Société-Cyril Hanouna et la nullité intellectuelle
Hanouna symbole de la nullité intellectuelle que dénonce Stéphane Encel, historien et professeur de culture générale à l’ESG Management School, et qui publie Ce n’est pas que d’la télé. Ce que le système Hanouna dit de la France L’ouvrage, très critique, dénonce le mode de fonctionnement de l’animateur « omnipotent, omniprésent et omniscient ».(interview l’Opinion)
Vous décrivez Cyril Hanouna, animateur de C8, comme un Golem audiovisuel. Vous allez même jusqu’à le dépeindre en Big Brother. Pourquoi ces analogies ?
Hanouna est une créature télévisuelle hors norme, monstrueuse. Frédéric Taddeï, Thierry Ardisson, Michel Polac, Jean-Pierre Elkabbach… Il s’est nourri, inspiré de toutes les figures qui ont fait les grandes heures du paysage audiovisuel français. Il les a toutes digérées. Et avec l’aide du groupe Bolloré, ça donne ce qu’il est aujourd’hui : un animateur à l’autorité extrêmement forte, crainte et qui fascine, qui suscite une forme de respect, même chez ceux qui ne l’aiment pas. Laurent Ruquier, Thierry Ardisson, on voit qui ils sont. Lui, on ne voit pas. Aujourd’hui, il a une énorme surface médiatique, ce qui prouve qu’on l’a sous-estimé. C’est pourquoi passer à côté de lui, c’est passer à côté de notre époque.
C’est ce qui vous pousse à tirer la sonnette d’alarme sur la place qu’il occupe à l’antenne et qui va encore s’accroître pendant cette campagne présidentielle, avec une émission politique à venir ?
D’abord, il y a la quantité. Aujourd’hui, sans compter « Balance Ton Post », rien qu’avec les directs et les rediffusions de « Touche Pas à mon Poste » il comptabilise déjà plus de cinq heures d’antenne par jour. C’est énorme. Il envahit même les autres émissions en appelant leurs présentateurs en direct. Par le passé, il a investi les plateaux de « Questions pour un champion » de Julien Lepers, du Grand Journal, il a téléphoné en direct à Julien Courbet dans son émission « ça peut vous arriver »… Sans parler de la contagion sur internet et les réseaux. Au moindre buzz de « Touche Pas à mon Poste » et « Balance ton Poste », bêtisiers, zappings, sites gossip, people, médias, télé, des dizaines de supports reprennent ses émissions. A chaque heure, vous avez une actualité Hanouna. Et en ce moment, au nom de la promotion de son livre, il accède à une nouvelle case de l’audiovisuel qui ne lui était pas accessible : les matinales radio.
« Chez lui, la pensée populiste devient une idée parmi d’autres. Avec lui, toutes les idées se valent. Il banalise tout. On l’a vu quand il a invité Jean-Marie Le Pen. Le fondateur du Front National y apparaissait comme un vieux grand-père sympathique et inoffensif. La mémoire du détail de l’histoire était complètement effacée »
Ensuite, pour vous, il y a un problème de fond ?
C’est qu’il libère toutes les paroles à égalité. C’est dangereux. C’est une vraie dérive. Mercredi encore, sur RMC, il le revendiquait : « Pour moi tout le monde se vaut. Moi, j’invite tout le monde. Tout le monde a droit à la parole. » Avant, on n’aurait pas entendu les extrêmes à une heure de grande écoute. Chez lui, la pensée populiste devient une idée parmi d’autres. Avec lui, toutes les idées se valent. Il banalise tout. On l’a vu quand il a invité Jean-Marie Le Pen (« Balance ton Post », 2019). Le fondateur du Front national y apparaissait comme un vieux grand-père sympathique et inoffensif. La mémoire du « détail de l’histoire » était complètement effacée. Or, je pense au contraire qu’il est très important de distinguer et de montrer ce qui révèle de la haine. Avec lui, toutes les idées, même les plus mortifères, peuvent être exprimées. Il va falloir en assumer les conséquences. En animant des émissions politiques, Cyril Hanouna va ringardiser les autres émissions. C’est une folie, il va peser et ça me désole.
Vous étiez un téléspectateur assidu des émissions de Cyril Hanouna. Votre livre est né de ce malaise grandissant à les regarder. Pouvez-vous nous expliquer ?
J’avais pris l’habitude de regarder les rediffusions de « Touche pas à mon Poste » le matin sur C8. J’aimais bien cette émission. Tout pouvait arriver et les rigolades étaient fluides. Dans mes cours de sémiologie, je le citais régulièrement comme une référence pour évoquer la télévision, les réseaux sociaux. Peu à peu, le voir et l’entendre m’est devenu pénible. Je ne supportais même plus sa voix. Je trouvais qu’il prenait une place qui n’était pas juste.
« Il ne lit pas les livres des invités. Il écorche les mots compliqués, il les déforme, il en invente. Mais c’est génial d’être creux car cela permet d’être tout à la fois. Il n’a pas d’avis tranché et donc il est en accord avec sa base, très clivée, qui ne supporte pas les élites »
C’est-à-dire ?
Il humilie et surexpose ses chroniqueurs. Moi je suis prof, je sais qu’en tant que prof, c’est facile pour moi de faire rire la classe à mes blagues. Je sais que les élèves peuvent le faire même si je ne suis pas forcément drôle parce que j’ai le pouvoir. Hanouna est dans la même configuration, et il en abuse. Dans son émission, il est omnipotent. Sous couvert de « vanne », il blesse, il dévalorise, il humilie. Il surexpose ses chroniqueurs dans leur vie privée. Il est intrusif : se rend à leur domicile pour élaborer des happenings, contacte leurs proches, les surprend un peu partout pour des caméras cachées. A la fin de la saison 2018-2019, il a lancé le chocolate gate, l’arrosage intempestif de chocolat. C’est dégradant. Quand une idée ne lui convient pas, il la balaie sans argument : « Tu dis des bêtises, tu dis n’importe quoi. ». Quant à lui, en revanche, il se surprotège, c’est un roi intouchable, qui par définition peut faire ce qu’il veut. Dans sa mythologie personnelle, et avec ses mots à lui, « Hanouna n’a ni zizi, ni argent, ni relations », ce qui est bien évidemment faux.
Vous dites que c’est une baudruche…
Il n’a pas de culture, et le pire c’est qu’il le revendique. En fait, il valorise même l’inculture comme une nouvelle norme. En interview, il est souvent au niveau 4e de collège. Il ne lit pas les livres des invités. Il écorche les mots compliqués, il les déforme, il en invente. Mais c’est génial d’être creux car cela permet d’être tout à la fois. Il n’a pas d’avis tranché et donc il est en accord avec sa base, très clivée, qui ne supporte pas les élites. Cela lui convient parce qu’il veut être le porte-parole des Gilets jaunes. Mais tout ça est très flottant, et c’est ce qui est inquiétant. Le débat ne peut pas être réduit à « pour » ou « contre ».
Pour écrire ce livre, vous avez eu des contacts avec lui ?
Je n’en avais pas besoin car j’ai travaillé à partir de ce que j’ai pu observer à l’antenne. La question que je me pose maintenant, c’est s’il va m’inviter dans son émission… Je sais que ça va dépendre du nombre d’articles de presse sur mon livre.
Vous en avez envie ?
Ça me ferait rire. Ça me permettrait de faire passer quelques idées simples et critiques… J’irais chez lui sans problème.