Les conséquences pour l’Europe de la politique Trump
Hausse des droits de douane aux États-Unis, la remise en cause du dispositif réglementaire international pour les banques, la fin des appuis américains, l’accroissement des incertitudes macro financières, etc. Quels sont les risques sur l’économie européenne ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.( dans « La Tribune »)
Le nouveau président des États-Unis a affirmé que les droits de douane, essentiellement des taxes à l’importation, créeront davantage d’emplois dans les industries, diminueront le déficit public, baisseront l’inflation et permettront au gouvernement de réduire les impôts. Une telle démarche ne va-elle pas impacter fortement l’économie américaine ? La BCE s’inquiète, l’Europe doit-elle avoir peur ?
- Droit de douane. Le droit de douane occasionne pour le pays importateur deux effets divergents. L’un est une augmentation des prix aboutissant à une réduction de la demande.
L’autre est une modification dans la redistribution des revenus : il apporte des recettes supplémentaires pour l’État importateur qui diminuera le déficit public. Il accroit les profits des entreprises importatrices et réduit le pouvoir d’achat des consommateurs.
Le but recherché est d’attirer les entreprises étrangères à produire sur place ou à protéger les entreprises locales contre un dumping dû à une surproduction du pays exportateur. L’État importateur est doublement gagnant, car il évite de subventionner son industrie et protège ses emplois. L’approche Trump 2.0 est-elle meilleure que l’IRA Inflation Reduction Act du Président Biden qui a mis en place subventions à la production, obligation d’acheter américain, allégements fiscaux qui ont eu des effets très néfastes sur l’économie européenne ?
- Immigration et dette publique. L’augmentation des prix sera visible si le droit de douane est très élevé et que le pays exportateur garde ses coûts ou sa marge. Dans ce cas le déficit fédéral américain ne peut être réduit. Si le produit ne reste pas moins cher à l’importation, les entreprises exportatrices seront tentées de venir produire localement. Au vu du coût de la main-d’œuvre américaine, l’opération risque de ne pas atteindre le but recherché. Pour l’atteindre, le nouveau président pourrait faire appel à une main-d’œuvre étrangère, moins chère. Une politique d’immigration contraire à celle qu’il défend ;
- Inflation, réduction des impôts et Banque centrale américaine. Si la politique du droit de douane exerce une pression très forte sur les prix, l’inflation par l’importation peut repartir à la hausse. Pour enrayer l’inflation, la Banque centrale américaine FED, devra arrêter d’abaisser ses taux directeurs, voire même les augmenter. L’inflation et l’augmentation des taux directeurs imposeraient un frein supplémentaire aux fabricants américains. Le pouvoir d’achat des consommateurs sera de nouveau réduit. Il faudra alors réduire de nouveau les impôts pour les entreprises et les consommateurs pour compenser leurs revenus, créant ainsi une dette publique supplémentaire ;
- Le dollar et l’euro. Une autre façon de penser le lien entre les importations et les exportations passe par le marché des changes. Lorsque les droits de douane augmentent le prix des marchandises importées aux États-Unis, la demande diminue. La baisse de la demande des biens Européens exportés se traduit par une baisse de la demande de devises étrangères et renforce le dollar américain. Un dollar américain plus fort rend également les exportations américaines relativement plus chères sur les marchés internationaux, réduisant la demande de produits américains en Europe. Un dollar plus cher c’est un euro moins cher. La différence de change peut compenser une partie ou la totalité de l’augmentation du droit de douane.
Les droits de douanes injustifiés sont en réalité préjudiciables pour les États-Unis et l’Europe. Les produits deviendront plus chers pour les Américains et moins chers en Europe. Si l’UE réplique par des droits de douanes sur certains produits importés par les États-Unis, il y aura un impact négatif sur les entreprises locales européennes. En réalité, c’est mieux de trouver un accord tarifaire dans l’intérêts des deux parties. L’Europe a déjà une quarantaine d’accords commerciaux signés sur tous les continents. Un nouvel accord doit être signé avec les États-Unis en espérant qu’il ne subisse pas le même sort que le TTIP/TAFTA. En effet, durant le premier mandat de Donald Trump, l’accord avait échoué en raison de l’opposition de l’opinion publique européenne et celle de Trump qui ne voulait plus de libre-échange.
De plus, les droits de douanes :
- peuvent perturber les flux commerciaux mondiaux, en entravant particulièrement l’échange de technologies vertes en aggravant les défis économiques existants ;
- créent une érosion de l’intégrité du système commercial mondial en affaiblissant le respect des règles commerciales convenues au niveau international ;
- pourraient entraîner une aggravation des tensions commerciales et une instabilité politique accrue.
- La réélection de Donald Trump sera favorable aux entreprises avec des mesures de réduction d’impôts et de déréglementations, notamment dans le secteur de la finance. Le futur président vise à éliminer certains points de Bâle III. Pour les banques et les sociétés financières, il permettra de réduire les exigences de leurs fonds propres et d’évaluer leurs propres risques. Les banques pourront s’engager plus facilement dans les fusions-acquisitions. Le résultat sera une plus grande concentration du marché dans les mains des grandes banques américaines.
La règle d’exigence d’un taux de couverture de liquidité (LCR) impose aux banques américaines, à l’international, de détenir suffisamment de trésorerie pour couvrir 100% des risques tels que des taux plus élevés, etc. La remise en cause de cette exigence de Bâle III peut provoquer en Europe à une nouvelle crise financière à l’image de la crise de 2008.
La nouvelle administration Trump est prête à ébranler les réglementations. Quels organismes seront les plus touchés ?
La FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation), agence indépendante du gouvernement des États-Unis, a été créée en 1933 à la suite de la Grande Dépression. Sa principale mission est d’assurer la stabilité du système bancaire américain et de protéger les dépôts des particuliers (250 000 dollars) dans les banques membres. Ses revenus proviennent des primes d’assurance sur les dépôts détenus par les banques et associations d’épargne assurées etc. La future équipe gouvernementale devrait alors réexaminer certaines pratiques de la FDIC en ce qui concerne la résolution des défaillances bancaires.
L’OCC (Bureau du contrôleur de la monnaie), nommé par le président, est financé par les banques elles-mêmes qui doivent payer des frais d’examen et de traitement. Il dispose de nombreux pouvoirs dont ceux de refuser les demandes de création de nouvelles succursales bancaires, de révoquer les directeurs de banque et même de prendre des mesures de contrôle à l’encontre des banques. Avec la préférence de la nouvelle équipe gouvernementale pour les cryptoactifs et les technologies émergentes, un changement certain sera opéré en termes d’approche politique ou de supervision.
Le Bureau de protection des consommateurs en matière financière CFPB, chargé de protéger les consommateurs du secteur financier, sera la cible du président élu Trump. Il pourrait utiliser la loi sur la révision du Congrès pour revenir sur certaines règles publiées par le CFPB. Avant même son arrivé à la Maison-Blanche, le milliardaire Elon Musk, chargé de simplifier la bureaucratie américaine dans la prochaine administration Trump, a appelé à « supprimer le CFPB ».
Avec la réélection de Donald Trump, l’Ukraine devra peut-être bientôt s’adapter à une réduction spectaculaire du soutien américain. Cette réélection met en lumière l’aide militaire et financière que l’Ukraine pourrait attendre de l’Union européenne.
L’Europe est endettée jusqu’en 2058. Pour aider l’Ukraine, les chefs d’État et de gouvernement de l’UE ont approuvé à l’unanimité une aide de 50 milliards d’euros. Cette aide passera dans le budget pluriannuel européen 2021-2027. L’Union européenne a mis sur pied un plan de relance Covid-19 de 806,9 milliards d’euros, 750 milliards d’euros au prix de 2018 (NextGenerationEU). Ce plan octroie des subventions (338 milliards d’euros) et des prêts pour soutenir les réformes et les investissements (385 milliards d’euros) dans les États membres de l’UE. Ils ont décidé de s’endetter en commun et de rembourser cet emprunt de 2028 à 2058.
Depuis février 2022, le début de la guerre d’agression menée par la Russie, l’UE et ses États membres ont fourni environ 124 milliards d’euros pour venir en aide à l’Ukraine et à sa population (environ 277 euros par habitants). Pendant cette même période, le Congrès américain a mis à disposition de l’Ukraine 183 milliards de dollars (environ 517 euros par habitants). Si la guerre continue, malgré le plan Trump pour arrêter le conflit et si les États-Unis arrêtent l’aide à l’Ukraine, l’Europe doit emprunter environ 330 milliards d’euros pour soutenir l’Ukraine en 2025-2026.
L’accroissement des incertitudes macro financières avec des marchés financiers américains qui vont encore dominer le monde l’an prochain. Dans une économie américaine pro-business et dirigée par un Président MAGA (Make America Great Again), faut-il suivre la suggestion de la Présidente de la Banque centrale européenne : acheter américain pour éviter une guerre avec Trump ?
Avec l’élection de Donald Trump, il a un accroissement des incertitudes macro-financières et géopolitiques, les perspectives européennes seront affaiblies avec une capacité interne amoindrie à réagir. Il est admis que pendant cette présidence, l’Europe ne sera pas une grande puissance au sens d’un ensemble politico-militaire capable de faire jeu égal avec les États-Unis.
L’Europe doit se réunir rapidement, se muscler et mobiliser son épargne. « En travaillant ensemble et en réunissant nos richesses, nous pouvons accomplir de grandes choses » Ronald Reagan.
« Il devient urgent de secouer l’apathie générale, pour monter des mécanismes de défense. Les Américains sont en train d’acheter la biscuiterie française. [...] Les décisions se prennent de plus en plus aux États-Unis. Il y a un véritable transfert de souveraineté. [...] Les vues du Pentagone sur la stratégie planétaire, les vues du business américain sur l’économie mondiale nous sont imposées. »
Charles de Gaulle, propos recueillis par Alain Peyrefitte, 04 janvier 1963, C’était de Gaulle.