Retraites : Encore un projet inégalitaire et bâclé
Repousser l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans menace les fondements mêmes du pacte de solidarité entre les générations, estime la chercheuse Anne-Marie Guillemard dans une tribune au « Monde ».
Tribune.
Le projet de réforme des retraites du candidat Macron confine une fois de plus la question de l’allongement de la vie et du vieillissement au cadre étroit du paramètre de l’âge légal, repoussé de 62 ans à 65 ans. Il débouchera inévitablement sur le creusement des inégalités sociales et intergénérationnelles. Il est, de plus, inefficace à lui seul pour parvenir à un allongement de la vie active.
En 2018, le projet du président Macron visait à unifier les 42 régimes existants, reposant sur des solidarités de statuts et de professions avec des règles distinctes, en un système universel plus juste, plus lisible et plus pérenne, qui ouvrait des possibilités de retraite choisie. Las, on connaît la suite. Le texte, adopté en janvier 2020 et abandonné avec la survenue de la pandémie, n’avait plus grand-chose à voir avec le projet initial. L’introduction d’un âge pivot à 64 ans, défendu par Edouard Philippe, alors premier ministre, a suscité une opposition générale, même parmi ses soutiens de la première heure, comme la CFDT. La logique comptable visant à redresser les comptes publics, initialement étrangère à la réforme, était désormais en son cœur, avec ce retour en force du paramètre de l’âge.
Aujourd’hui, le projet du candidat Macron s’apparente à un durcissement de l’âge pivot. En contrepartie est promise une augmentation du montant du minimum retraite, porté à 1 100 euros pour une carrière complète. Un tel projet ne peut que creuser les inégalités.
Les inégalités sociales d’abord, puisque ceux qui ont commencé leur carrière tôt ou exercé des métiers pénibles ne seront pas à même de se maintenir en emploi jusqu’à un âge avancé. En conséquence, ils devront patienter jusqu’à 65 ans en invalidité, au chômage ou avec les minima sociaux avant de pouvoir liquider leur retraite, à moins que les dispositifs de prévention de la pénibilité ou de carrières longues soient reconsidérés et élargis. Cette mesure frappe donc les ouvriers plus que les cadres, entrés plus tard dans la vie professionnelle après des études longues et moins soumis à des conditions de travail pénibles.
Les inégalités entre générations ensuite. Nous assistons actuellement à un antagonisme de plus en plus vif entre les retraités, qui seraient des « nantis », et les jeunes, de plus en plus pauvres. Cette opposition est surtout révélatrice d’une réalité inquiétante : celle de l’urgence de refonder le pacte de solidarité entre les générations, qui est à la base de notre système de retraite par répartition. L’esprit des origines de la Sécurité sociale posait comme principe l’interdépendance entre les êtres humains : les bien portants cotisaient pour les malades et les actifs pour les retraités. Mais ce pacte de solidarité a tourné au pacte de sacrifice : les jeunes estiment, à raison, qu’on ne leur laisse que des dettes et qu’ils cotisent pour des retraites qu’ils n’auront pas.