Chine : un modèle économique qui va exploser ( Isabelle Attané)
Les inégalités sociales flagrantes et la politique démographique pourraient faire exploser le modèle économique d’après Isabelle Attané directrice de recherche à l’Ined, qui dresse un bilan sans concession de l’état de l’Empire du Milieu.( Il faudrait évidemment ajouter un facteur explicatif supplémentaire à savoir la perfusion financière qui risque de déboucher sur un crack et qui n’est pas traitée par Isabelle Attané. ( intreview le Figaro)
Dégringolade boursière, révision de la croissance économique à la baisse: le miracle chinois aurait-il, selon votre analyse, atteint ses limites?
La baisse actuelle des marchés financiers est l’un des signes visibles du vacillement d’une économie à bout de souffle. Après trois décennies de croissance explosive, le modèle économique bâti sur les exportations qui lui a permis de se hisser au premier rang des grandes puissances mondiales, montre ses limites. Sa compétitivité s’érode depuis 2010, avec la hausse des salaires. Ceux-ci ont, en effet, progressé de 50% dans les grandes villes. Du coup, le salarié chinois est aujourd’hui plus cher que celui du Bangladesh par exemple. Mais si son poids économique et son influence n’ont cessé de croître depuis trente ans, le pays ne figure qu’au 77ème rang mondial en termes de richesse par habitant, ce qui en fait l’un des plus inégalitaires de la planète. Confrontés à cette crise de modèle, les dirigeants chinois veulent jouer la carte d’une croissance tirée par la consommation intérieure.
Au delà de ce changement de modèle, vous expliquez dans votre ouvrage que le plus gros défi de la Chine est d’ordre démographique. Pourquoi?
Sa population va plafonner avant d’amorcer une lente décroissance. D’ici à 2020, la Chine va gagner un peu plus de cinq millions d’habitants par an, soit environ trois fois moins qu’à ses heures les plus fastes. A partir de 2030, elle commencera à se dépeupler. En Chine, faire des enfants n’est plus une priorité. La majorité des jeunes se soucient d’abord de leur réussite et de leur épanouissement professionnels. Entre 2000 et 2010, l’âge moyen des chinoises à leur première maternité est passé de 25 ans et demi à près de 27,9 ans dans les villes, ce qui réduit la probabilité d’avoir un second enfant. A cela s’ajoute le fait qu’éduquer un enfant coûte cher puisqu’il n’existe aucun aide de l’Etat. Pour une ville comme Shanghai cela représente un tiers du salaire annuel moyen.
Quelles seront les conséquences économiques de cette décroissance démographique ?
Avec près des deux tiers de sa population en âge de travailler, la Chine était dans une situation exceptionnelle au début des années 2000. Il n’existe pas d’exemple comparable et à une telle échelle dans l’histoire. Or cette main d’œuvre, peu qualifiée, abondante donc pas chère a été au cœur même de l’émergence de la Chine sur la scène mondiale. Mais avec le retournement démographique, la donne va changer, et de façon radicale. D’ici 2050 son réservoir de main d’œuvre va perdre 250 millions d’individus. Autrement dit, les personnes en âge de travailler ne représenteraient plus que 50% de la population totale contre 70% cinquante ans auparavant. Mais ce n’est pas tout. En 2050, par le seul jeu de la démographie, chaque chinois adulte devra assumer individuellement ou collectivement près d’une personne économiquement dépendante. Si aucune mesure n’est adoptée d’ici là, la population chinoise va, en effet, vieillir sans protection sociale ni système de retraite digne de ce nom. Le risque est donc que le pays se retrouve avec 500 millions de Chinois, soit un tiers de la population, qui à 60 ans passés se retrouvera dans la précarité. Ce qui n’est pas de nature à soutenir un modèle censé être fondé sur la consommation!
Votre scénario est-il inéluctable?
Les dirigeants chinois ont brûlé la chandelle par les deux bouts. D’un côté en exploitant sans vergogne une main d’œuvre abondante et malléable, l’Etat chinois a créé des richesses considérables. De l’autre, en limitant les naissances et en délaissant le volet social, il a serré les dépenses budgétaires. Au lieu de profiter de cette croissance exceptionnelle pour construire un vrai système de protection sociale. La Chine doit faire preuve d’une grande créativité et dans un temps record pour résoudre une équation démographique -à priori- insoluble.