Société: L’importation du conflit israélo-palestinien
Nicolas Lebourg, Historien et chercheur chercheur explique, dans une tribune au « Monde », comment des événements comme ceux qui sont liés au conflit israélo-palestinien font systématiquement augmenter le nombre d’actes antisémites, mais aussi racistes, quoique leurs auteurs diffèrent selon les périodes.
A chaque étape du conflit israélo-palestinien, il est réclamé de ne pas l’importer en France. Mais on répète aussi que, depuis la seconde Intifada (2000), les violences antisémites se répandraient du fait de jeunes d’origine arabo-musulmane, tandis que l’extrême droite aurait renoncé à la violence.
Or, sur la base des archives de police sur les violences politiques et les violences racistes de 1976 à 2002, et des données du programme de recherche « Violences et radicalités militantes en France » (Vioramil) pour la phase 1986-2016, nous pouvons élaborer un corpus d’environ 32 000 faits délictuels, y repérer ceux dont le mobile est antisémite ou antimaghrébin, et ainsi calculer comment ce conflit se répercute en métropole. Compter les violences ne doit aucunement aboutir à mettre en concurrence leurs victimes, mais seulement permettre de mieux saisir l’ampleur du phénomène et ses ressorts.
En 1980, l’attentat palestinien contre la synagogue de la rue Copernic (4 morts et 46 blessés) inaugure un système de stimuli qui va structurer la violence antisémite à partir de ce jour. Après Copernic, 44 actes et 144 menaces ont lieu ; après l’attentat palestinien de la rue des Rosiers en 1982 (6 morts et 22 blessés), ce sont 19 actes et 62 menaces antisémites. Cette phase relève de l’extrême droite, responsable de 260 des 270 actes violents antisémites de la décennie 1980. Les stimuli ne se limitent pas au conflit israélo-palestinien : le procès de l’ancien gestapiste Klaus Barbie voit ainsi passer le nombre d’actes antisémites de 2 en 1986 à 13 en 1987.
Néanmoins, en 1982, un changement de régime de la violence d’extrême droite s’opère : entre 1980 et 1983, ses actes antisémites baissent de 73 %, tandis que ses actes antimaghrébins augmentent de 225 %. Les stimuli se lient aux polémiques sur la société multiculturelle : en 1989, l’exclusion de leur collège de Creil [Oise] de trois élèves voilées sature l’espace médiatique. En un mois, de novembre à décembre, 27 des 28 menaces visent les Maghrébins, puis un centre islamique est dévasté et un bar algérien attaqué. La violence ne relève plus de la seule question ethnique mais aussi de la question religieuse : le programme Vioramil recense 87 attaques attribuées à l’extrême droite à l’encontre des lieux de culte musulmans contre 37 à l’encontre de lieux juifs – soit une répartition différente de celles contre les cimetières qui comprend 31 actes antisémites, 11 islamophobes, et deux cas étant les deux à la fois.