Pour l’indépendance des journalistes
Un collectif d’universitaires, d’éditeurs et d’intellectuels, dont Patrick Boucheron, Julia Cagé et Joseph Stiglitz, demandent, dans une tribune au « Monde », aux pouvoirs publics de garantir le pluralisme de la presse, l’indépendance des rédactions et la liberté d’informer
La liberté des médias est un bien précieux qui constitue l’un des fondements de notre démocratie. Depuis la loi du 29 juillet 1881, la presse jouit en France d’un statut spécifique qui reconnaît son rôle éminent pour la vitalité démocratique du pays. Les entreprises de médias sont soumises à des règles particulières et à une régulation dont le principe fait l’objet d’un large consensus depuis les ordonnances sur la presse de 1944. Les journalistes exercent leur métier dans un cadre protecteur : sur le papier au moins, ils peuvent se prévaloir de la clause de cession et de conscience.
Face à un mouvement de concentration protéiforme dans le secteur des médias, alors que de nombreux titres sont tombés dans les mains de milliardaires aux engagements politiques et aux pratiques controversées, de nombreux élus et représentants de la société civile, des associations de rédacteurs et de lecteurs, les syndicats représentatifs s’inquiètent. Comme devraient le faire tous les citoyens soucieux d’avoir accès à une information indépendante et de qualité.
Le Sénat a créé une commission d’enquête, en 2021, « afin de mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et d’évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie ». Son rapport a été remis, en mars 2022, mais, depuis, aucune décision n’a été prise par l’exécutif, aucune proposition de loi n’a été présentée, le débat reste suspendu. Et, pendant ce temps, les atteintes à l’indépendance des rédactions se multiplient, hier l’éviction du directeur de la rédaction des Echos, aujourd’hui la nomination à la tête du Journal du dimanche de l’ancien directeur de la rédaction de Valeurs actuelles et ce contre l’avis de l’ensemble de la rédaction. Comme si les journalistes n’avaient pas leur mot à dire – comme si la ligne éditoriale était du seul ressort des actionnaires.
Il ne s’agit pas de prendre parti pour tel ou tel média, d’applaudir une ligne éditoriale de droite ou une position plus marquée à gauche. Les médias peuvent se positionner politiquement tout en restant des médias d’information et non d’opinion, c’est aussi leur raison d’être, tant que la régulation de la concurrence dans le secteur garantit un pluralisme d’idées suffisant. Mais de droite comme de gauche, en démocratie, les journalistes doivent pouvoir travailler en toute indépendance – et, notamment, indépendamment des désirs de leurs actionnaires.