France–Royaume-Uni: deux ennemis intimes
L’Irlande a accusé lundi la Grande-Bretagne de vouloir « changer les règles du jeu » pour résoudre les difficultés commerciales en Irlande du Nord, en réaction au souhait exprimé par Londres que l’autorité de la Cour européenne de justice (CEJ) ne s’exerce pas sur le sujet. Le ministre britannique du Brexit, David Frost, a rendu publics samedi des extraits d’un discours qu’il doit prononcer ce mardi, dans lequel il estime que la CEJ a créé un « profond déséquilibre » dans la façon dont s’appliquent les protocoles nord-irlandais, qui visent à éviter le rétablissement d’une frontière physique entre les deux Irlande depuis la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. ( dans l’Opinion)
Robert Tombs est professeur d’histoire au St John’s College de l’université de Cambridge. Il est le co-auteur avec Isabelle Tombs de La France et le Royaume-Uni : Des ennemis intimes (Armand Colin, 2012).
Comment voyez-vous, aujourd’hui, les relations entre le Royaume-Uni et la France ?
Je suis partisan du Brexit et je ne vois pas les choses de la même façon que la plupart des médias en France. Je pense partager le sentiment d’une grande partie de l’opinion publique britannique. En Angleterre, nous considérons que la France a toujours poursuivi une ligne très dure vis-à-vis du Royaume-Uni depuis le Brexit pour le punir d’avoir eu la témérité de quitter l’Union européenne. Le protocole nord-irlandais a ainsi été interprété d’une façon extrêmement tendancieuse, ne respectant pas les termes mêmes du texte. Contrairement à ce qui est affirmé, ce dernier permet, en effet, des modifications dans des cadres très clairement expliqués. Le ton utilisé par les porte-parole français et nombre de personnalités politiques dans votre pays est souvent insultant, menaçant et provocateur. Je le regrette beaucoup comme francophile, mais nous voyons la France comme le chef de file de l’anglophobie en Europe. Tout cela n’est qu’une excuse pour faire pression sur la Grande-Bretagne.
Sur le protocole, la République d’Irlande est pourtant sur la même ligne…
Bien sûr ! Dublin cherche l’unification de l’Irlande en prenant des positions très fermes.
Parmi les dossiers chauds, Paris dénonce le manque de bonne volonté de Londres sur la pêche…
L’accord sur la pêche a donné beaucoup d’avantages aux Européens, Français y compris. La plupart des permis demandés ont été attribués aux pêcheurs français. Ceux qui n’en ont pas eu n’ont pas pu prouver qu’ils avaient effectivement opéré légalement dans les eaux territoriales britanniques. La dispute se circonscrit entre la France et les îles anglo-normandes qui n’ont jamais fait partie de l’Union européenne et ne font pas partie du Royaume-Uni. Ce sont seulement des entités autonomes placées sous la couronne britannique.
« Boris Johnson a toujours été très prudent dans son expression quand votre Président l’a traité de menteur, de traître et de tricheur »
Sur le dossier migratoire, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, déplore que le Royaume-Uni, qui s’était engagé fin juillet à payer à la France 62,7 millions d’euros en 2021-2022 pour financer le renforcement de ses forces de l’ordre sur les côtes, n’ait pas tenu « sa promesse »…
Je ne connais pas les termes de l’accord, mais le nombre de migrants quittant la France pour l’Angleterre ne cesse de grimper depuis quelques mois. On se demande donc exactement ce que font les Français pour justifier ce paiement, même si c’est difficile de contrôler tout un littoral. On se dit que les autorités françaises permettent d’embarquer illégalement vers nos côtes et qu’il est un peu « culotté » de demander d’être payés pour ne pas faire ce qu’elles avaient promis. Le ton utilisé par certains dirigeants français comme Clément Beaune, votre secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, et des députés et maires du Nord de la France est très violent pour des représentants d’un pays démocratique, qui est aussi un pays allié. Nombre de Britanniques estiment donc, aujourd’hui, que la France n’est pas notre amie et qu’elle recourra à tous les moyens pour rendre la vie difficile à leur gouvernement. Une certaine anglophobie a toujours été latente en France, tout comme une certaine francophobie est présente chez nous. Si on continue à chauffer la casserole, cela va bientôt bouillir et ranimer les hostilités des deux côtés de la Manche.
Ne pensez-vous pas que Boris Johnson en joue sur le plan politique intérieur ?
Il y a encore une minorité de Britanniques pro-européens — surtout à Londres et parmi une certaine élite politique — pour qui tout ce que fait notre Premier ministre est mauvais et tout ce que font Bruxelles et Paris est bien. Mais chez la plupart des gens qui ne sont pas très politisés Boris Johnson demeure assez populaire. On peut penser qu’il soigne sa popularité en alimentant le sentiment anti-français, tout comme Emmanuel Macron le ferait de son côté avec le sentiment anti-anglais, mais il a toujours été très prudent dans son expression quand votre Président l’a traité de menteur, de traître et de tricheur à l’occasion de l’annulation de la commande de sous-marins par l’Australie.