Hypersonique : La France écartée au profit de pays incompétents
Pour des motifs de fausse compétitivité chère aux technocrates de Bruxelles on a confié le projet de défense hypersonique à une société espagnole sans vraie compétence et au détriment du projet très sérieux du missilier français MBDA. Le choix de la commission européenne pourrait se traduire par un véritable fiasco et au bout du compte par un recours aux produits des missiliers américains ( ce que dénonceun article de la tribune). Encore une fois, le critère du moins-disant constitue une supercherie surtout dans un domaine si complexe où les coûts finaux sont très difficiles à définir.En dépit de ses compétences dans le domaine de l’hypersonique, la France et le missilier MBDA ont donc été recalés par la commission européenne dans le cadre du projet HYDEF (défense antimissile hypersonique). C’est l’Espagne, via l’industriel Sener, qui a raflé la mise.
Les causes de cet échec rappellent celles qui avaient également été identifiées quand Airbus Space (alors Astrium) avait perdu sans appel en 2010 la première compétition portant sur la fourniture de satellites de la constellation Galileo face à un petit nouveau dans le secteur, OHB. Tout comme pour MBDA pour l’intercepteur hypersonique, le programme de système européen de positionnement et de navigation par satellite lui était promis. Cet échec avait marqué pendant longtemps Airbus.
Le bilan de l’évaluation des deux propositions sur ce projet hypersonique, qui doit développer un intercepteur européen (supérieur à Mach 5) ayant la capacité à répondre aux menaces à grande vitesse, est semble-t-il sans appel, selon nos informations. Le consortium gagnant a-t-il quant à lui beaucoup trop promis, comme certains le pensent ? Possible mais au bout du compte, l’écart entre les deux consortiums ne permettait pas de « repêcher » le consortium mené par MBDA, qui avait rassemblé 51 sociétés de 14 pays différents pour ce programme majeur en termes de capacité opérationnelle pour l’Europe, explique-t-on à La Tribune. « Ils n’ont pas fait beaucoup d’efforts dans leur proposition », regrette une source proche du dossier.
Pour autant, le missilier européen pourrait revenir dans le jeu à la faveur de discussions avec le consortium gagnant et la Commission européenne. Cela semble encore jouable, estime cette même source. Mais au sein du consortium, on en doute. « Pourquoi Sener voudrait discuter », explique-t-on à La Tribune. Et le temps presse, le contrat doit être signé avant le 31 décembre pour une mise en vigueur début 2023.
« La France est nulle part » dans la défense antimissile européenne, regrette une source proche du dossier. La sélection par Bruxelles du consortium mené par Sener est catastrophique pour la France, qui avait pourtant initié ce projet d’intercepteur européen. Elle avait réussi à intéresser puis convaincre les Allemands et les Néerlandais, pourtant très dépendants des Etats-Unis dans ce domaine (Patriot), de lancer un programme de défense anti-missiles contre notamment les menaces hypersoniques. Elle avait également accroché l’Italie, déjà très proche dans le cadre du programme SAMP/T. « Cela fait plus de vingt ans que MBDA travaille sur les technologies liées à l’hypersonique et au programme ASN 4G », avait en outre expliqué début juin au Sénat le PDG de MBDA, Eric Béranger. La France apparaît comme très légitime dans ce domaine.
Dans le cadre de la Coopération structurée permanente européenne (Pesco), Français et Allemands s’étaient partagés le pilotage du programme Twister (Timely Warning and Interception with Space-based Theater surveillance) qui a été scindé en deux : aux Allemands (OHB), la coordination du système d’alerte précoce (« early-warning »), aux Français (MBDA), la coordination du pilier interception endo-atmosphérique. Ce projet ambitionne d’établir un système d’alerte avancé et de commandement et de contrôle (C2) associé à une gamme d’intercepteurs devant neutraliser des menaces balistiques et hypersoniques (missiles de croisière hypersoniques, planeurs hypersoniques, missiles balistiques manœuvrant). Ce projet capacitaire, qui a été validé en novembre 2019, implique six États membres de l’UE (France, Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas et Finlande).
Puis dans le cadre du Programme Européen de Développement Industriel de Défense (EPIDP), la Commission européenne avait sélectionné en juin 2021 OHB pour le projet ODIN’S EYE (2021-2024) auquel participe également ArianeGroup mais aussi Airbus Defence and Space France, l’ONERA et Thales. Financé par l’UE à hauteur de 7,5 millions d’euros, ce projet traite de l’alerte avancée spatiale et vise à préparer le développement d’une capacité de détection des missiles balistiques et hypersoniques ainsi que des lanceurs civils depuis l’espace pour contribuer à la défense antimissile, à la surveillance de la prolifération et à la surveillance de l’espace. Présent depuis de nombreuses années dans ce domaine, ArianeGroup apporte son expertise dans les domaines de la menace balistique et hypersonique ainsi que dans le domaine de la défense antimissile.
A l’issue de la sélection de la Commission, qui avait identifié une lacune capacitaire face aux menaces hypersoniques, il manque aujourd’hui une jambe dans le projet franco-allemand, celle de l’intercepteur baptisé Aquila. Car Sener associé à l’allemand Diehl est loin d’atteindre le niveau d’expertise de MBDA bien plus légitime à comprendre et à caractériser la menace. Or, la guerre en Ukraine a confirmé de façon brutale la menace hypersonique. L’Allemagne, qui a 100 milliards d’euros à dépenser, aura-t-elle la patience d’attendre le développement d’un programme confié à l’Espagne, la Pologne, la Norvège, la Suède et la République tchèque ? Pas sûr. Elle pourrait tout comme les Pays-Bas revenir dans les bras des Américains prêts à dégainer une vente FMS (Foreign military sales).
En outre, la sélection de Sener ne va pas dans le sens d’une consolidation de l’industrie de défense européenne préconisée par la Commission mais plutôt dans celui de la duplication des compétences.
Pourquoi cette capacité est-elle devenue cruciale pour la France et l’Europe ? Outre la France (projet V-max, un planeur hypersonique capable d’atteindre des vitesses de 6.000 à 7.000 kilomètres par heure, autrement dit, parcourir la distance entre Dunkerque et Nice en 12 minutes), trois puissances développent des armes hypersoniques : la Russie, la Chine et les États-Unis. « Il faut se préparer à se défendre contre des attaques hypersoniques », avait d’ailleurs rappelé Eric Béranger devant les sénateurs de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
« Les armes hypersoniques présentent de nombreux avantages opérationnels liés à leur domaine de vol couplé à leur vitesse, à leur manœuvrabilité et à leur intégration au sein d’architectures de combat complexes, explique dans la Revue Défense nationale Justine Vieu, doctorante sur les armements hypersoniques (Institut de recherche stratégique de l’École militaire). Ces armes sont capables d’atteindre des vitesses comparables à celles d’un ICBM (missile balistique intercontinental, ndlr) suivant des trajectoires non prévisibles, ce qui réduit considérablement la capacité de réaction de l’adversaire ».« Nous devons poursuivre notre investissement dans les technologies de rupture : les planeurs hypersoniques capables de parcourir 100 kilomètres en une seule minute », avait confirmé l’ancienne ministre des Armées, Florence Parly, en septembre 2020. Elle avait révélé en janvier 2019 l’existence du planeur hypersonique V-max (Véhicule Manœuvrant Expérimental) confié à ArianeGroup : « Nous avons décidé de notifier un contrat pour un démonstrateur de planeur hypersonique. Beaucoup de nations s’en dotent, nous disposons de toutes les compétences pour le réaliser : nous ne pouvions plus attendre. (…) Ce projet, V-max, sera un saut technologique pour bon nombre de nos a capacités ». Soit un missile hypervéloce qui conjugue l’hypersonique et la manœuvrabilité.