso (au fait c’est qui ?) si ! La grande cohérence quoi ; les français, eux ,ont tranché : pas de voile pour 78%. On attend Hollande qui va sans doute d’abord tourner autour du pot comme sur le chômage avant de reconnaître mais un peu tard que la seule priorité devait être le chômage. Curieux raisonnement que celui de ce ministre inutile de l’enseignement supérieur (pourquoi pas un ministre des crèches, un autre des maternelles, un pour le primaire, un pour le secondaire ?). Le voile est interdit dans le secondaire pas dans l’université, pourquoi ? La ministre de l’Enseignement supérieur ne veut pas de « polémique » sur le sujet. Geneviève Fioraso. Vendredi sur France Inter, la ministre a évoqué un faux débat.  »Aucune université n’a saisi le ministère à ce sujet : c’est donc que ça ne pose pas de problème. Qu’on n’invente pas des problèmes là où il n’y en a pas », a-t-elle déclaré. La publication lundi par Le Monde d’un rapport du Haut conseil à l’intégration (HCI), réclamant l’interdiction du foulard islamique dans l’enseignement supérieur a créé la polémique, avant que l’Observatoire national de la laïcité et l’université ne le récusent formellement. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, estime pourtant vendredi dans Le Figaro que l’ensemble des propositions HCI étaient  »dignes d’intérêt » Interrogé sur BFMTV, le ministre de l’Intérieur a précisé que, sans vouloir se « prononcer à ce stade sur le fond », certaines situations « mériteraient d’avoir plus de cohérence » : « dans les universités c’est possible, dans les IUT c’est interdit… », a-t-il dit.  »Je suis partisan d’une laïcité qui nous permet de vivre ensemble, qui permet d’émanciper les femmes », a-t-il encore déclaré. Mais « laissons travailler l’Observatoire de la laïcité (…), il faut prendre le temps (…) et surtout chercher le consensus le plus large possible », a-t-il précisé. Du « temps », c’est également ce que réclame sa collègue Geneviève Fioraso.  »Ne nous précipitons pas, ne faisons pas une polémique d’un sujet qui n’en est pas un », a conseillé la ministre de l’Enseignement supérieur en soulignant que « l »université, ce n’est pas comme le collège ou le lycée, il s’agit de jeunes majeurs« . Pour la ministre, « l’université est le lieu de rencontres de l’ensemble des cultures ». La France a banni en 2004 le port de signes religieux ostentatoires dans les établissements secondaires par une loi qui ne concerne pas l’enseignement supérieur. A l’université, le niqab, ou voile intégral, est interdit, mais le foulard autorisé. Le Défenseur des droits Dominique Baudis a souhaité cette semaine que la loi de 2004 soit « précisée ».  »C’est cette cohérence qui doit être recherchée, avec du temps et sans stigmatiser personne », a insisté Manuel Valls sur BFMTV. Même au sein de l’équipe gouvernementale, le débat ne fait pourtant que commencer.

A.

 




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