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Inflation: Le retour rapide de la BCE à 2 % est une illusion

Inflation: Le retour rapide de la BCE à 2 % est une illusion

La Banque centrale européenne (BCE) continuera à relever ses taux d’intérêt pour freiner la dynamique « sous-jacente des prix, qui reste trop élevée », a déclaré ce mercredi sa présidente Christine Lagarde, lors d’une audition au Parlement européen. Comme la plupart des banques centrales dans le monde, la BCE maintient donc sa cible d’inflation à 2 %, un objectif inchangé depuis la fin des années 1990. Certains économistes commencent pourtant à douter de la crédibilité de cette cible. Faut-il la relever à 3 %, voire 4 % ? C’est le débat de la semaine de La Tribune entre Christopher Dembik, directeur de la recherche macroéconomique de Saxo Bank, et Gilles Moëc, chef économiste de chez Axa.

Le sujet est tabou chez les banquiers centraux mais il commence à agiter le cénacle des économistes. Le débat a été (re)lancé par Olivier Blanchard, ex-chef économiste du FMI, en novembre dernier. Dans une tribune publiée dans le Financial Times, cet économiste respecté et écouté plaide pour que la cible d’inflation (« inflation targeting ») des grandes banques centrales – actuellement de 2 % – soit revue à la hausse, à au moins à 3%. La question mérite en effet d’être posée alors que l’inflation est désormais bien supérieure à 5 % dans les pays développés.

Cette cible d’inflation à 2 % est devenue au fil des années l’alpha et l’oméga des politiques monétaires, surtout à la Banque centrale européenne (BCE) dont le premier mandat est la stabilité des prix en zone euro. Elle permet en principe aux banques centrales de gérer les anticipations d’inflation des agents économiques dans une communication bien cadrée, avec une marge de manœuvre suffisante pour ajuster la politique monétaire.

Pourtant, cet objectif d’inflation ne repose sur aucune base scientifique. La petite histoire raconte que c’est un ministre de l’économie néo-zélandais qui avait estimé, dans les années 1980, que le niveau d’inflation idéal serait de 2 %, avant de demander à la banque centrale de son pays de trouver des arguments pour appuyer ses dires ! Toujours est-il que toutes les banques centrales ont depuis progressivement convergé vers cette cible de 2%, même, plus tardivement, la Réserve fédérale aux Etats-Unis, pourtant pas très adepte de ce genre de dogme.

Cet objectif est resté à 2 %, y compris pendant la longue période de désinflation qui a accompagné la mondialisation des échanges. Mais la pandémie, la guerre en Ukraine, les tensions sino-américaines et la flambée des prix de l’énergie marquent le grand retour de l’inflation. Et cette inflation, longtemps considérée comme « provisoire » par les grands argentiers, semble bien installée dans nos économies, et pour longtemps. Ne serait-ce qu’en raison du coût de la transition énergétique qui fera de facto flamber les prix. Le consensus des économistes est sans appel : les économies seront confrontées à une période d’inflation structurellement plus élevée que ces trente dernières années.
Alors, les banques centrales doivent-elles relever les objectifs d’inflation ?

Il est désormais clair que l’inflation va se maintenir pendant au moins plusieurs années au-dessus de la cible de 2%. Ce qui pose logiquement un problème de crédibilité pour les banques centrales. Certes, les anticipations d’inflation à long terme sont ancrées autour des 2 % dans de nombreux pays. Mais cela ne veut pas dire pour autant que la cible d’inflation est réaliste. Le vrai sujet, me semble-t-il, concerne le changement profond de nos économies, et en particulier, la transition énergétique vers une économie décarbonée qui doit s’étaler sur des décennies. Ce temps long correspond d’ailleurs à l’horizon des banques centrales.

Il faudra bien ajuster l’objectif d’inflation au coût inflationniste de la politique énergétique, et d’une manière plus générale, au changement structurel du rythme d’inflation. Pour autant, le débat est sans doute prématuré aujourd’hui. Les banques centrales ne peuvent pas ouvrir deux fronts à la fois, l’un concret, sur la lutte contre l’inflation, et l’autre, plus académique sur le niveau idoine d’inflation dans les années à venir.

La priorité des banques centrales est bien de ramener les anticipations des agents économiques vers les 2 %. Cependant, nous devrions être capable d’amorcer ce débat à la fin de l’année, lorsque les effets de base pèseront sur le niveau d’inflation, sous réserve que les prix de l’énergie ne s’envolent pas à nouveau au second semestre, avec la hausse de la demande chinoise.
Ce débat doit être posé même si les banques centrales acceptent finalement que l’objectif d’inflation puisse être dépassé pendant un certain temps. C’est une question de crédibilité. Les agents économiques doivent faire confiance à la banque centrale pour ramener l’inflation au taux cible.

Il existe en effet des forces structurelles dans l’économie qui sont inflationnistes, comme le coût du verdissement de l’économie, les changements démographiques ou, peut-être, une déglobalisation. Dès lors, nous pouvons comprendre que maintenir un objectif d’inflation à 2 %, alors que la tendance ressort plutôt à 3 %, risque de plonger les banques centrales dans des politiques monétaires perpétuellement restrictives. Pourtant, relever l’objectif d’inflation serait à la fois extrêmement difficile à faire et même potentiellement dangereux à court terme. En pratique, ce n’est jamais le bon moment pour le faire !

Lorsque l’inflation était très faible, certains économistes plaidaient déjà pour relever l’objectif d’inflation pour tenter de relever les anticipations des agents économiques en signalant que les politiques monétaires n’allaient pas rester très accommodantes pour longtemps. Un raisonnement valide mais dans un contexte où les banques centrales avaient déjà du mal à arrimer l’inflation à un niveau proche de 2%. Monter à 3 % risquait alors d’accentuer le problème de crédibilité de la banque centrale.

C’est un peu la même chose aujourd’hui. Dans les faits, ramener l’inflation à 3% contre 6% actuellement en zone euro serait déjà une performance, mais relever l’objectif d’inflation à 3 % dans ce contexte c’est prendre le risque d’installer durablement une inflation à 4%. Regardez comment les marchés ont salué la décision de la Réserve fédérale de remonter ses taux de 25 points de base : ils montent parce qu’ils anticipent une baisse des taux directeurs au second semestre. Alors, imaginez si les banques centrales décident de relever leur objectif d’inflation à 3 % : cela renforcerait les anticipations de baisse des taux, ce qui serait totalement contre-productif dans la lutte contre l’inflation en assouplissant les conditions financières.

Enfin, du moins en Europe, ce débat serait une croisade perdue d’avance. La BCE et de nombreux gouverneurs de banques centrales sont en effet profondément attachés à cette cible de 2%. Car la lutte contre l’inflation est consubstantielle à la BCE.

Et puis, dernier mot, nous avons très bien vécu lorsque l’inflation était en-dessous de 2 %. Nous pouvons faire de même au-dessus sans modifier explicitement l’objectif. A partir du moment où la BCE n’affiche pas sa préférence, nous pouvons désormais considérer l’objectif de 2 % comme un plancher, et non plus comme un plafond, comme ces dernières années. Les agents économiques s’ajusteront toujours à ce que souhaitent les banques centrales.




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