2017 :«Fillon dévisse nettement» (Jérôme FOURQUET, IFOP)
Jérôme Fourquet chef département «Opinion & stratégies d’entreprise» de l’IFOP analyse la baisse de François Fillon, baisse qui provient pour l’essentiel des milieux populaires (interview du Figaro)
L’IFOP publie un nouveau sondage sur les intentions de vote à l’élection présidentielle. Pour la première fois depuis l’intronisation à droite de François Fillon, Marine Le Pen prend la tête du classement. Est-ce un sévère avertissement pour le candidat de la droite?
Jérôme FOURQUET. – Les sondages sur la présidentielle réalisés avant la primaire de la droite plaçaient régulièrement Marine Le Pen en pole position (sauf dans l’hypothèse d’une candidature Juppé et en l’absence du coup de François Bayrou). La large victoire de François Fillon lors de la primaire de la droite a suscité, de manière assez classique, une dynamique en sa faveur et un tassement pour ses concurrents notamment de Marine Le Pen qui passait de 28-29% à 24%. La nouvelle vague du Baromètre IFOP-Fiducial pour iTélé, Paris-Match et Sud Radio, réalisée tout début janvier, indique un certain rééquilibrage. Le candidat des Républicains passe ainsi de 28% à 24% quand Marine Le Pen regagne 2 points (à 26%) et repasse donc symboliquement en tête. On peut y voir la fin prévisible de l’écho de la victoire de François Fillon à la primaire. On peut aussi mettre en lien ce rééquilibrage à droite avec les attaques de ses adversaires sur son programme social.
L’électorat populaire, qui n’a que très peu participé à la primaire, semble très réfractaire à François Fillon, ce qui est préoccupant car ces catégories pèseront lourd à la présidentielle.
L’analyse des évolutions des intentions de vote en faveur du candidat de droite par catégories sociales est très instructive de ce point de vue. Entre novembre et janvier, le candidat de la droite demeure stable auprès des CSP+ avec un score de 30%. Il progresse même très légèrement dans les classes moyennes (21% + 2 points). Mais il dévisse très nettement dans les milieux populaires où il passe de 19% à 11% soit une perte de 8 points. Cet électorat, qui n’avait que très peu participé à la primaire, lui semble aujourd’hui très réfractaire, ce qui est préoccupant car ces catégories voteront à la présidentielle et pèseront lourd.
Le Sarthois peut encore compter sur les retraités, colonne vertébrale de l’électorat de droite qui voteraient à 38% pour lui, mais il cède 3 points dans ce segment acquis, qui est lui aussi particulièrement sensible aux questions ayant trait à la Sécurité Sociale et au système de santé.
Il convient de noter que le mouvement de baisse est avant tout de nature sociologique. On ne constate en effet que très peu d’évolutions selon le critère de la sympathie partisane, ce qui invalide ainsi l’hypothèse d’une brèche dans l’électorat centriste. Il passe même de 42% à 46% dans l’électorat UDI. La fuite ne vient donc pas du centre du fait d’un positionnement trop dur sur le régalien mais des milieux populaires, inquiets de son discours doloriste et des remèdes amers qu’il propose.
Marine Le Pen fait des scores très élevés parmi les classes les moins favorisées. Elle atteint même les 50% chez les ouvriers dès le premier tour. En revanche, elle continue à obtenir des scores beaucoup plus faibles parmi les CSP+, les diplômés et les retraités. Comment expliquez-vous ce score?
La sociologie de l’électorat lepéniste se structure en effet toujours selon le clivage «France d’en haut / France d’en bas». On peut d’ailleurs penser qu’elle n’est pas loin d’avoir fait le plein dans les milieux populaires avec 49% chez les ouvriers (score que le PC n’atteignait pas dans les années 50-60, mais il est vrai que la classe ouvrière était plus nombreuse qu’aujourd’hui) et 35% auprès des employés, qui sont souvent des employées, ces professions étant à très forte dominante féminine, or les femmes continuent de moins être attirées par le FN (21%) que les hommes (31%).
On peut penser que Marine Le Pen n’est pas loin d’avoir fait le plein dans les milieux populaires avec 49% chez les ouvriers (score que le PCF n’atteignait pas dans les années 50-60).
Si la candidate du FN fait le plein dans les milieux populaires c’est par ce qu’elle a su articuler un discours répondant à la fois à l’insécurité économique, physique mais aussi identitaire ou culturelle, qui taraude des pans entiers de cet électorat. Nul autre candidat ne répond aujourd’hui sur ces trois volets essentiels. Elle est en revanche davantage à la peine dans la «France intermédiaire» et la «France d’en haut» où son discours de rupture passe beaucoup moins bien et où la demande de protection face à ces multiples insécurités est moins prégnante. L’enquête de l’IFOP la crédite ainsi de 17% dans les classes moyennes et de 21% chez les CSP+ (avec un fort écart entre les cadres supérieurs et professions libérales toujours très réfractaires et les commerçants, artisans, chefs d’entreprise bien plus favorables). Autre électorat encore assez hermétique: les retraités, dont on a vu que 38% voteraient pour François Fillon, contre 18% pour elle. Tout l’enjeu pour le FN durant cette campagne consistera donc à consolider son assise dans les milieux populaires (en cognant sur le programme de «casse sociale» de Fillon) tout en étant en mesure de faire sauter les verrous dans «la France d’en haut» et parmi les retraités, où se situent aujourd’hui ses véritables marges de progression.
Il y a une dynamique autour du leader d’En Marche.
Il y a donc bien une dynamique autour du leader d’En Marche, qui était crédité de 13 à 14% des voix il y a quelques mois. (Aujourd’hui entre 16 et 24 NDLR) Cela se mesure dans les sondages mais également sur le terrain. Il a rassemblé plus de 10 000 personnes à Paris lors de son grand meeting de lancement, ce que beaucoup de candidats plus chevronnés n’arriveraient pas à faire mais également 1000 personnes à Nevers, il y a quelques jours. Venir assister à un meeting ne vaut pas vote, mais il y a incontestablement un intérêt autour de sa candidature, qui aimante des électeurs d’origines politiques diverses. Si le premier cercle de ses soutiens était composé de personnalités de gauche (Collomb, Patriat, Ferrand), trois anciens ministres de droite l’ont rejoint à ce jour: Arthuis, Dutreil et Lepeltier. Cette capacité à agréger un public hétérogène se lit dans les chiffres de notre enquête. Emmanuel Macron recueillerait le soutien de 30% des électeurs de François Hollande du 1er tour de 2012, mais aussi de 25% de ceux de François Bayrou (une fois encore en se plaçant dans l’hypothèse d’une nouvelle candidature de ce dernier, la captation de cet électorat par Macron s’en trouvant mécaniquement limitée) et 9% de celui de Nicolas Sarkozy. Il convient d’ajouter à cela pas moins de 30% des voix des sans préférence partisane, électorat plus volatile et plus friable, mais qui a semble-t-il trouvé une offre politique satisfaisante alors qu’il ne se reconnaît absolument plus dans les partis traditionnels.
À gauche, le PS est disqualifié dans tous les cas tandis que Jean-Luc Mélenchon obtient un score élevé, mais encore loin de la qualification pour le second tour. La gauche est-elle en décomposition ou déjà en phase de recomposition?
La recomposition et la compétition entre les deux pôles de la gauche pourraient se faire hors du PS entre Macron et Mélenchon.
L’enquête testait quatre scénarii de premier tour avec en candidat du PS soit Manuel Valls, soit Arnaud Montebourg, soit Benoît Hamon ou Vincent Peillon. Dans le meilleur des cas, le PS serait aujourd’hui à 10,5% (hypothèse Valls) et très en deçà avec les autres candidats. Du fait du haut niveau auquel se situe Emmanuel Macron et de l’étiage de Jean-Luc Mélenchon qui se situe déjà au niveau atteint en 2012 (11%) voir un peu au-dessus, la situation est effectivement très critique pour le parti de la rue de Solferino qui pourrait se voir devancer par non pas un mais deux candidats de gauche. Dès lors, l’argument-massue du vote utile et du nécessaire rassemblement de la gauche abondamment brandi par les ténors du parti depuis des années pourrait se retourner contre eux… En ce sens, la situation est beaucoup plus critique que lors des précédentes crises qu’a connues ce parti. Lors des législatives de 1993 comme lors de la présidentielle de 2002, le PS avait été lourdement défait par la droite (et le FN) mais il restait la force dominante à gauche. Si une dynamique ne s’enclenche pas à l’issue de la primaire, le processus de recomposition de la gauche pourrait débuter. On constate ainsi dans l’hypothèse d’une candidature Valls, qui garantirait aujourd’hui le meilleur score au PS, que seuls 41% des sympathisants socialistes voteraient pour lui, 15% optant pour une candidature plus à gauche et 33% pour Emmanuel Macron. Si une telle situation devait perdurer, la recomposition et la compétition entre les deux pôles de la gauche pourraient se faire hors du PS entre Macron et Mélenchon, ce dernier ne s’y est pas trompé en s’interrogeant (benoîtement) sur l’utilité du PS dans une récente interview au Monde.