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Inégalités : après « gilets jaunes » , les gilets rouges ?

Inégalités : après « gilets jaunes » , les gilets rouges ?

Par Magali Della Sudda est membre du Conseil de surveillance de la Fondation pour l’écologie politique et experte auprès de l’Institut La Boétie.

Le mouvement social d’opposition à la réforme des retraites qui rassemble un grand nombre de personnes et reçoit un fort soutien de l’opinion, rappelle, certes, la capacité des organisations syndicales à mobiliser mais aussi que la revendication salariale et le travail constituent encore un sujet de mobilisation collective.

Longtemps escamotée dans le débat public, elle concerne aussi bien les salaires sous leur forme de rémunération que les pensions de retraites liées aux contributions sociales.

Le conflit social qui a touché les raffineries et plates-formes pétrolières au mois d’octobre 2022 a mis en lumière la persistance de la question salariale dans la conflictualité sociale. La répartition des fruits du travail et des profits était au cœur de la contestation. Ce phénomène n’est pas nouveau mais l’absence de redistribution aux travailleuses et travailleurs des bénéfices records du groupe, au moment où l’inflation ronge la capacité des ménages à subvenir à leurs besoins élémentaires, suscite un sentiment d’injustice.

C’est l’un des points essentiels qui cimente l’opposition au projet de loi sur les retraites. C’est aussi l’un des points qui avait entraîné le mouvement des « gilets jaunes » mais dans un cadre bien différent.

Dans le contexte des dernières semaines, les syndicats ont montré leur capacité à initier et encadrer la conflictualité sociale, les uns privilégiant le compromis avec la direction, les autres la défense des revendications salariales.

Le temps semble loin de la mobilisation « spontanée » des « gilets jaunes », en dehors des organisations syndicales, qui ont suivi et accompagné – plus qu’ils ne l’ont initié – la contestation des projets de loi sur les retraites de 2019-2020 et 2023.

Tours : Les « gilets jaunes », le retour ? (Nouvelle République, 14 janvier 2023).
Aujourd’hui, les « gilets jaunes », qui ont poursuivi leur mobilisation depuis novembre 2018, relaient les conflits sociaux sur les salaires et les retraites sur les réseaux sociaux et sur les ronds-points. Leur présence sur les blocages, en manifestation et plus occasionnellement sur les ronds-points à l’automne et l’hiver 2022-2023, reconfigure les relations.

Certains étaient ainsi aux côtés des syndicalistes lors de la journée d’action du 18 octobre 2022 pour demander une juste répartition des fruits du travail entre les salariés et les actionnaires. D’autres ont appelé à prendre part aux blocages des raffineries, comme à Feyzin (Rhône).

Nous avons analysé les données issues d’un questionnaire passé durant les six premiers mois des « gilets jaunes » de novembre 2018 à mars 2019. Bien que ces données comportent des limites, elles sont significatives de la diversité des personnes engagées, de leurs parcours et valeurs durant la phase la plus intense du mouvement social.

L’étude de la base de questionnaires permet d’apporter quelques éclairages sur la composition du mouvement et la présence de personnes ayant adhéré ou adhérente à un syndicat.

Malgré la surreprésentation de personnes syndiquées ou l’ayant été dans le mouvement des « gilets jaunes », les organisations syndicales sont tenues à distance, notamment pour des raisons liées à leur prise de position jugée défavorable au mouvement social.

Le secrétaire général de la Confédération générale du travail, Philippe Martinez, avait ainsi déclaré le 16 novembre 2018 :

« On ne défile ni avec les gens d’extrême droite ni avec des patrons, qui, quand ils parlent de taxes, parlent aussi de cotisations sociales et autres droits sociaux »

Ces paroles coïncident aussi avec des expériences mitigées de l’engagement syndical chez les « gilets jaunes ». Certains reprochent le manque de combativité ou de soutien des syndicats, d’autres redoutent d’être phagocytés par ces organisations.

Nos résultats montrent que le mouvement social des « gilets jaunes » témoigne d’un contournement de l’espace de la négociation collective. Face à l’impossibilité de porter cette revendication salariale dans l’entreprise, les personnes engagées dans les « gilets jaunes » l’ont revendiquée sur les ronds-points et durant les actes du samedi.

La composition du mouvement peut ainsi contribuer à éclairer la manière dont la question salariale a été contournée par les « gilets jaunes » dans un premier temps, puis concurrencée et occultée par le RIC à partir de l’Acte 8 (5 janvier 2019 et au-delà), avant que le mouvement ne s’en saisisse à nouveau sur la question des retraites en 2020 puis en 2023.

En effet, il faut se rappeler que le salaire et les revenus des plus riches sont invoqués comme motifs de colère et d’injustice. Le travail étant envisagé pour beaucoup comme une valeur centrale dans leur économie morale,mais insuffisamment. Comme le soulignent différentes enquêtes, le sujet politique des « gilets jaunes » dans les premières semaines du mouvement est le peuple du travail, ou le peuple des personnes qui vivent ou aimeraient pouvoir vivre de leur travail.

Moins visible que le référendum d’initiative citoyenne (RIC), la question salariale remonte au mois de novembre 2018 lorsque des « gilets jaunes » étaient engagés dans les blocages de raffinerie, l’occupation de sites de production ou dans des conflits sociaux, notamment dans le secteur de la santé – fonction publique hospitalière, transport sanitaire.

Nos enquêtes et celles de l’équipe du laboratoire Triangle à Lyon montrent cependant que ces revendications n’ont pas disparu et présentent une articulation plus complexe, propre aux « mouvements anti-austérité » qui ont émergé depuis la crise de 2008 pour demander davantage de justice sociale et de démocratie, mouvements qui se passent aussi parfois des organisations syndicales.

À travers une analyse des termes utilisés se dessinent différents registres d’expression de la question du travail qui permettent de comprendre comment une partie des personnes mobilisées peuvent se reconnaître dans d’autres mouvements sociaux.

À l’aune de ces données, on peut analyser aujourd’hui la manière dont les conflits sociaux actuels rechargent la contestation des « gilets jaunes » en mobilisant des personnes qui s’étaient désengagées, d’une part, et d’autre part comment les « gilets jaunes » passent d’initiateurs de mouvement social en 2018 à accompagnateurs aujourd’hui.

Ainsi, en Gironde, nous observons un nombre significatif de collectifs et de « gilets jaunes » encore actifs, partie prenante des cortèges contre le projet de loi sur les retraites présenté au Conseil des ministres du 23 janvier 2023 par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et par le ministre du Travail, du plein emploi et de l’insertion, l’ancien socialiste Olivier Dussopt.

La crise climatique tolère encore moins les inégalités sociales

La crise climatique tolère encore moins les inégalités sociales

 

Loin d’être un simple « buzz », la polémique sur les jets privés est révélatrice d’un nouveau rapport aux inégalités sociales, estime Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », dans sa chronique.

 

Quelle que soit la méthode comptable, il faut bien le reconnaître : le poids climatique des déplacements en jet privé de quelques personnes fortunées est minuscule, négligeable. Selon les estimations du ministère des transports, il ne comptait en 2019 que pour moins de 0,1 % des émissions de gaz à effet de serre de la France. Interdire ce mode de transport ne changerait rien ou presque au bilan climatique national et aurait pour seul effet de contrarier inutilement une petite minorité de personnalités, tout en fragilisant une centaine de milliers d’emplois directs ou indirects, et en détruisant une activité qui représente, selon la filière, un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 29 milliards d’euros.

Dépassionner la conversation, fixer les ordres de grandeur, mettre des chiffres sur les problèmes : c’est avec l’apparence d’une approche rationnelle de la question que la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a dans un premier temps balayé d’un revers de main la polémique. Les jets privés sont « clairement un problème très limité en termes d’impact climatique, a-t-elle dit, le 30 août, sur France Inter. Que les écologistes en fassent un combat montre à quel point ils sont à côté de la plaque. »

Quelques jours plus tard, réagissant à la polémique ouverte par les propos de l’entraîneur du PSG Christophe Galtier – ironisant sur les chars à voile que les joueurs du club pourraient utiliser en remplacement de leur transport en avions privés –, Mme Pannier-Runacher ajustait son discours à l’ampleur du tollé, estimant cette fois que « la réponse du PSG n’est pas à la mesure » de la question climatique, et appelant le club « à se saisir très sérieusement de ce sujet ».

Pourquoi un tel revirement ? Dans un premier temps, la polémique pouvait être comprise comme une instrumentalisation de la crise climatique, par les écologistes, destinée à stigmatiser le faste du train de vie des plus fortunés. Mais dans un second temps, le fait qu’un footballeur aussi adulé que Kylian Mbappé soit également la cible de l’indignation populaire – alors que les sportifs de haut niveau échappent à peu près toujours aux critiques sur leurs rémunérations – a dissipé ce malentendu.

Ce qui peut sembler un truisme augure peut-être, en réalité, d’un bouleversement profond de perception des inégalités sociales. Elles ne sont plus seulement définies par la distribution de la richesse dans la société, mais aussi par le pouvoir de destruction de l’environnement mécaniquement associé à cette richesse. Or il y a une grande différence entre ces deux façons d’envisager les inégalités socio-économiques. D’un côté, il n’existe aucune limite à la quantité de richesses produites et distribuables ; de l’autre il n’existe qu’un stock limité de carbone à émettre pour éviter de détruire un bien commun, à savoir le climat terrestre.

Inégalités: dès la naissance

Inégalités: dès la naissance

Les chercheuses Lidia Panico et Anne Solaz rappellent, dans une tribune au « Monde », que, pour être efficace, la lutte contre les inégalités doit commencer bien avant l’école.

Tribune.

La petite enfance est une phase-clé pour le développement cognitif, social et émotionnel, ainsi que pour la croissance et la santé. De fortes disparités socio-économiques existent dès les premiers jours de vie dans presque tous les pays. La France n’est pas à l’abri de ces inégalités. Jusqu’à récemment, il y avait peu d’études sur le sujet, faute de grandes enquêtes représentatives au niveau national sur les jeunes enfants permettant de croiser origines sociales, santé et bien-être des enfants. L’Etude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe), qui suit plus de 18 000 enfants nés en 2011, a permis de faire plusieurs constats.

Il en ressort que, malgré un système de protection sociale généreux envers les familles, les inégalités socioé-conomiques de santé et de développement sont très marquées en France, dès la naissance. Par exemple, on observe un plus fort risque de prématurité ou de faible poids à la naissance chez les ménages les plus défavorisés. C’est aussi visible en matière de développement du langage. Alors que, en moyenne, aux alentours de leurs 2 ans, les enfants connaissent 74 mots parmi une liste de 100 mots proposés, ceux dont la mère a un niveau de diplôme inférieur au BEPC en connaissent 4 de moins, tandis que ceux dont la mère a un diplôme bac + 2 ou plus en connaissent 6 de plus. Vers 5 ans, des inégalités en matière de santé mentale sont mesurées, avec les enfants de milieu défavorisé à plus grand risque de connaître des difficultés socio-émotionnelles.

 

Quels mécanismes produisent ces inégalités et comment y remédier ? Les politiques du quinquennat actuel ont surtout misé sur les modes d’accueil extérieurs à la famille et l’éducation précoce. Depuis 2019, l’âge de l’instruction obligatoire a été abaissé à 3 ans (au lieu de 6), avec l’objectif théorique de réduire les inégalités sociales dès le plus jeune âge. L’une de ses mesures-phares de la stratégie nationale de prévention et d’action contre la pauvreté est de favoriser l’accès en crèche aux plus fragiles, notamment à travers la création d’un bonus mixité pour encourager la diversité sociale, et d’un plan de formation des professionnels de la petite enfance.

Est-ce que ces politiques fonctionnent ? Réduisent-elles les inégalités pendant la petite enfance ? Si on manque encore, à regret, d’évaluations directes de ces mesures, nos études suggèrent que oui, mais seulement jusqu’à un certain point.

Le développement du langage, par exemple, diffère entre les enfants selon le mode d’accueil utilisé. Les enfants accueillis en crèche ont acquis un vocabulaire plus riche que ceux gardés par leurs parents ou par leurs grands-parents, et ce, surtout chez les enfants plus défavorisés. Le contact avec des professionnels de la petite enfance, proposant des activités adaptées, pourrait être source d’enrichissement du vocabulaire. Les modes d’accueil collectif pourraient donc être des outils pour atténuer les inégalités. Mais ces modes d’accueil sont encore inégalement répartis à la fois territorialement et socialement, car accessibles en priorité aux parents en activité professionnelle et pouvant en supporter le coût (même si celui-ci est souvent modulé selon les revenus).

Logement et Patrimoine : Des inégalités croissantes

Logement et Patrimoine : Des inégalités croissantes

 

L’économiste Jean-Benoît Eyméoud identifie, dans une tribune au « Monde », quatre inégalités qui concernent les jeunes générations dans leur souhait d’accéder à un logement. Celles-ci se sont même fortement accentuées depuis trente ans.

 

Tribune.

 

Depuis quelques semaines la question du logement s’est imposée dans la course à l’élection présidentielle à travers la question de la fiscalité de l’héritage. Si l’on ne peut que se réjouir de voir le thème du logement enfin devenir une question du débat, se concentrer uniquement sur les inégalités de patrimoine conduit à laisser de côté des questions de solidarité intergénérationnelle plus larges qui pourtant structurent la société et mériteraient d’être replacées au cœur du débat.

Toutes les études le montrent, depuis quelques années, le logement est devenu le premier poste de dépenses des ménages français, devant l’alimentation, les transports ou encore la santé. Si la crise sanitaire et la guerre en Ukraine n’ont pas encore d’effets tangibles sur les
prix de l’immobilier, leur impact sur le coût de l’énergie est déjà visible et viendra, à terme, alourdir encore un peu plus la barque des dépenses de logement. Pourtant, derrière cette tendance moyenne se cachent des inégalités générationnelles profondes qui méritent qu’on s’y attarde.

 

Première inégalité, l’accès au patrimoine immobilier. Si l’on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas non plus la période économique dans laquelle on fait ses premiers pas. A cet égard, la génération des baby-boomeurs a bénéficié de cieux économiques incomparables. Au cours de leur trajectoire professionnelle, les bébés post-seconde guerre mondiale ont eu la chance d’évoluer dans un monde prospère où le chômage était une vue de l’esprit et l’achat d’un appartement dans le centre de Paris ou Bordeaux un horizon tout à fait atteignable.

Entre 1967 et 2013, le taux de propriétaires a fortement augmenté, passant de 41 % à 58 %. A partir des années 1980, un parfait alignement de planètes s’est produit : la baisse des taux couplée à l’allongement des durées d’emprunt a rendu les ménages plus solvables et donc la demande plus forte. L’offre foncière en France étant plutôt rigide, les prix se sont envolés et les propriétaires ont pu capitaliser la hausse des prix.

Aussi, si la croissance des années 1970 a permis de créer une génération de propriétaires, la baisse des taux des années 1990 les a rendus riches. Cette histoire, certes un peu rapide, ne s’observe pas qu’en France mais dans beaucoup de pays développés, et de nombreuses études s’intéressent à ses implications économiques.

 

Ainsi, une étude américaine s’alarme que, en 1990, une génération de baby-boomeurs, dont l’âge médian était de 35 ans, possédait un tiers des biens immobiliers américains en valeur, alors qu’en 2019, une cohorte de taille similaire de milléniaux, âgés de 31 ans, n’en possédait que 4 %. Actuellement, les données françaises ne permettent pas de construire une telle statistique mais tout laisse à penser qu’une dynamique comparable est à l’œuvre.

Lutte contre les inégalités: Pour un impôt progressif sur les millionnaires

Lutte contre les inégalités: Pour un impôt progressif sur les millionnaires

 

par Lucas Chancel, économiste, est codirecteur du Laboratoire sur les inégalités mondiales, dont le nouveau rapport est publié mardi 7 décembre 2021.

Le nouveau rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales (World Inequality Lab, WIL), publié mardi 7 décembre, éclaire d’un jour nouveau combien nos sociétés sont fragilisées par de multiples inégalités, monétaires, éducatives ou encore dans l’accès au soin, comme l’a rappelé la pandémie de Covid-19. Lucas Chancel, codirecteur du Laboratoire sur les inégalités mondiales, et qui a piloté ce rapport avec les économistes Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, souligne dans le Monde que restaurer la progressivité de l’impôt et bâtir une fiscalité verte redistributrice doivent aller de pair pour résorber les inégalités et accompagner la transition écologique.


La pandémie a souligné la nécessité d’un Etat fort pour surmonter la crise. Cela peut-il renouveler le débat sur la fiscalité ?

Absolument. La crise du Covid-19 a, d’une part, accéléré la concentration du patrimoine détenu par les milliardaires, et de l’autre, accru l’extrême pauvreté dans les pays émergents, après vingt-cinq ans de baisse. Entre ces deux extrêmes, l’intervention de la puissance publique dans les pays riches a permis d’y contenir la montée de la pauvreté. La machine redistributive de l’Etat social, financé par l’impôt, a été activée et a relativement bien fonctionné. Mais au prix d’une hausse de 15 points de la dette publique en moyenne dans ces pays. Qui paiera ? Demandera-t-on aux jeunes, qui ont subi cette crise de plein fouet, de payer ? Faudra-t-il annuler les dettes ou laisser courir l’inflation pour les rembourser ?


Chacun de ces choix a des effets plus ou moins inégalitaires dont il faut discuter. L’intérêt de la fiscalité est que c’est un outil transparent. Avec un impôt progressif sur les plus hauts patrimoines, on peut explicitement mettre à contribution ceux qui ont le plus prospéré pendant la crise. Accompagné d’un « supplément pollution » pour ceux qui possèdent des actions dans les secteurs carbonés, un tel impôt sur la fortune des multimillionnaires pourrait rapporter au moins 1,5 % à 2 % du PIB mondial. De quoi financer la quasi-totalité du surcroît d’investissements nécessaires, selon l’Agence internationale de l’énergie, pour réussir à atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat.

Les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) se sont entendus pour instaurer un taux d’imposition minimum de 15 % aux multinationales. Est-ce l’aube d’une révolution fiscale ?

C’est une avancée, qui paraissait utopiste il y a encore quinze ans. Mais il reste beaucoup à faire. Le taux plancher de 15 %, qui vise à saper le business des paradis fiscaux, est loin de celui payé par le restaurant de quartier, presque deux fois plus élevé. En Europe, nous ne sommes donc pas à l’abri d’une poursuite de la course vers le moins-disant fiscal. Par ailleurs, les règles sur le rapatriement des profits dans les pays où l’activité économique est faite sont encore peu claires, avec des possibilités d’exemption. Il faudra être très vigilants sur les détails.

Inégalités mondiales : La pandémie a accentué les écarts

Inégalités mondiales : La pandémie a accentué les écarts  

 

La pandémie de Covid-19 a accentué les écarts, avec des riches encore plus riches et des pauvres toujours plus pauvres estiment un papier du Monde. Les dirigeants doivent tout mettre en œuvre pour lutter contre ce fléau, qui sape les équilibres politiques, économiques, sociétaux et environnementaux de la planète. Les inégalités ne sont pas une fatalité, mais les combattre reste un défi gigantesque. Cette conclusion ambivalente du rapport publié, mardi 7 décembre, par le Laboratoire sur les inégalités mondiales (World Inequality Lab) montre toute la complexité d’un fléau qui sape les équilibres politiques, économiques, sociétaux et environnementaux de la planète. La menace n’est pas nouvelle, mais la crise liée au Covid-19 a exacerbé la captation des richesses mondiales par les plus fortunés, tandis qu’elle a un peu plus plongé dans la précarité les plus fragiles.  

 

De ce point de vue, le choc subi ces derniers mois est particulier. Alors que les deux guerres mondiales ou la crise financière de 1929 avaient abouti à une redistribution des cartes en défaveur des possédants, la pandémie, elle, a plutôt accentué les écarts, avec des riches encore plus riches et des pauvres toujours plus pauvres. Certes, les interventions massives des Etats dans le monde développé ont permis de préserver les revenus du plus grand nombre et de contenir l’explosion de la pauvreté. Mais ces politiques n’ont été possibles qu’au prix d’un endettement public historique et de l’injection massive de liquidités par les banques centrales dans le système financier. Si cet argent a été indispensable pour protéger les salariés et les entreprises, il a aussi largement profité aux plus gros détenteurs de patrimoine, contribuant ainsi au creusement des inégalités. En 2020, les milliardaires ont ainsi engrangé des gains de plus de 3 000 milliards d’euros grâce à la forte hausse de l’immobilier et des marchés financiers. Les 10 % les plus riches possèdent désormais les trois quarts de la richesse mondiale quand la moitié la plus pauvre de l’humanité n’en détient que 2 %. Cet écart n’est plus soutenable.

 

Trois évidences Trois évidences doivent désormais s’imposer aux dirigeants politiques. La première : les gagnants de la crise, ceux dont la fortune s’est consolidée pendant que les autres tentaient simplement de surnager, doivent contribuer davantage pour réparer les dégâts causés par la pandémie, à commencer par la dette. Cela passe par l’instauration d’un impôt progressif sur les plus hauts patrimoines et par le relèvement du taux d’impôt effectif sur les revenus des très riches. Ensuite, la création d’un taux d’imposition minimum de 15 % pour les multinationales est un pas dans la bonne direction, mais beaucoup trop d’échappatoires subsistent.   Deuxième évidence : la réduction des inégalités ne passe pas seulement par des politiques de redistribution, mais aussi par un Etat-providence capable de financer des systèmes éducatifs et sanitaires performants, et accessibles au plus grand nombre. Trop longtemps considérés comme des dépenses, ces efforts doivent être conçus comme des investissements indispensables à la réduction des inégalités. Si l’Europe est la région où celles-ci sont les moins prononcées, c’est avant tout parce que le niveau de services publics y est le plus développé. Le fait que les Etats-Unis s’inspirent désormais de ce modèle marque un progrès dans la lutte contre les injustices sociales. La troisième évidence concerne la prise en compte de la lutte contre le changement climatique par la fiscalité. Les ménages aisés, qui sont les plus gros pollueurs, doivent davantage contribuer au financement de la décarbonation. Le mouvement des « gilets jaunes » a montré que faire reposer la transition écologique sur les épaules des moins riches, c’est prendre le risque de graves tensions sociales. La crise actuelle doit nous inciter à prendre en compte ces trois évidences avant qu’il ne soit trop tard.

Inégalités enseignement : la solution n’est pas les quotas

Inégalités enseignement : la solution n’est pas les quotas

 

Un tri social dès le lycée explique pour une bonne partie la surreprésentation des enfants de cadres et des professions intellectuelles supérieures dans les grandes écoles, estime Denis Choimet, président de l’Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques (UPS), dans une tribune au « Monde ».

 

Tribune.

 

En juin 2019, Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, a fait parvenir aux directions de neuf grandes écoles une lettre de mission leur demandant de formuler des « propositions de nature à permettre d’augmenter, de manière significative et selon un calendrier ambitieux, la proportion d’étudiants issus des milieux les moins favorisés ».

Une telle préoccupation n’était en réalité pas nouvelle : dès 2006, le président de la République de l’époque, Jacques Chirac, avait demandé aux classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) d’accueillir un tiers d’étudiants boursiers à l’horizon 2009. Quelque quinze années plus tard, on peut dire que cet objectif n’est pas loin d’être atteint, puisque 29 % des étudiants de CPGE scientifiques sont boursiers (un chiffre comparable à ceux observés dans les masters universitaires), et autant en sortent pour intégrer les grandes écoles ou poursuivre un cursus universitaire vers l’enseignement ou la recherche.

On ne saurait pourtant se satisfaire d’une telle conclusion, car ce taux moyen cache en réalité de grandes disparités : le taux de boursiers est sensiblement moins élevé dans les CPGE les plus sélectives, alors qu’il peut dépasser 50 % dans les CPGE technologiques. Même constat à l’Ecole polytechnique et dans les Ecoles normales supérieures, où seuls 11 et 19 % des étudiants admis sont boursiers.

Plus généralement, la surreprésentation des enfants de cadres et des professions intellectuelles supérieures dans l’ensemble des grandes écoles est bien connue. Il serait tentant d’en déduire que cette « spécificité française » qu’est le modèle CPGE/concours/grandes écoles pratique l’entre-soi et la reproduction sociale, tout particulièrement dans les établissements les plus prestigieux, voire de lui imputer la stagnation de l’ascenseur social dans l’enseignement supérieur français. Mais peut-être faut-il y regarder de plus près.

D’une part, il n’est pas établi que les CPGE soient structurellement inadéquates à la promotion sociale, elles qui proposent un enseignement gratuit et débouchent sur des concours anonymes. En comparaison, un lycéen français partant étudier à l’Imperial College de Londres paiera environ 10 000 euros de frais de scolarité, près de 43 000 euros s’il intègre l’université de Harvard, et il faut compter au moins 5 000 euros pour une année de préparation privée au concours de médecine.

D’autre part, il n’est pas évident que la relance de l’égalité des chances résultera d’un simple changement des structures de l’enseignement supérieur, comme le montre l’exemple des CPES (cycles pluridisciplinaires d’études supérieures), partenariats entre CPGE et universités, dont le comité stratégique diversité sociale dans l’enseignement supérieur, présidé par Martin Hirsch et mis en place en juillet 2020, a recommandé la « démultiplication » : la filière scientifique du CPES de l’université Paris Sciences et Lettres, créée en 2012 et dont la première année se déroule au lycée Henri-IV, recrute moins de bacheliers boursiers (12 %) que la CPGE MPSI (mathématiques, physique et sciences de l’ingénieur) de ce même établissement.

Inégalités salariales cadres hommes femmes : surtout inégalités des responsabilités

Inégalités salariales cadres  hommes femmes : surtout inégalités des responsabilités 

Un article du Wall Street Journal * qui souligne que les cadres femmes sont parfois moins payées parce qu’elles demandent moins d’augmentations ; en réalité, c’est parce qu’elles se voient confier des rôles moins importants

 

 

La pandémie de Covid a épuisé les femmes confrontées à une surenchère d’exigences dans leurs vies professionnelle et familiale. Selon un récent sondage McKinsey conduit auprès de 40 000 employés d’entreprises américaines, les femmes disent se sentir davantage exténuées et victimes de stress chronique que les hommes. Ce constat est valable pour toutes les ethnies et à tous les niveaux de l’entreprise, tout particulièrement au sommet.

Ces femmes retournent aujourd’hui sur des lieux de travail où, en moyenne, à niveau égal, elles sont payées moins que les hommes, et où elles se font de plus en plus rares à mesure qu’elles gravissent l’échelle hiérarchique. Une des raisons de ce phénomène — à en croire la culture populaire et certains éminents chercheurs — tiendrait au fait que les femmes ne demandent pas autant d’argent ou de responsabilités que les hommes, qu’elles manqueraient de confiance en elles ou qu’elles feraient des « choix de carrière limitants » en recherchant des horaires flexibles ou des congés parentaux.

La solution, leur dit-on, est de s’affirmer, d’oser parler et d’affûter leurs talents de négociatrices. Des brouettes de livres de développement personnel populaires et d’ateliers de leadership enfoncent le clou et promettent aux femmes de leur expliquer comment se sortir de ces schémas.

Nous sommes d’accord avec l’idée que dans tous les métiers, les talents de négociateur sont de la plus grande importance — les recherches montrent que seulement un tiers des salariés, hommes et femmes, négocient des promotions et des augmentations, et une de nous deux, la professeure Kray, enseigne ces compétences aux femmes et aux hommes dans des MBA et des ateliers destinés aux cadres depuis des années. Mais la négociation ne suffit pas à combler les inégalités salariales.

Dans les faits, nos recherches (et elles ne sont pas les seules) montrent de façon probante que les femmes demandent des augmentations salariales aussi fréquemment que les hommes — parfois plus. En revanche, elles n’obtiennent pas les mêmes résultats. Une étude de l’University of Wisconsin datant de 2018 a mené l’enquête auprès de 4 600 employés sur 800 lieux de travail australiens pour déterminer leur tendance à demander des augmentations, et n’y a trouvé aucune différence entre les sexes. En revanche, les hommes qui en sollicitaient les obtenaient 20 % du temps, contre 15 % pour les femmes.

En 2019, nous avons réalisé cette même enquête auprès de 2 000 diplômés d’une école de commerce d’élite américaine et avons découvert qu’une plus grande proportion de femmes sollicitait des augmentations et des promotions (64 % contre 59 % pour les hommes), mais qu’elles se voyaient opposer une fin de non-recevoir deux fois plus souvent. Une autre recherche récente de Dartmouth révèle que comparé aux hommes, les femmes qui viennent à la table des négociations avec une proposition d’augmentation ferme (et, surtout, identique) sont plus susceptibles de ne rien obtenir du tout. Le mythe persistant selon lequel les femmes n’essaient pas de négocier aide à justifier le statu quo et pourrait cacher les véritables causes des inégalités salariales.

Le Bureau of Labor Statistics américain constate qu’en 2020, les femmes ont gagné 82 cents pour chaque dollar empoché par les hommes. Ce fossé est encore plus large pour les femmes de couleur et il s’accentue à mesure que les femmes prennent du galon. Dans notre étude récemment parue portant sur presque 2 000 jeunes diplômés d’écoles de commerce, nous avons découvert que dix ans après leur MBA, les professionnelles travaillant à plein temps pour des entreprises à but lucratif gagnaient encore moins : juste 74 cents pour chaque dollar perçu par un homme. Nous avons suivi des hommes et des femmes titulaires de masters, ayant suivi le même cursus et doté des mêmes diplômes, et rectifié les variables pertinentes de type carrière professionnelle, caractéristiques de poste et région géographique. La triste vérité, avons-nous constaté, est qu’obtenir davantage de diplômes et gravir l’échelle hiérarchique n’aide pas les femmes à combler ces inégalités salariales.

Les emplois des hommes et des femmes adoptent des caractéristiques différentes très tôt dans leurs carrières. Nous avons découvert qu’en moyenne, à niveau hiérarchique égal avec leurs homologues féminines, les hommes se voient attribuer presque immédiatement davantage de subordonnés et dirigent des équipes plus grandes. Les managers hommes obtiennent rapidement de plus grands « espaces de contrôle » que les femmes au même niveau organisationnel, ce qui conduit à des gratifications plus élevées. Nous avons calculé les disparités d’effectifs dirigés pour les titulaires de MBA de notre échantillon et avons découvert que la taille des équipes des femmes représentait 75 % de celles des hommes lorsqu’elles sont directrices, et 63 % lorsqu’elles atteignent l’échelon de vice-présidente. La disparité des salaires s’accentue elle aussi : les femmes en moyenne gagnent 71 % de ce qu’obtiennent les hommes dans des rôles de direction, et 55 % pour les vice-présidentes.

Les préjugés basés sur le sexe dans le domaine du leadership ont des fondations solides. Dans notre étude, nous sommes allées plus loin pour comprendre pourquoi les hommes se voient octroyer de plus grandes équipes à diriger. Tandis que les participants homme et femmes ne signalaient aucune différence dans le nombre d’employés qu’ils se sentaient capables d’encadrer, les deux groupes ont confié préférer voir des hommes diriger les plus grandes équipes et des femmes les plus petites. Ils associaient des attributs considérés comme typiquement masculins (comme l’assurance et l’agressivité) aux chefs de plus grandes équipes et des caractéristiques généralement attribués aux femmes (comme la patience et la politesse) à des chefs d’équipes de taille plus modeste. Et ont affirmé que les chefs d’équipes plus grandes méritaient d’être payés davantage.

Le problème des inégalités salariales est particulièrement présent dans les entreprises technologiques. Chez Google, une ex-employée qui voulait aider ses collègues à négocier des augmentations a diffusé une feuille de calcul où chacun reportait son salaire, et qui montrait que les femmes étaient moins payées. Bien que les données de Google n’aient pas été complètes, elles validaient notre constatation que les inégalités salariales commencent de façon discrète et vont crescendo. En début de carrière chez Google pour des postes techniques, les femmes rapportent gagner en moyenne 124 000 dollars annuels en comptant les primes, soit 4 % de moins que ce que les hommes affirment gagner ; différence qui atteint 6 % en milieu de carrière, constate-t-on. Un recours collectif pour discrimination salariale contre l’entreprise a été lancé par 11 000 anciens salariés et est en cours actuellement (en réponse à ces chiffres et à une enquête du département du Travail, Google a affirmé que ses propres chiffres sont plus complets et montrent que les femmes gagnent 99,5 cents pour chaque dollar empoché par les hommes.)

Dans les années à venir, malgré des décennies d’efforts pour promouvoir les femmes dans les entreprises, celles-ci pourraient bien constater qu’elles manquent de femmes pour occuper les postes à responsabilités. Pendant le Covid, parce que les obligations familiales leur incombent la plupart du temps, les femmes ont été plus nombreuses que les hommes à cesser de travailler. Dans les sondages, elles sont plus enclines à dire qu’elles veulent télétravailler, peut-être à cause des soins à apporter aux enfants, et pourtant elles ont peur de rater les interactions informelles avec les supérieurs qui aident à progresser au sein de l’entreprise.

Alors, quelle solution ? Publier les chiffres des salaires est édifiant, mais ne fera pas bouger le curseur sans suivi systématique et continu afin de rectifier les disparités qui apparaissent. L’interdiction de poser des questions sur les rémunérations précédentes, adoptée par 21 Etats depuis que le Massachusetts a ouvert le bal en 2016, est bien utile pour corriger les inégalités préexistantes mais ne changeront pas les préjugés profondément enracinés dont les hommes continuent de bénéficier au détriment des femmes.

La solution ne réside pas dans la publication des feuilles de paie ou dans une plus grande témérité des femmes. Si nous persistons à penser que ce sont les femmes qui, individuellement, ont le pouvoir d’accéder à une égalité de rémunération par elles-mêmes, nous n’y arriverons jamais. Les chefs d’entreprise doivent analyser les schémas qui règnent au sein de leur organisation et les changer afin que les nombreuses femmes talentueuses et instruites qui y travaillent puissent s’épanouir au lieu de finir sur les rotules.

Et ils doivent aussi comprendre, et expliquer, pourquoi ils disent plus souvent non à une femme et oui à un homme.

*La docteure Kray enseigne le management à la Haas School of Business, University of California, Berkeley, et elle est directrice de faculté du Center for Equity, Gender and Leadership. La docteure Lee est chercheuse postdoctorale au Center for Equity, Gender and Leadership.

(Traduit à partir de la version originale en anglais par Bérengère Viennot)

Traduit à partir de la version originale en anglais

Enseignement : les inégalités dans l’accès aux sciences

Enseignement : les inégalités dans l’accès aux sciences

La sociologue Clémence Perronnet a travaillé sur la disparition des filles et des jeunes issus des classes populaires des filières scientifiques, pourtant réputées plus égalitaires. Elle évoque les mécanismes d’exclusion et de censure sociale qui, selon elle, expliquent cette attrition.( Interview le Monde ,extrait)

 

Doctoresse en sociologie et maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’Université catholique de l’Ouest, Clémence Perronnet retranscrit dans La bosse des maths n’existe pas (Autrement, 272 p., 19 euros) les résultats de ses travaux de thèse sur le goût des enfants pour les sciences. Elle estime que l’attrition des filles et des enfants des classes populaires dans les filières scientifiques est le fruit de mécanismes d’exclusion et d’une forme de censure sociale qu’elle appelle à combattre.

Le goût pour les sciences semble s’évaporer très tôt chez les filles et les enfants des classes populaires. Vous apportez de nouvelles explications à cette situation. Comment êtes-vous arrivée à ce constat ?

Par le terrain, peut-être le meilleur point de départ. J’ai commencé cette enquête sociologique dans des classes de CM1 que j’ai retrouvées ensuite en 5e, à Lyon. La question était de savoir pourquoi il y a si peu de filles en sciences.

L’hypothèse de départ, qui a été invalidée assez vite, était que c’était sans doute qu’elles ont moins de pratiques culturelles liées aux sciences. J’ai été invitée par une association de médiation scientifique qui portait un projet avec des écoles du réseau d’éducation prioritaire, si bien que je me suis aussi posé la question pour les jeunes des classes populaires, filles et garçons. Dans ce profil social-là, c’était les filles qui avaient le plus de loisirs scientifiques hors de l’école, comme regarder les émissions de vulgarisation telles que « C’est pas sorcier ». C’était les filles qui me disaient : « Les sciences, moi j’aime ça, je veux y aller, je peux en faire, ça me passionne ! » Un enthousiasme qui s’estompait par la suite.

Vous décrivez ce décrochage au moment du collège. Qu’est-ce qui se passe à ce moment-là ?

Il y a des changements qui sont vraiment propres à l’expérience de vie des enfants, le passage à l’adolescence, la recomposition des groupes d’amis, la place dans la famille, des rôles qu’on peut y avoir, pour les filles en particulier.

Pour elles, ce qui concourt à ce basculement, c’est plutôt la vision des figures de scientifiques dans toute cette culture qu’elles consomment, pas du tout attirantes parce que ce sont souvent des hommes, vieux et moches. Elles se demandent si elles-mêmes ne vont pas devenir moches, et un peu folles, si elles poursuivent dans cette voie. Les rares personnages féminins dans les magazines de vulgarisation scientifiques ont longtemps été représentés dans des situations domestiques, ou pire, comme des cruches, même si cela progresse.

Lutte contre les inégalités : viser les plus riches

Lutte contre les inégalités : viser les plus riches

Dans son dernier ouvrage « Encore plus ! » publié aux éditions Plon, le cofondateur et directeur de l’Observatoire des inégalités, Louis Maurin,  explique en quoi les « privilégiés » ne sont pas seulement ceux dont on parle.

 

 

« Toujours plus ! », s’exclamait, au début des années 1980, le journaliste François de Closets dans un livre à succès documentant l’accumulation des inégalités. Pourquoi reprendre sa formule aujourd’hui pour votre nouvel essai, « Encore plus ! » ?

Louis Maurin : A l’époque, la crise ne faisait que ses premiers pas : les classes aisées s’enrichissaient plus que les autres, mais la distribution des revenus augmentait globalement. Quatre décennies plus tard, le chômage et la précarité se sont installés dans la société, avec un tournant à partir des années 2000. Alors que les plus aisés continuent de s’enrichir, une partie des classes populaires est mise au régime.

Depuis la crise de 2008, cette stagnation concerne aussi les classes moyennes. Le choc est redoutable, c’est un peu comme lorsqu’on s’arrête net en voiture sans avoir la ceinture : on prend la vitre. La stagnation des revenus pour les classes basses et moyennes nourrit de fortes tensions, ravivées par le contexte d’incertitude croissante sur les revenus et la précarité galopante, pour les jeunes notamment.

Ces derniers se retrouvent dans une situation paradoxale : alors qu’on affirme valoriser, dans le monde professionnel, l’autonomie et la responsabilité, ils sont dans une position de forte soumission par rapport à l’autorité, avec des travailleurs des applications qui sont désactivés par l’algorithme s’ils mettent trop de temps à livrer leur colis.

Pourquoi est-il important de rappeler que les privilégiés en France ne se limitent pas à la frange des super-riches ?

La constitution de fortunes colossales est indécente. La voracité des 1 % des plus riches est sans fin. Mais se focaliser sur une frange très étroite de la population, c’est se défiler de la solidarité. Pour lutter contre les inégalités, il faut cibler les 20 % les plus aisés, ceux qui touchent plus de 2 600 euros net par mois pour une personne seule après impôts. C’est la France des cadres supérieurs et des diplômés des bonnes écoles, la bourgeoisie économique et culturelle qui refuse de voir ses privilèges.

De l’autre côté du spectre, il ne faut pas tomber dans le misérabilisme. La France populaire est constituée d’ouvriers, d’employés dans les services, de personnes qui n’ont pas eu accès aux études, il s’agit d’une France majoritairement féminine qui écope des emplois les plus difficiles. Ces personnes ne sont pas en détresse, mais leur mode de vie est très éloigné de celui de la bourgeoisie économique et culturelle.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Pour la reprise économique qui s’annonce, les salariés réclament leur part

Elles ne parviennent pas à répondre aux injonctions de la société de consommation, comme partir en vacances régulièrement. Une forme de mépris social accable cette France qui roule en diesel, fume des clopes, fait ses courses au supermarché, ne mange pas toujours bio, ne fait pas des expos tous les dimanches.

 » Le mérite , justification des inégalités ? »

«  Le mérite ,  justification des inégalités ? »

Chevillée au système scolaire, la notion de « mérite » telle que nous l’envisageons aujourd’hui est à même de fragmenter la société, explique la sociologue Annabelle Allouch, spécialiste des politiques éducatives. (Dans le Monde, extrait)

 

En pleine écriture de Mérite, son essai paru le 2 septembre aux éditions Anamosa, Annabelle Allouch, maîtresse de conférence en sociologie à l’université de Picardie, a perdu son père malade d’un cancer. L’homme, immigré marocain, storiste de profession, croyait dur comme fer au travail et au mérite. « Il pensait qu’en redoublant d’efforts, il serait forcément récompensé », raconte-t-elle alors, au début de son second chapitre. Dans l’écho de cette histoire familiale, on lit la singularité du projet de cet essai : étudier non pas l’effectivité de l’idéal méritocratique, mais sa charge émotionnelle et la force des croyances qui l’entoure.

Cette notion est plus que jamais visible, au centre de plusieurs publications ces derniers mois, comme La Tyrannie du mérite (Albin Michel), de Michael Sandel, ou Héritocratie : les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite. 1870-2020 (La Découverte), de Paul Pasquali. Alors que le mérite s’est imposé comme l’un des principes centraux d’évaluation et d’organisation du monde social, l’ouvrage d’Annabelle Allouch, spécialiste des politiques éducatives, montre comment ce concept est diversement investi selon les milieux sociaux. Loin du principe de justice consensuel qu’on semble y voir, le mérite apparaît comme un facteur de fragmentation de nos sociétés, favorisant l’émergence de tensions et d’un mal-être à l’école, et au-delà.

En quoi la notion de « mérite » relève-t-elle de la croyance, ou même de « l’acte de foi », comme vous l’écrivez ?

L’expression provient d’un entretien avec un étudiant de Sciences Po admis à l’ENA. A une question sur le caractère méritocratique du concours de l’ENA, il me répond : « J’y crois, mais c’est plus un acte de foi qu’autre chose. » Dans la vie des individus, le mérite est investi comme une croyance – c’est une « fiction nécessaire », selon les mots de François Dubet, pour participer à la compétition scolaire en ayant le sentiment de tenir les rênes. Mais cette croyance est aussi maniée avec une certaine distance, car on ne peut plus tellement croire en ce mythe. C’est très vrai pour ces élèves de grandes écoles. Formés aux sciences sociales, ils connaissent les paramètres qui, au-delà de la seule volonté, viennent influer sur une trajectoire. Mais ils veulent toujours un peu croire à cette idée qui légitime leur position sociale.

Passe sanitaire obligatoire: des nouvelles inégalités

 Passe sanitaire obligatoire: des nouvelles inégalités

Les nouvelles mesures sanitaires annoncées par Emmanuel Macron lors de son allocution du 12 juillet vont contribuer à renforcer les inégalités territoriales, générationnelles et sociales, analyse le géographe Sébastien Leroux dans une tribune au « Monde ».(extrait)

 

 

Tribune. 
Les décisions prises par Emmanuel Macron le 12 juillet, en particulier la mise en place du passe sanitaire obligatoire, vont continuer de creuser les inégalités au sein de la population. Ce phénomène sera d’autant plus accentué que le calendrier proposé est particulièrement tendu. Une personne ayant respecté la loi en enclenchant le parcours vaccinal début juin peut se retrouver exclue des lieux de vie sociale à la fin juillet, en raison des délais entre les deux doses et des sept jours d’attente nécessaires après la seconde injection. Si le parcours vaccinal a été enclenché plus tard, la période de carence sociale risque de s’avérer encore plus longue. Et le calendrier proposé n’est pas le seul problème car nous ne partons pas tous égaux face à ces mesures qui s’avèrent injustes, au moins à trois niveaux.Selon le site de l’Assurance-maladie, au 11 juillet 2021, soit la veille des annonces présidentielles, les disparités entre départements sont grandes. 34,7 % de la population de Haute-Savoie a réalisé un parcours de vaccination complet, 37,5 % en Ille-et-Vilaine contre 48,4 % à Paris ou 49,1 % dans l’Allier. Les approvisionnements, la réactivité des uns et des autres, l’état d’esprit de la population vis-à-vis de la vaccination autant de facteurs ayant pu creuser des différences d’un territoire à un autre.

Ces inégalités sont aussi générationnelles : les 75 ans et plus sont 78,7 % à avoir finalisé leur parcours vaccinal contre 29,2 % pour les 20 à 39 ans. C’est logique puisque les personnes les plus âgées ont bénéficié d’une priorisation dans la vaccination. Néanmoins cela leur donne un véritable droit d’accès aux lieux sociaux cet été dont une part importante des jeunes adultes risque d’être exclue. A moins qu’ils ne fassent un test PCR toutes les quarante-huit heures !

Recoupant une partie des disparités territoriales, les inégalités sociales sont là aussi criantes. Les départements les plus pauvres sont ceux où la population est la moins vaccinée. Les classes populaires sont celles qui ont à la fois le moins accès à la vaccination et le plus de doutes sur cette dernière. L’effet est radical. La Seine-Saint-Denis dénombre 30 % de parcours vaccinal complet pour un taux de pauvreté de 28,4 % (chiffre de l’Insee) contre 44,4 % de vaccinés et un taux de pauvreté de 11,9 % dans le département pourtant voisin des Hauts-de-Seine. La corrélation n’est pas aussi nette mais des départements moins urbains sont aussi dans cette situation : avec un taux de pauvreté à 17 % les habitants du Tarn-et-Garonne sont couverts par le vaccin à 37,3 %. Les outre-mer cumulent aussi fort taux de pauvreté et faible vaccination.

Inégalités: Nouveau sujet des banques centrales ?

Inégalités: Nouveau sujet des banques centrales ? 

 

La pandémie de Covid-19 a amplifié un peu plus encore la hausse des inégalités déjà à l’œuvre avant la crise. Si les banques centrales ne peuvent pas freiner cette tendance, elles peuvent néanmoins contribuer à l’atténuer, explique dans le Monde  Luiz Awazu Pereira da Silva, directeur général adjoint de la Banque des règlements internationaux. Mardi 29 juin, l’institution a publié son rapport annuel, dans lequel elle s’inquiète également de l’hétérogénéité de la reprise.

Quelles séquelles la récession engendrée par la pandémie de Covid-19 laissera-t-elle sur nos économies ?

Cette crise a été très grave, mais un peu moins qu’on aurait pu le craindre, grâce à l’action coordonnée des banques centrales et des politiques budgétaires visant à en limiter les effets. Elle laissera néanmoins de sérieuses séquelles en matière d’emploi, d’inégalités, et sur les secteurs les plus touchés.

Les incertitudes sont nombreuses : comment les ménages utiliseront-ils l’épargne accumulée ces derniers mois ? Dans quelles mesures certains services basculeront-ils vers le numérique, avec un contenu en emploi différent ? La reprise se fera-t-elle avec la même empreinte carbone ? Cette crise offre la possibilité de rebâtir une croissance plus verte, mais aussi de penser une réponse coordonnée au niveau mondial dans la lutte contre les pandémies.

Comment cette crise va-t-elle creuser les inégalités ?

Elle a accentué les tendances déjà à l’œuvre ces dernières années. A savoir l’augmentation des inégalités de revenus et de patrimoine, dans le sillage de la révolution technologique et de la mondialisation, qui ont toutes deux fragilisé les moins qualifiés. Réduire ces inégalités passera par des politiques structurelles complexes, notamment en matière de formation et de qualification.

Les politiques monétaires expansionnistes ont-elles contribué à creuser ces inégalités ?

Comme nous l’indiquons dans le rapport, ces dernières années, les inégalités sont devenues un sujet de préoccupation qui retient de plus en plus l’attention de la communauté des banques centrales. Ces dernières reconnaissent qu’il est important de les étudier afin de mieux comprendre comment elles peuvent influer sur l’efficacité de leurs mesures.

Inégalités sociales et diplômes : non au concours truqué

Inégalités sociales et diplômes  : non au concours truqué

Ancien élève de l’ENS et de l’ENA, Raphaël Doan est magistrat et premier adjoint au maire du Pecq. Il est aussi l’auteur du Rêve de l’assimilation, de la Grèce antique à nos jours, Passés composés, 2021. Il dénonce dans une interview au Figaro la perspective de concours truqués qui favoriserait une plus grande égalité sociale.

- Le ministère de l’Enseignement supérieur projette d’accorder par principe des points supplémentaires aux candidats boursiers à leurs concours. Que vous inspire ce dispositif?

Raphaël DOAN. - C’est d’une condescendance extrême: l’Éducation nationale n’étant plus capable de réduire les inégalités sociales, on finit par proposer aux candidats boursiers de passer des concours truqués. Près de 30% des étudiants dans les grandes écoles sont déjà boursiers: c’est moins que dans le reste de l’enseignement supérieur (37%), mais cela n’a rien de négligeable. En accordant des points bonus aux boursiers, on jettera sur eux une suspicion d’illégitimité alors que la plupart sont parfaitement capables de réussir des concours tout seuls. D’ailleurs, la majorité des intéressés n’en veulent pas.

Hausse des inégalités en dix ans

Hausse des inégalités en dix ans

D’après l’INSEE, le niveau de vie des 20% de ménages les plus aisés était 4,43 fois supérieur à celui des 20% les moins aisés en 2018, contre 4,35 fois en 2008, évalue l’Institut national de la statistique dans son rapport sur les revenus et le patrimoine des ménages. Mais cet écart aurait été beaucoup plus important sans les mesures de redistribution existantes, telles que les aides sociales, souligne l’Insee.

Dans le détail, sur la période, la moitié de la population avait un niveau de vie inférieur à 1 771 euros par mois, soit un niveau  »légèrement plus élevé » qu’en 2008. De même, le niveau de vie des 10% les plus modestes est inférieur en 2018 à son niveau de 2008, la hausse du chômage en dix ans ayant réduit leurs revenus, avant redistribution. A l’inverse, les revenus des plus aisés ont augmenté, en particulier leurs revenus du patrimoine.

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