L’équilibre diplomatique instable de l’Europe
Pour Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde » le président américain, comme ses prédécesseurs, voulait tourner sa diplomatie vers l’Asie. Las, il est sans cesse ramené à l’Europe, avec le choc imprévu de la guerre en Ukraine. Un conflit que la Chine surveille aussi de près
Chronique.
Joe Biden avait deux objectifs en arrivant à la Maison Blanche il y a quatorze mois : à l’intérieur, la relance de l’économie de son pays, dévastée par la pandémie de Covid-19 ; et à l’extérieur, la maîtrise de la rivalité sino-américaine, grand enjeu géopolitique du XXIe siècle. Mais le voilà, ce mercredi 23 mars, de nouveau en train d’atterrir à Bruxelles. Obstinément rappelé à l’ordre par la vieille Europe, lui qui ne rêve que d’Orient et de Delaware.
Ni lui ni personne n’avait prévu le retour de la guerre en Europe. Le choc est si brutal qu’en l’espace d’un mois, le monde s’est retrouvé en équilibre instable – dangereusement instable. Le président américain vient donc, par cette tournée décidée à la hâte, consolider ce qui peut l’être face à la Russie, éviter les fissures dans le bloc transatlantique.
La remarquable unité du groupe depuis le début de cette crise est mise à l’épreuve par les divergences entre Européens sur la suite logique des vagues de sanctions déjà prises : cesser de financer la guerre de Vladimir Poutine par l’achat de pétrole et de gaz russes. Certains en ont moins besoin que d’autres, certains sont plus motivés que d’autres. La Pologne, si près du front ukrainien mais aussi en première ligne du front des réfugiés – elle en a déjà accueilli près de 2 millions –, aura droit à un traitement de faveur de la part du président américain : une visite de deux jours.
Il faut consolider car la guerre russe, lancée il y a un mois, prend un tournant incertain. Stupéfaits des difficultés rencontrées par cette armée réputée si puissante, les Occidentaux ignorent comment le conflit va évoluer, guerre d’usure ou escalade des bombardements urbains, mais ils savent que l’Europe s’en trouvera ébranlée plus encore, alors que déjà la sécurité alimentaire mondiale souffre de la crise. Cet équilibre instable est rendu plus périlleux par le véritable supplice chinois que leur inflige le président Xi Jinping : viendra-t-il, ou non, au secours de Vladimir Poutine, au nom de leur « amitié sans limites » décrétée dans la déclaration sino-russe du 4 février ?
La réponse à cette question peut tout changer. Les Etats-Unis, fidèles à la stratégie adoptée dans ce conflit de révéler leurs renseignements afin de couper l’herbe sous le pied de leurs adversaires, ont fait savoir que Moscou avait demandé de l’aide militaire à Pékin. Pékin comme Moscou ont évidemment démenti…