Affaiblissement du régime iranien ?
L’embrasement au Proche et Moyen-Orient résulte d’un double processus. Premièrement, l’évolution de l’arc chiite, construit par Téhéran, vers un axe de résistance, incluant les sunnites du Hamas. Deuxièmement, la volonté de Téhéran de s’opposer à la poursuite du développement des accords d’Abraham. Après les Émirats Arabes Unis, l’État de Bahreïn, et le Maroc, l’Arabie Saoudite s’intéressait à cette ouverture. La stratégie d’affrontement avec Israël, voulue par la République islamique d’Iran depuis 1979, se trouvait profondément menacée. La réponse stratégique iranienne a consisté à préparer les sanglantes attaques du 7 octobre 2023.
Le regard international s’est donc détourné de la situation intérieure iranienne qui continue à se dégrader économiquement, socialement, et politiquement. Or, le futur de l’Iran est clé pour celui de la région.
Les sanctions économiques prises par les États-Unis en 2018, accompagnant la sortie de l’accord nucléaire de 2015, interdisaient les exportations pétrolières du pays. Elles ont contribué à accélérer la dévaluation du rial, et l’inflation, mais elles n’ont pas inversé une situation économique satisfaisante.
Le taux d’inflation en 2024 continue de se situer à plus de 30%. Il atteindrait même le seuil des 50% selon le journal iranien Ham-Mihan. En conséquence, la hausse des prix alimentaires, est devenue le problème principal de la population. Plus de 30% des Iraniens vivraient en dessous du seuil de pauvreté. Des experts iraniens sont plus alarmistes. L’économiste Mahmoud Djamsaz évoque 40 millions d’Iraniens vivant en dessous de ce seuil (interview site Nokna.net, 23 octobre 2024). Au mois de septembre, le prix de la farine subventionnée, destinée à la fabrication du pain, a été augmenté de 66%….
Le nouveau président Massoud Pezeshkian veut réduire les subventions sur l’essence :
« Il est déraisonnable d’importer de l’essence au taux du dollar, et de la revendre à un prix subventionné ».
Une réduction de 25% est affichée dans le prochain budget. Le prix de l’essence ne pourra qu’augmenter. Mais le gouvernement se souvient de la révolte nationale de 2019 provoquée par une hausse du prix de l’essence…
L’économie iranienne est confrontée à des vents très contraires qui se répercutent inévitablement, sur la situation sociale
Depuis plus de 7 années, la société iranienne est agitée par des grèves et des manifestations, liées aux difficultés économiques, mais les causes sont maintenant plus nombreuses.
Le spectre du mécontentement s’étend du manque d’eau, au retard de paiement des retraites, en passant par les conditions de travail dans l’industrie, et les problèmes sectoriels, dans les transports par exemple. La désastreuse gestion des ressources en eau a conduit à d’importantes manifestations, dans la région d’Ispahan. Le secteur des transports routiers a également connu d’importantes grèves nationales.
Actuellement la société est agitée par des mouvements de grève, dans tout le pays, et particulièrement visibles dans les secteurs de la santé, de l’industrie gazière, et chez les retraités. Ces derniers sont profondément affectés par le niveau de l’inflation qui lamine leurs retraites, insuffisamment et tardivement revalorisées. Des manifestations de retraités se sont déroulées en novembre, aussi bien dans le nord, à Tabriz, que dans le sud à Bandar Abas.
Les travailleurs de l’industrie du gaz sont profondément insatisfaits de leurs salaires, des retards de paiement, et de leurs conditions de travail. Les mouvements sont donc en cours en ce mois de novembre dans la région pétrolière et gazière du Sud-ouest, en particulier à Ahvaz. Dans le domaine de la santé, conditions de travail et salaires, provoquent des grèves dans les hôpitaux aussi bien à Téhéran qu’à Yazd, dans le centre de l’Iran.
Depuis plusieurs années des Unités de Résistance se sont développées dans le pays. Chaque nuit ces petits groupes incendient les affichages des dirigeants du régime ou attaquent au cocktail Molotov les bâtiments de l’appareil judiciaire, des fondations religieuses, ou les casernes des gardiens de la révolution ou de la milice Bassidj.
La société iranienne bouillonne de mécontentements, qui se répercutent naturellement dans le domaine politique.
Cette année, le renouvellement du Parlement et la confirmation du nouveau président ont permis de mesurer la cote du régime auprès de la population. Certes, les statistiques officielles indiquent un taux de participation de l’ordre de 45%. Un tel score officiel n’est pas très satisfaisant, il est loin de refléter la réalité des urnes.
Les réseaux d’opposition autour du Conseil national de Résistance iranienne (CNRI) à partir de 1.900 bureaux de vote ont projeté un taux de participation inférieur à 20%. Dans le cas le plus extrême, un député à Téhéran a obtenu son siège avec moins de 7% des inscrits… !
Un décrochage s’est profondément installé entre le pays profond et le régime, en place depuis… 45 ans. Le commentaire d’une Iranienne « Ce régime n’a rien fait pour nous » résume parfaitement le sentiment majoritaire. Mais dans les manifestations sociales, on entend des slogans très radicaux :
« Nous arracherons nos droits qu’en descendant dans la rue ».
Des évènements cruciaux, pour l’avenir du régime, se déroulent en catimini, au sommet du pouvoir. Mais le grondement de la base populaire risque fort de s’inviter dans le processus.
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(*) analyste géopolitique, fondateur du média Le Monde Décrypté www.le-monde-decrypte.com chroniqueur sur IDFM 98.0