Ukraine : Jusqu’où iront les Russes ?
Jusqu’où iront les Russes s’interroge , la chercheuse en géopolitique Christine Dugoin-Clément dans le Monde.
L’attention des Occidentaux qui soutiennent l’Ukraine contre l’invasion russe se focalise sur la région du Donbass, à l’est, et le bassin minier. Des villes comme Severodonetsk et Lyssytchansk sont tombées, d’autres – Poltava, Krementchouk et Bakhmout – sont massivement bombardées. La région limitrophe, au sud-est, n’est pourtant guère évoquée, alors même qu’elle constitue un enjeu stratégique beaucoup plus important. Les deux camps parlent d’offensives et de futures contre-offensives où le facteur humain – c’est-à-dire les capacités de mobilisation – et le matériel joueront un rôle essentiel.
En dépit de pilonnages d’artillerie particulièrement impressionnants, les lignes de front évoluent peu dans le Donbass, et les gains territoriaux russes restent très limités. Au sud, en revanche, ils se sont emparés, dès le début de l’offensive, du port de Kherson, mais, dans cette région comme dans celle de Zaporijia, les lignes de front sont plus mobiles, et les objectifs stratégiques nombreux avec une centrale nucléaire, la plus grande du pays, occupée par les forces russes dès le début de l’intervention mais toujours encerclée par les forces ukrainiennes, et plusieurs gazoducs.
Ces territoires permettent aussi le contrôle du fleuve Dniepr, ouvrent une voie vers la mer Noire et un accès à la flotte russe qui y stationne. Un enjeu essentiel alors même que le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, clame que l’offensive russe ne vise pas à s’emparer du seul Donbass. La prise de contrôle totale par les forces russes de ces zones leur permettrait de couper l’Ukraine en deux. La ville de Dnipro, point de passage et verrou sur le fleuve, est un élément-clé pour la logistique et l’approvisionnement des troupes actives dans le bassin minier.
C’est dans cette logique que Moscou intensifie la russification des zones déjà conquises de cette région. La mise en scène de reconstructions de bâtiments, la substitution de noms russes à ceux ukrainiens des villes et quartiers, les campagnes de communication visant à montrer l’adhésion de la population à la Russie, la nomination d’officiels russes à des postes administratifs comme la délivrance de la nationalité russe aux nouveau-nés visent à montrer clairement qu’il n’y aura aucun retour de ces régions sous l’autorité de Kiev. Les autorités occupantes prennent en main les médias et imposent des programmes russes pour raviver une histoire que Moscou veut commune. Le rouble est devenu la seule monnaie dans plusieurs villes, notamment à Kherson, malgré la résistance de la population qui pendant deux mois a continué à échanger ses roubles contre la monnaie ukrainienne, la hryvnia. Les autorités locales évoquent aussi la tenue de référendums pour un rattachement à la Russie ou une indépendance.