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Pour une société de compromis ? (Jean Viard)

Pour une société de compromis ? (Jean Viard)

Le très célèbre sociologue Jean Viard milite pour une société de compromis et il estime qu’il convient de revenir à la proportionnelle à l’Assemblée nationale pour favoriser des solutions communes. intreview sur Franceinfo.

On a l’impression qu’un an et demi après les élections législatives, Jean Viard, c’est difficile de s’adapter à la majorité relative, à l’obligation de trouver des compromis finalement ?

Jean Viard : Oui, c’est difficile, mais tout le monde cherche un peu l’affrontement, donc on ne sait pas très bien où on va, parce qu’en fait, ce dont on parle, c’est de l’immigration des gens de couleur, puisque l’immigration des Ukrainiens ne pose pas de problèmes.

Vous dites que c’est ça le fond du débat, c’est ce qui pose problème en fait ?

Ben oui, et puis l’idée de mélanger dans une loi le fait qu’on a besoin de plus de travail – on n’arrête pas de nous le dire – pour la bataille climatique, il faut plus travailler ou avoir plus de travailleurs. L’Italie vient de récupérer 500.000 personnes du sud pour créer des emplois, alors que c’est un gouvernement plus à droite que le nôtre. Donc, on est dans un modèle absurde, on mélange ‘plus de travail’ – oui, on en a besoin – ‘plus d’expulsions de délinquants’ – oui, on en a besoin. En gros, c’est ce que pensent les Français. Et on met tout ça dans la même loi, sans majorité. Donc, si on y arrive, c’est vraiment qu’on aura abandonné la loi.

Tout cela me semble politiquement désastreux, parce qu’on dirait qu’on est complètement envahi. On n’est pas envahi. La société française n’est pas plus brutale, la société française n’est pas insécurisée. Il y a des cas dramatiques, il y en a trois morts par jour en France, bien entendu. Deuxième chose, le plus important, c’est que c’est le réel qui change. Le problème, c’est que la cinquième République a été construite au moment où il y avait deux camps politiques. Il y avait l’Église d’un côté, et le Parti communiste de l’autre, pour aller très vite. Et puis, petit à petit, le Parti communiste a été mangé par Mitterand. Mais il y avait deux camps. Donc au fond chaque camp pouvait arriver à 51%.Pour simplifier, droite et gauche aussi, mais on n’est plus là-dedans.

Je suis en train de finir un livre qu’on est en train d’écrire avec Laurent Berger, qui va s’appeler : Pour une société de compromis. On n’a pas fini, ça va sortir dans trois ou quatre mois. Mais pourquoi ? Parce qu’on est dans une époque de rupture radicale : rupture climatique, avec ses conséquences effectivement sur les migrations, mais pas seulement. L’innovation, nos modes culturels, nos façons de nous déplacer, le monde va changer à une vitesse phénoménale dans ce XXIe siècle.

Et le problème, c’est que quand il y a des ruptures radicales, est-ce qu’il faut des affrontements radicaux ou à l’inverse, est-ce qu’il faut apprendre à faire des compromis ? Et donc, du coup, dans tous les pays, il y a à peu près les mêmes pourcentages. Regardez l’extrême droite, il y a 27% en Hollande, on dit l’extrême droite a gagné, nous, l’extrême droite va être presque à 40%, entre 37 et 40%, si on ajoute toutes les listes.

L’éclatement du paysage politique dans beaucoup de pays est lié à la transformation des enjeux dites-vous, mais si on comprend bien, le compromis est difficile à trouver et qu’en France, il paraît même être une faiblesse pour la classe politique parfois ?

Oui, mais c’est aussi parce que le modèle de la Ve République est construit pour un monde binaire, et ne fonctionne plus dans un monde où il faut faire des compromis. Donc ça veut dire qu’il faut revenir à un système proportionnel. La Ve République est une très belle règle, d’ailleurs elle marche, mais évidemment qu’il faut arriver à une société où on va effectivement faire de la proportionnelle, peut-être pondérer, c’est à discuter, moi, je serais pour qu’on dissolve la chambre et qu’on fasse une élection à la proportionnelle. Ça n’a pas besoin d’une loi.

Et qu’est-ce que ça changerait ?

Mais ça changerait qu’on saurait, pendant la campagne, qu’on ne va pas se gouverner tout seul. il y a quelques idées dans d’autres camps qu’on trouve sympa. Donc je veux dire, il n’y a pas le bien, le mal, les gentils, les méchants, et une société de proportionnelle oblige à des négociations, et oblige à apprendre la négociation. Regardez dans les entreprises, plus de 80% des accords, et même parfois 89% des accords sont signés par tout le monde. Et dans toutes les entreprises de France, et par tous les syndicats.

Donc on sait négocier puisqu’on sait le faire dans les entreprises, et que les syndicats ne sont pas plus d’accord entre eux – les luttes syndicales et patronales, c’est quand même des affrontements autrement violents. On sait négocier, simplement il faut un cadre qui soit un cadre de la Ve République et il faut effectivement une proportionnelle intelligente en disant aux gens : personne ne va être majoritaire, donc faites campagne en sachant que vous allez négocier, ça prendra un peu de temps. Je vous rappelle que Michel Rocard disait toujours : « gouvernons avec les sociologues », et il a quand même donné le modèle d’un gouvernement minoritaire qui, mine de rien, a bien travaillé.

Épargne des Français :à mettre au service de la « guerre climatique » estime Jean Viard

Épargne des Français :à mettre au service de la « guerre climatique » estime Jean Viard

P Plus de 551 milliards d’euros épargnés par les Français, d’après la Caisse des Dépôts. Jusqu’à maintenant, cet argent sert à soutenir la création et le développement de PME des projets dans la transition énergétique, ou dans l’économie sociale et solidaire, ou encore dans le logement social. Ce sera toujours le cas, mais une autre partie de cette épargne va désormais servir à financer l’industrie de la défense française. Le décryptage du sociologue Jean Viard.

Ça veut dire que, de fait, presque tous les Français vont participer à ce financement de l’industrie de la défense ?

Jean Viard : Absolument. Alors bien sûr, c’est une évolution, c’est un peu surprenant comme information, mais en même temps, c’est logique, parce qu’il y a beaucoup d’épargne. Il y a, d’une part, l’épargne du Covid, on n’a pas pu consommer – c’est la moitié supérieure de la société qui a mis de l’argent de côté. Et puis en ce moment, avec l’inflation, il y a une épargne un peu différente, c’est une épargne de peur. En plus, avec ce qui se passe au Moyen-Orient, et en Ukraine, et il y a plein de gens qui se disent : on ne sait pas comment ça va évoluer, donc je serre les boulons. ce sont ces deux types d’épargne qui font que le taux d’épargne monte.

Après, c’est vrai que l’année dernière, je crois qu’on est monté à 2000 milliards sur la planète entière, pour les investissements militaires. On avait espéré, après la fin de la guerre froide, qu’on allait désinvestir dans le militaire, et on se rend compte que ce n’est pas le cas : les sociétés se réarment, ce qui est une mauvaise nouvelle, pour moi c’est une tragédie bien sûr.

Et la guerre en Ukraine montre bien que les nouvelles guerres seront des guerres beaucoup plus technologiques, appuyées sur l’IA, sur le numérique, et qu’au fond, on a liquidé nos vieux obus en Ukraine, et maintenant on voit bien que la demande des Ukrainiens, ce sont des techniques beaucoup plus modernes, beaucoup plus innovantes. Donc il y a un énorme champ d’innovations.

Le système, qu’on appelle militaro-industriel, autour de lui, il y a plein de PME, plein de sous-traitants, plein de compétences et d’ingénieurs. Ça fait partie de la relance de la révolution industrielle, qui est une nouvelle révolution industrielle, une révolution industrielle bâtie notamment énormément sur le vivant, bâtie sur l’IA, qui est une des réponses au réchauffement climatique.

Thomas Gassilloud, député Renaissance et président de la commission Défense à l’Assemblée nationale, trouve la mesure justifiée dans le cadre de la montée en puissance de l’économie de guerre. Ça concerne donc aussi la France ?

Oui absolument, et l’économie de guerre, ça concerne tout le monde. L’Europe s’était déséquipée depuis la fin de la guerre froide, l’Allemagne s’était énormément déséquipée. Les Allemands viennent de mettre des sommes considérables, et ce qui est terrible, c’est que le véritable ennemi en ce moment, c’est le réchauffement climatique.

La question, c’est comment on protège les gens ? Alors bien sûr, il faut des fusils, des canons, mais il faut surtout gagner la bataille climatique, quelle est la production de CO2, avoir un nouveau respect des écosystèmes. C’est clair que l’idéal aurait été qu’on diminue la fabrication de canons, et qu’on augmente effectivement les moyens de la guerre climatique.

L’idée du gouvernement, c’est aussi d’augmenter en même temps les dépenses pour la transition écologique dans le prochain budget, 7 milliards d’euros pour le logement, le transport, l’énergie ou encore la biodiversité. Une planification pluriannuelle aussi. Mais ça pose cette question à long terme : où trouver les milliards pour enjamber le mur d’investissements ?

On est entré dans ce que j’appelle la troisième guerre mondiale, effectivement, l’humanité se rassemble pour un combat contre une nature qu’elle a déréglée. Une bonne partie sera financée par le privé, par chacun d’entre nous, qui changeons une fenêtre, isolons une pièce, modifiant petit à petit nos voitures… Et puis il y a effectivement besoin d’argent public. Pour arriver à augmenter encore, il va falloir serrer les boulons quelque part. Les Allemands viennent de décider de travailler plus, pour augmenter le financement.

Soit il faut travailler plus, soit il faut dépenser moins, soit il faut baisser la solidarité. Il faut savoir ne pas faire des investissements inutiles, des autoroutes, des choses qui ne sont pas vraiment indispensables. Donc, ça va être le grand débat des prochaines années, c’est comment on réorganise au fond l’espace public, les financements publics, alors qu’on sait aussi qu’on a besoin d’enfants dans les écoles, on a besoin de policiers.

C’est le grand débat de société : comment on réorganise la machine publique pour gagner la guerre climatique. Je suis sûr qu’on va la gagner, mais il faut qu’on accélère.

Gestion de l’eau : un effort de tous est nécessaires (Jean Viard)

Gestion de l’eau : un effort de tous est nécessaires (Jean Viard)

Emmanuel Macron a présenté jeudi un plan eau avec plusieurs mesures : une tarification progressive (plus on consomme, plus on paye), davantage de sobriété, la réparation des fuites, le recyclage des eaux usées, etc. Voici ce qu’en pense le sociologue Jean Viard.

Est ce un moment politique important et un tournant à prendre dans nos comportements face au manque d’eau ?

Jean Viard : Avant, on était un pays où on avait trop d’eau, on avait des problèmes d’inondations : on a fait des barrages et on les a utilisés pour produire l’énergie hydroélectrique. Aujourd’hui, on bascule dans un autre monde qui est un monde de manque d’eau. Et encore, il convient de relativiser. Il tombe en France à peu près 500 milliards de mètres cubes d’eau, dont les deux tiers à peu près s’évaporent, et l’humanité en consomme à peu près 32 milliards. Les quantités sont considérables.

Il va falloir apprendre à gérer le manque d’eau. Première idée, celle de développer la culture du déplacement sur l’eau. On a des canaux, il y a la mer. Quand on voit les Américains, ils utilisent beaucoup plus que nous l’eau pour se déplacer. C’est extrêmement écologique Deuxième idée, économiser notre consommation. On utilise plus d’eau qu’avant parce qu’on a tous des douches et des baignoires : 147 litres par jour et par Français, dont plus de la moitié pour l’hygiène. Sans oublier lier que des grandes industries consomment beaucoup, comme les centrales énergétiques.

Pour le partage de la ressource, qui doit faire les efforts ?

Je pense que tout le monde doit faire des efforts, tout le monde doit baisser de 10 % sa consommation. Pourquoi ? Parce que plus il va faire chaud, plus il faudra d’eau pour l’agriculture. Mais en disant aux agriculteurs : vous n’aurez pas plus d’eau et vous en aurez pas moins. Cela va les obliger à faire reculer le maïs, qui consomme à peu près 60 % de la ressource, qu’on pourrait remplacer par du sorgho par exemple. Il faudrait aussi manger moins de viande, passer – comme le dit Thierry Marx – du bœuf-carotte au carotte-bœuf. Si on mange moins de viande, on utilise moins de prairies. Si on utilise moins de prairies, on peut mettre à la place des forêts en plantations pour avoir des arbres qui captent le carbone et qui vont devenir la base de la construction dans les villes. Ce sont donc des nouvelles chaînes qu’il faut mettre en place.

Donc pas de grosses contraintes pour les agriculteurs, qui sont les premiers utilisateurs de l’eau en France, mais un changement de paradigme tout de même?

Tout le monde doit restreindre sa consommation. Ceux qui ont des piscines peuvent mettre des bâches pour que l’eau s’évapore moins. On peut aussi modifier le système de paiement pour que les premiers mètres cubes soit quasiment gratuit, parce que c’est la survie. Les jardins représentent 6 % de la consommation familiale, c’est très faible. En ce moment, il y a des violences autour de l’eau. On l’a bien vu à propos des bassines, qui sont aussi liées à diversité des régions : dans certaines il y a trop d’eau, dans d’autre elle n’arrive pas à la bonne saison, ailleurs il faut des bassines. Ce sont des questions très complexes et moi je rêve de grandes émissions à la télévision où on explique tous ces enjeux.