Dette publique– la dérive jusqu’à quand ?
En 2022 la dette représentée 111,6% du PIB, celle de l’Allemagne 66,3%. Avant la crise financière de 2007, ces ratios étaient respectivement de 65% et 64%.
La trajectoire de la dette en France est bien plus alarmante qu’il n’y paraît. Explications d’après Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l’Essec
Marc Guyot et Radu Vranceanu Dans la Tribune
Fin 2022, la dette publique de la France au sens de Maastricht représentait la bagatelle de 2.950 milliards d’euros (INSEE) soit 111,6% du PIB, dont 2.300 milliards euros de dette négociable de l’État (France Trésor). Pour avoir un ordre de grandeur réel de cette somme, elle correspond à 350 centrales nucléaires nouvelle génération. De son côté, la dette publique de l’Allemagne représente 66,3% de son PIB alors qu’en 2007, avant la grande crise, les dettes françaises et allemandes étaient respectivement 65% et 64% du PIB.
Faut-il s’inquiéter de la dynamique d’endettement de la France ? Comme l’a rappelé Olivier Blanchard dans son discours en tant que Président de l’Association américaine de Sciences économiques en 2019, si le ratio de la dette en proportion du PIB demeure stable ou diminue, le niveau de la dette lui-même ne devrait pas être un sujet d’inquiétude. Tant que la dette n’est pas remboursée, elle augmente tous les ans du montant du taux d’intérêt auquel le pays s’est endetté. De son côté, le PIB en valeur augmente naturellement à un certain taux de croissance, qui combine inflation et croissance réelle. Ainsi, en l’absence de déficit public, le ratio de la dette en proportion du PIB diminue si la vitesse d’augmentation de la dette est plus faible que la vitesse d’augmentation du PIB, c’est-à-dire si le taux d’intérêt est plus faible que le taux de croissance du PIB. En présence d’un déficit public positif mais stable, le ratio de la dette au PIB ne diminue pas, mais fini par se stabiliser si le taux d’intérêt est plus faible que le taux de croissance.
A ce jour, les taux d’intérêt des emprunts français à 10 ans seraient d’environ 3%, tandis que la croissance nominale (la croissance réelle augmentée de l’inflation) a été d’environ 8% en 2022. Peut-on conclure que la condition de stabilité est remplie ? Clairement non si on compare bien les taux d’intérêt futur et la croissance nominale future et non la croissance nominale passée.
Plus en détail, nous observons que la dette négociable de l’Etat français à une maturité d’environ 8,4 ans. Une partie de cette dette a été contractée à des taux proches de zéro, aussi, dans l’immédiat, l’inflation permet de réduire le ratio dette sur PIB. En revanche, cette logique ne n’applique pas aux 12% de cette dette composée d’obligations indexées sur l’inflation.
Le temps du repas gratuit est néanmoins compté. Le gouvernement doit emprunter tous les ans quelques centaines de milliards d’euros (270 milliards pour 2023) pour renouveler la part de la dette qui arrive à échéance. De leur côté, les taux longs (aujourd’hui proches des 3%) devraient augmenter car la BCE ne peut pas encore déclarer victoire dans la lutte contre l’inflation. En termes de croissance réelle, celle-ci devrait être faiblarde sur la décennie à venir. La vision optimiste de l’agence France-Trésor la situerait à un niveau légèrement inférieur à 2% jusqu’en 2027. La vision pessimiste comme suggéré par le scénario de Fitch la situe plutôt à un taux moyen de 1,1%. Bien que l’inflation reste encore élevée, elle devrait retomber vers la cible de 2% d’ici à trois ans (la Commission européenne prévoit 2,8% d’inflation en zone euro pour 2024). Avec ces données, la condition nécessaire d’un taux d’intérêt inférieur au taux de croissance nominal pour la stabilité de la dette n’est remplie que de justesse, avec des taux d’intérêt de 3% et une croissance nominale de 4% dans le scénario de Fitch). Dans ces conditions, l’émergence d’un doute sur la stabilité financière du pays suffirait à faire apparaitre une prime de risque à même de pousser les taux d’intérêt au-delà du taux de croissance nominal. Ce risque s’est d’ores et déjà matérialisé d’une part avec l’élargissement du spread avec l’Allemagne qui est passé à 0,5% contre 0,3% lors des 2 années précédentes. C’est cette logique qui est mise en avant par l’agence de notation Fitch quand elle a dégradé la dette française à AA- en avril.
Un autre argument sur lequel s’appuient les optimistes est la perte de valeur de marché des obligations de long terme lorsque les taux d’intérêt augmentent. Une hausse des taux longs de 3% correspond à une dépréciation de 25% des obligations d’Etat en tant qu’actif financier. Selon les optimistes, ceci devrait alléger le fardeau de l’Etat. En réalité, l’État français devra rembourser la dette à sa pleine valeur faciale puisqu’il ne compte pas la racheter avant échéance, en vendant par exemple, des actifs comme la Tour Eiffel ou le Palais de l’Elysée.
L’incapacité de la France à équilibrer ses comptes a souvent été présentée par les autorités françaises comme une posture raisonnable face à la nécessité d’assurer les investissements publics et un niveau de service public de qualité, notamment en termes de santé publique et d’éducation nationale. De fait, cela peut sembler plus important que suivre des règles budgétaires mesquines édictées par les technocrates sans âmes de Bruxelles. Malheureusement, ces dépenses vertueuses mises en avant pour justifier déficits et endettement cachent une réalité effrayante. En janvier 2023, le Fonds monétaire international (FMI) a publié un rapport sur l’efficacité de l’utilisation des dépenses publiques en France. La comparaison avec un groupe de pays européens de références est atterrante. Beaucoup de gaspillage dans l’utilisation des ressources et des objectifs qui ne sont pas atteints. Ce résultat est conforme au bon sens. Plus il est facile de s’endetter moins il y a de rigueur dans la dépense. Inversement la discipline budgétaire oblige à l’efficacité dans la dépense publique. Il est à craindre que ce gouvernement ne soit pas plus capable d’améliorer l’efficacité des services publics que ses prédécesseurs. En revanche, il veut nous en donner à croire avec sa campagne de communication baptisée « en avoir pour ses impôts ».
La réforme des retraites est emblématique de l’incapacité du gouvernement à maîtriser la dépense publique en dépit de sa touchante volonté d’y parvenir. Des mois de travail puis des mois de conflit à l’Assemblée et dans la rue, une grosse perte de popularité pour accoucher d’une réformette qui permettra d’économiser quelques dizaines de milliards. Le compte n’y est pas même si la bonne intention y est, et il faut reconnaitre que le signal est positif. En revanche, la réduction des impôts pour les classes moyennes et la « Bidenisation » de l’intervention publique avec déluge de subventions sur les secteurs décrétés priorité nationale vont dans le mauvais sens. Oui, la réindustrialisation du pays est un objectif important, mais cela passe d’abord par la réforme du marché du travail vers davantage de flexibilité et la simplification administrative et fiscale.