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« “Gilets jaunes” d’abord une crise pouvoir d’achat » (Julia Cagé)

« “Gilets jaunes” d’abord une crise pouvoir d’achat » (Julia Cagé)

Julia Cagé (Professeure d’économie à Sciences Po Paris) considère   que le mouvement actuel est le résultat d’une politique de classe menée par Emmanuel Macron (extraits interview le Monde)

« Combien de « gilets jaunes » supplémentaires faudra-t-il pour que le gouvernement se rende compte de ce qui est en train de se jouer sous ses yeux ? Et dont il est responsable, contrairement à ce qu’il prétend. Car la crise que connaît actuellement la France n’est pas une crise du prix du carburant, dont les fluctuations sont, il est vrai, largement dues à la situation géopolitique internationale. L’essence n’a été que le combustible d’une allumette dont la flamme grossissait depuis de longs mois : la crise des « gilets jaunes » est une crise du pouvoir d’achat. Une crise dont on pourrait presque s’étonner qu’elle n’ait pas explosé plus tôt, dès les premiers mois du quinquennat, quand Emmanuel Macron a diminué les aides au logement et reporté l’exonération de la taxe d’habitation ; ou il y a quelques semaines, depuis Marseille, tant l’effondrement mortel des immeubles insalubres témoigne de l’abandon dont sont victimes les classes populaires.

« Certains voudraient voir dans le mouvement des “gilets jaunes” une crise du consentement à l’impôt. Ce sont les plus riches qui ont fait sécession et refusent de payer l’impôt »

La crise des « gilets jaunes » est une crise du pouvoir d’achat. Un pouvoir d’achat qui a diminué pour les Français les plus modestes, du fait des politiques mises en œuvre par le gouvernement. Au même moment, conséquence directe de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et de l’introduction d’un prélèvement forfaitaire unique sur le capital – qui implique entre autres choses que les plus riches n’ont pas, contrairement à l’ensemble des Français et notamment des petits retraités, fait face à l’augmentation de la CSG sur les revenus du capital –, le pouvoir d’achat des 1 % les plus favorisés a augmenté de 6 %, quand celui des 0,1 % les plus favorisés a augmenté lui de 20 %, comme l’a très bien montré une étude de l’Institut des politiques publiques. »

La politique de Macron correspond aux intérêts de ceux qui l’ont financé » (Julia Cagé)

La  politique de Macron correspond aux intérêts de ceux qui l’ont financé » (Julia Cagé)

L’’économiste Julia Cagé analyse les ressorts de cette campagne, en déduit des conséquences sur la politique du Président et fait ses propositions pour réinventer la démocratie. 

 

Le JDD a révélé dimanche que la campagne d’Emmanuel Macron avait été financée essentiellement par de riches donateurs. Est-ce un phénomène isolé?
Les partis politiques font campagne auprès de ceux qui les financent. J’ai montré dans mon livre Le prix de la démocratie (Fayard) que plus un parti a de moyens plus il a de chances d’emporter une élection. Le financement des partis politiques a toujours été un phénomène de classe : ce sont principalement les plus riches qui financent les campagnes politiques et très souvent à la hauteur du plafond légal (7.500 euros par an et par personne pour les dons aux partis, 4.600 euros pour les dons aux campagnes). Ce n’est pas propre à Emmanuel Macron, ni à la France. Les plus modestes donnent moins par manque de ressources. Mais le financement de la campagne d’En Marche est tout de même un cas particulier. Macron a été candidat pour un nouveau parti et ne pouvait donc pas toucher d’argent public. Il a fait encore plus d’efforts que les autres partis pour lever des fonds privés. Il n’a  pas arrêté de dire qu’il n’utilisait pas l’argent des contribuables mais c’est faux. Depuis le début de sa création, En Marche a perçu 13 millions d’euros mais 8,6 millions proviennent de l’argent de l’ensemble des contribuables suite aux exonérations d’impôts sur les dons qui sont mises en place par l’Etat. Au total, seuls 4,5 millions d’euros ont été véritablement à la charge des donateurs.

Les partis de droite bénéficient-ils d’autant de dons privés que les partis de gauche?
Il existe une constante quels que soient les pays et les différences de plafond : les partis les plus à droite et les plus conservateurs économiquement reçoivent systématiquement plus de dons privés que les partis les plus à gauche. De ce point de vue, en France, c’est assez frappant à quel point En Marche apparaît comme un parti de droite.

Vous établissez une corrélation entre la politique mise en place par Emmanuel Macron et l’origine du financement de sa campagne
Oui, Emmanuel Macron a principalement fait campagne auprès des Français les plus riches et tout particulièrement des Parisiens. Et ce sont les mêmes qui l’ont financé. Il a mis en place une politique qui correspond à leurs intérêts. Ce qui a eu un impact direct sur les décisions qu’il a prises, notamment fiscales. Il a fait des cadeaux fiscaux aux personnes les plus aisées et a instauré le prélèvement forfaitaire unique sur le capital. Des mesures qui coûtent près de 8 milliards d’euros par an à l’Etat. Or après avoir dépensé de tels montants pour les plus favorisés, l’Etat n’en a plus pour la majorité des citoyens, il a donc diminué les APL, gelé un certain nombre de prestations sociales, reporté l’exonération de la taxe d’habitation, etc.

Dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis, il n’y a pas de somme maximum légale pour les dons aux candidats. Pour que les campagnes soient plus équitables, vous avez théorisé la mise en place d’un plafond de versement aux partis à 200 euros par personne contre 7.500 euros actuellement. Pourquoi?
7.500 euros, c’est la moitié du salaire annuel d’une personne qui gagne le SMIC. Il faut limiter le plafond des dons pour ré-égaliser les citoyens devant le financement des partis. 7500 euros, c’est une somme tellement élevée que cela créé une réelle inégalité politique, entre la minorité qui peut contribuer avec un montant élevé et la grande majorité des Français qui ne peut pas  participer. Ce n’est pas parce qu’on a un système qui marche sur la tête aux Etats-Unis qu’on peut ne pas instaurer un plafond moins élevé en France. Les élections présidentielles américaines en 2016 étaient les premières financées sans aucun argent public depuis 1974. On ne peut pas établir un rapport de cause à effet direct entre ces financements et l’élection de Trump mais c’est néanmoins symptomatique ; toute la vie démocratique américaine est désormais capturée par l’argent privé.

Vous souhaitez également la mise en place de « bons pour l’égalité démocratique ». En quoi cela consiste-t-il?
Tous les ans, en cochant une case sur sa feuille d’imposition, chaque personne aura la possibilité d’allouer 7 euros d’argent public au mouvement politique de son choix. Il ne s’agit pas d’un apport personnel mais d’argent public. Si le citoyen ne souhaite pas financer un parti, la somme sera répartie entre les différents partis en fonction des résultats obtenus aux dernières législatives. Ce système permettrait à tout le monde de participer. Actuellement moins d’ 1% des ménages financent un parti chaque année. Or, parmi les 0,01% des Français aux revenus les plus élevés, ils sont 10%. Rendre égaux les citoyens devant le financement de la démocratie, c’est le seul moyen de résoudre la crise de la représentation des Français, que l’on retrouve actuellement dans le mouvement des gilets jaunes. Aujourd’hui nous ne sommes plus dans un système 1 personne=1 voix mais dans un système 1 euros=1 voix. Il est temps de rétablir un peu de démocratie.

Concentration des médias : danger ( Julia Cagé)

Concentration des médias : danger ( Julia Cagé)

 

Titulaire d’un doctorat à l’université Harvard et professeure d’économie à Sciences-Po Paris, Julia Cagé pointe les dangers d’une concentration de médias autour d’industriels multimillionnaires. L’auteur du livre Sauver les médias (Seuil, 2015), appelle à une réforme des lois encadrant le pluralisme de l’information dans une interview à la Tribune.

 

Actuellement, le paysage médiatique se recompose autour d’industriels (Bolloré, Dassault, Lagardère, Arnault) et de certains magnats des télécoms (Drahi, Niel, Bouygues), tandis que les groupes de presse indépendants disparaissent les uns après les autres. Cette situation met-elle en danger le pluralisme des médias ?

JULIA CAGE - Cette concentration est dangereuse et vraiment inquiétante pour le bon fonctionnement de la démocratie française. Elle nous dit une chose : il est urgent de repenser les lois qui encadrent le pluralisme des médias. L’appareil législatif anti-concentration est daté. La dernière loi date de 1986, une éternité quand on sait qu’on ne consommait pas d’information sur Internet à l’époque ! Il faut donc une nouvelle loi qui devrait s’attaquer à plusieurs problèmes.

D’une part, éviter une concentration excessive pour garantir le pluralisme de l’information. D’autre part, garantir, à l’avenir, la propriété des médias par des groupes de presse indépendants plutôt que par des industriels qui sont souvent sous contrat avec l’État.

Enfin, il faudrait limiter, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres pays, la pratique du cross-ownership, c’est-à-dire le fait de posséder tout à la fois des journaux, des radios et des chaînes de télévision. Or il semble que plus l’on tarde à réguler, plus la recomposition du paysage médiatique s’accélère, donnant chaque jour un peu plus de poids à ces nouveaux acteurs qui utilisent leur influence pour convaincre le législateur que le mieux est de ne rien faire.

Quel rôle joue la proximité de l’élection présidentielle de 2017 dans les mouvements d’acquisitions récents ?

Les différents propriétaires des médias n’ont pas les mêmes motivations. La situation de crise dont souffrent en particulier les titres de presse écrite a avant tout déterminé l’agenda. Patrick Drahi a pu racheter Libération d’abord parce que le titre était en 2014 au bord du dépôt de bilan et représentait pour lui un levier d’influence et de pression auprès de l’État, car le secteur des télécoms dépend beaucoup de la régulation.

Le cas qui semble avoir été le plus influencé par la proximité de l’élection présidentielle est clairement le rachat du Parisien par Bernard Arnault, le PDG du groupe de luxe LVMH. Au moment de son rachat, le quotidien n’était plus à vendre. Or, on connaît les préférences politiques très marquées de Bernard Arnault et tout laisse à penser qu’il ait pu vouloir s’acheter un cheval de bataille en vue des élections. Reste à savoir si une telle stratégie peut être couronnée de succès car les journalistes du Parisien feront sans doute tout pour préserver leur indépendance.

Un homme suscite beaucoup d’interrogations en ce moment : Patrick Drahi. Pensez-vous que sa frénésie d’acquisitions s’explique aussi par la rivalité qui l’oppose au patron de Free, Xavier Niel ?

La psychologie des hommes d’affaires est toujours difficile à comprendre. Beaucoup disent que la stratégie de Drahi est déterminée par celle de Niel : Niel achète Le Monde, Drahi acquiert Libération ; le scénario se répète à l’identique pour Le Nouvel Observateur – (qui va être racheté par le Monde NDLR) et L’Express

Enfin, Niel évoque son intérêt pour LCI, Drahi fait pour une fois la course en tête en étendant son empire à BFM-TV. Reste que, jusqu’à présent, on observe une différence fondamentale entre les deux hommes. Niel a investi dans les médias dont il est devenu actionnaire. Ainsi, au Monde comme au Nouvel Observateur, le nombre de journalistes n’a pas diminué. Au contraire, Drahi a fait fondre les effectifs de Libération et s’est engagé dans la même voie à L’Express. Un peu comme s’il n’avait fait le choix d’acquérir ces « marques » que pour les vider de leur coquille.

Vous attendez-vous à d’autres mouvements dans les mois qui viennent ? Dans cette nouvelle configuration, certains titres deviennent isolés, à l’image du Point. Les petits groupes et les titres indépendants deviennent-ils des cibles potentielles ?

Oui, je m’attends à d’autres mouvements. Lesquels, c’est difficile à prévoir. La question du Point est intéressante : on a longtemps cru à des synergies avec L’Express, mais maintenant que celui-ci est passé sous la coupe de Drahi, c’est moins évident. D’autant qu’Artémis (Pinault) n’a pas besoin de s’en défaire. Quoi qu’il en soit, il y a de moins en moins de groupes indépendants des grands industriels, et c’est inquiétant pour la pluralité de l’information.

- Actuellement, le paysage médiatique se recompose autour d’industriels (Bolloré, Dassault, Lagardère, Arnault) et de certains magnats des télécoms (Drahi, Niel, Bouygues), tandis que les groupes de presse indépendants disparaissent les uns après les autres. Cette situation met-elle en danger le pluralisme des médias ?

JULIA CAGE - Cette concentration est dangereuse et vraiment inquiétante pour le bon fonctionnement de la démocratie française. Elle nous dit une chose : il est urgent de repenser les lois qui encadrent le pluralisme des médias. L’appareil législatif anti-concentration est daté. La dernière loi date de 1986, une éternité quand on sait qu’on ne consommait pas d’information




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