Islamo- gauchisme : Vidal réitère et veut une approche rationnelle et scientifique du sujet
La ministre de l’enseignement supérieur persiste et signe , elle demande une approche rationnelle et scientifique du sujet dans une interview au JDD. Elle évoque aussi la situation difficile des étudiants dans le cas de la pandémie.
Vous avez déclenché une tempête en annonçant une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université. Qu’entendiez-vous par là?
Quand je reprends le terme « islamo-gauchisme », employé par le journaliste qui m’interviewait, j’ai à l’esprit l’ensemble des radicalités qui traversent notre société. Bien sûr, l’islamo-gauchisme n’a pas de définition scientifique, mais il correspond à un ressenti de nos concitoyens, d’abord, et à un certain nombre de faits, aussi : l’empêchement, dans certains établissements, d’une représentation des Suppliantes d’Eschyle ou de la lecture d’un texte de Charb, des enseignants qui ne se sentent pas libres d’enseigner comme ils le souhaitent. Ce sont des attaques contre la liberté académique et la liberté d’expression en général. On ne peut pas laisser passer ça, même si c’est très minoritaire. Et on ne peut pas laisser dévoyer des travaux de recherche par des gens qui prétendent s’y référer tout en les déformant. On ne peut pas dire « ça ne me concerne pas ».
Jean-Luc Mélenchon vous a accusée de vouloir faire « la police de la pensée ».
C’est de la pure polémique. Je suis universitaire. J’ai toujours défendu la liberté académique et les chercheurs. Je le fais au quotidien lorsque les présidents d’université sollicitent l’appui du ministère lorsqu’il y a un incident. C’est un procès d’intention. Ce que je souhaite, c’est qu’on relève le débat. Nous avons besoin d’un état des lieux de ce qui se fait en recherche en France sur ces sujets. En fonction des résultats, j’espère, parce que j’ai confiance dans les universités, que cela permettra de déconstruire l’idée qu’il y aurait une pensée unique sur certains sujets ou au contraire veiller si c’est nécessaire à protéger le pluralisme des idées à l’université. On peut évidemment faire des études post-coloniales en France ou travailler sur l’intersectionnalité. Tout l’enjeu, c’est de faire la part des choses entre le travail des scientifiques et ceux qui se servent de ces travaux pour porter une idéologie et nourrir l’activisme.
S’agit-il d’identifier ces chercheurs-là?
Pas du tout. Les libertés académiques, la liberté de la recherche doivent être défendues à tout prix. Ce que je souhaite, c’est savoir si ces libertés ne sont pas entravées dans le travail des chercheurs et des enseignants-chercheurs. Les universités sont le lieu de création de la connaissance et de sa diffusion. Cela passe par le débat contradictoire et l’évaluation par les pairs, donc par la pluralité des courants de pensée et de prises de parole. Il est crucial que cela ait lieu dans le débat et la sérénité. Il faut que les universitaires eux-mêmes s’emparent du sujet et fassent en sorte que cette pluralité continue à exister. La pensée unique serait mortifère.
Concrètement, comment va s’organiser cet « état des lieux »?
Il s’agit d’une enquête, mais au sens sociologique du terme, donc d’un travail de recherche ou d’une étude scientifique. Nous avons déjà des données : il faut que des spécialistes s’en saisissent et les regroupent. La conférence des présidents d’université a fait savoir que les universités étaient prêtes à apporter un éclairage étayé au gouvernement.
Pensez-vous qu’il existe un entrisme islamiste à l’université?
Qu’importe ce que je pense. C’est pour cela que je veux une approche rationnelle et scientifique du sujet. Il faut quantifier les choses, sortir du ressenti et du présupposé.
Est-ce le rôle de l’État?
C’est le rôle de l’État de soutenir les universités confrontées à des difficultés. C’est ce que nous avons fait en reprogrammant la pièce d’Eschyle à la Sorbonne. Et, non, ce n’était pas anecdotique. On ne peut pas vouloir défendre la liberté académique et ne pas la faire respecter au sein de l’université. C’est mon rôle.
En octobre, alors que Jean-Michel Blanquer venait de dénoncer les « ravages de l’islamo-gauchisme » à l’université, vous lui aviez répondu dans une tribune dans l’Opinion : « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du fanatisme. » Vous avez changé d’avis depuis?
Pas du tout. Je maintiens que l’université a le droit de tout étudier et qu’évidemment on n’y fabrique pas des fanatiques. Est-ce que pour autant je dois abandonner les présidents d’université qui demandent de l’aide? Ne pas entendre les professeurs qui se disent empêchés? Faire comme s’il n’y avait aucun sujet alors que des universitaires demandent l’appui du ministère? Le racisme, c’est un délit contre lequel nous savons réagir : il existe des procédures disciplinaires. Lorsqu’un enseignant-chercheur ou un chercheur est menacé, nous agissons évidemment. Idem s’agissant des atteintes à la laïcité.
N’avez-vous pas été maladroite en employant le terme « islamo-gauchisme »?
On parle de douze secondes sur vingt-deux minutes d’interview, au cours de laquelle je traitais de sujets essentiels comme le quotidien des étudiants! Douze secondes qui déclenchent de telles réactions, cela démontre la sensibilité de cette question.
Quand Emmanuel Macron, par la voix de Gabriel Attal, a redit mercredi son « attachement absolu à l’indépendance des enseignants-chercheurs », était-ce un désaveu?
Ce qu’a dit Gabriel Attal, je le partage évidemment. Personne n’est plus attaché que moi à l’indépendance des enseignants-chercheurs. La recherche est grande lorsqu’elle est libre.
Avez-vous le soutien du président de la République dans votre démarche?
Ce sujet suscite beaucoup de réactions, mais ce n’est pas notre priorité aujourd’hui. La priorité c’est la situation des étudiants et la pandémie. C’est de cela dont je parle au président de la République.
Certains responsables de l’opposition, et plus de 600 chercheurs dans Le Monde samedi après-midi ont réclamé votre démission…
C’est la liberté d’opinion. Si les universitaires qui ne me connaissent pas ont pu se sentir froissés, ce n’était pas mon intention. Chacun doit pouvoir s’exprimer, c’est aussi dans le désaccord qu’on avance, et je laisse à leur violence ceux qui se déchaînent sur les réseaux sociaux.
Quand François Bayrou dit que l’islamo-gauchisme n’est « pas le premier problème de l’université » et cite le mal-être des étudiants, que lui répondez-vous?
Que cela nous fait un point commun de plus. Si vous me demandez à quoi j’occupe en priorité mes journées, et une partie de mes nuits, c’est évidemment à l’impact de la pandémie sur les jeunes, au déploiement des mesures de soutien aux étudiants et à répondre à leurs besoins de demain : j’étais d’ailleurs vendredi matin à Bordeaux avec le Premier ministre sur ce sujet.
N’avez-vous pas été trop en retrait dans la défense des étudiants ces dernières semaines?
Croyez-vous que je suis restée dans mon fauteuil depuis qu’on a fermé les universités en novembre? Le jour même où le couvre-feu général à 18 heures était décrété en France, nous avons fait revenir les étudiants à 20% du temps dans les universités. Et dès qu’on pourra faire plus, on le fera. On y travaille tous les jours avec les établissements et les autorités sanitaires. Je suis toutes les semaines sur le terrain.
Au vu de la situation épidémique, envisagez-vous de rouvrir davantage les universités dans les prochaines semaines?
100% des universités ont mis en place le nouveau protocole d’accueil. Il faut désormais deux ou trois semaines de recul pour en mesurer l’impact. Si tout se passe bien, alors on pourra envisager d’aller plus loin.
Des étudiants ont-ils abandonné leurs études à cause de la crise sanitaire?
Nous avons constaté une baisse de seulement 3% de la présence aux examens de la dernière session, qui se sont tenus entre décembre et début février. On ne constate donc pas de décrochage massif. C’est aussi le résultat de l’engagement des équipes universitaires.
On voit des files d’attente d’étudiants venant chercher de l’aide alimentaire dans des associations. Faut-il faire plus?
Évidemment. Depuis le 25 janvier, nous avons servi 1,5 million de repas à 1 euro et nous allons accélérer en rouvrant davantage de points de vente. Y compris pour faire de la distribution alimentaire. Les étudiants ne savent pas encore assez que s’ils se connectent sur le site du Crous, ils seront recontactés par une assistante sociale. Des aides spécifiques existent et peuvent atteindre 500 euros. Et cela concerne tous les étudiants : français, étrangers, boursiers ou non boursiers. Il faut le faire savoir.