Archive pour le Tag 'inclusion'

Inclusion : un concept douteux ?

Inclusion : un concept douteux ?

Une nouvelle sémantique s’impose peu à peu pour qualifier notre société, ses valeurs et ses aspirations. Dans la rhétorique politico-managériale des institutions et des entreprises, une notion a ainsi fait florès: l’inclusion. Elle sert de plus en plus à exprimer les engagements des organisations en matière de responsabilité sociale. Tout désormais doit être inclusif. Chacun est invité à cocher la case s’il veut rester fréquentable et souscrire à un futur désirable.

par incent Lamkin, associé-fondateur de Comfluence Groupe, co-président d’Opinion Valley dans l’Opinion

Un article intéressant qui peut se discuter mais qui pose la question du remplacement de l’intégration par l’inclusion NDLR

L’inclusion ne saurait pourtant se définir par une simple négation sympathique à laquelle nous ne pouvons tous que souscrire : n’exclure personne. C’est un concept politique, qui agit sur les structures profondes de notre Etat-Nation, sous l’effet d’activismes organisés, et dont l’usage inconséquent est symptomatique des égarements ou de la légèreté de notre époque.

L’inclusion repose sur l’expression d’un droit à la différence. Elle fonctionne selon un mécanisme de revendication et de reconnaissance identitaires par lequel chacun a la possibilité de tester les limites d’un système, à la manière dont un enfant teste les limites.

Méritocratie. C’est au nom de l’inclusion que nos institutions ont tiré vers le bas, avec le succès que l’on sait, le système scolaire français, mettant à mal la méritocratie républicaine pour creuser, in fine, les inégalités que celle-ci prétend combler.

Il est éminemment déstructurant d’inviter chacun à revendiquer sa différence comme irréductible et à l’ériger en identité sociale.

C’est au nom de l’inclusion que nous avons perverti notre modèle d’intégration à la française, ouvrant la voie à la cancel culture ou, à l’opposé, à l’enfermement nationaliste. Dans sa célèbre conférence de 1882, Ernest Renan se fit le laudateur d’une conception contractuelle de la nation française à laquelle nous devons rester attachés. Le traumatisme de la guerre de 1870 était alors vivace, et ce célèbre texte, Qu’est-ce qu’une nation ?, opposait un idéal français à l’approche essentialiste de la nation allemande. La IIIe République, dont nous est resté l’image d’Epinal des hussards noirs, voua un culte à la fabrique de ce ciment national : la République, une et indivisible, dans sa blouse grise…

En tant que concept politique et philosophique, l’inclusion compromet l’altérité inhérente à notre pacte républicain. Dans celui-ci, c’est l’abolition des différences dans un cadre commun qui fonde le vivre ensemble et l’égalité. « Un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui », dirait Sartre…

Il est éminemment déstructurant d’inviter chacun à revendiquer sa différence comme irréductible et à l’ériger en identité sociale. In fine, chacun sa norme, dans un ensemble de plus en plus insoluble. Narcisse ne se mélange pas…

Sédition. Avec ce type de concession, anodine en apparence, ce n’est plus l’individu qui rend des comptes à la société et s’y conforme, c’est la société qui rend des comptes à l’individu. Cette sédition nous étant vendue comme « quête de sens » et appel à réparation, on s’incline. En renversant la logique démocratique, nous avons favorisé l’expression d’une société divisée. On nous la vend inclusive et bienpensante. Elle n’a jamais autant été cynique et individualiste.

Sous cet angle, comprenons que le concept d’inclusion sera de plus en plus, dans l’entreprise, l’arme de séduction passive du wokisme, comme l’a illustré Anne de Guigné dans son essai Le capitalisme woke, et l’arme de destruction massive du citoyen, car il sera une machine à produire du « sujet-roi ».

Ce tour de passe-passe a pu s’opérer car l’inclusion est un mot-valise et fourre-tout, un concept en creux, né de la culpabilisation inhérente à la déconstruction, et qui se définit à partir de ce que chacun a envie d’y mettre.

Sous ce vocable, ont été ralliées indûment, par erreur ou par pur calcul, des revendications essentielles. Ainsi du combat pour l’égalité hommes-femmes, qui repose sur l’indifférenciation et la neutralisation des différences (et dans lequel l’écriture inclusive n’a rien à faire). De même, en ce qui concerne l’intégration des personnes handicapées dans la société, à l’école ou au travail. L’enjeu est bien de ne pas assigner à résidence un handicapé dans cette identité, mais de la prendre en compte pour lutter contre les inégalités générées par la stigmatisation des différences.

Scandée à la façon des précieuses ridicules, l’inclusion est entrée dans la logorrhée des organisations, complices malgré elles d’un concept dont elles mésestiment le sens profond et les dérives intrinsèques
Scandée à la façon des précieuses ridicules, l’inclusion est entrée dans la logorrhée des organisations, complices malgré elles d’un concept dont elles mésestiment le sens profond et les dérives intrinsèques.

Limites. Certains rétorqueront que ces nuances sont byzantines et que tout cela est jouer sur les mots, que ceux qui utilisent de bonne foi et avec de bonnes intentions ce terme ne sont pas des anti-républicains. Certes ! Sauf que la réalité de notre société démontre que le sens profond et toxique de ce concept est à l’œuvre. En prendre conscience et avoir le courage de poser des limites, c’est aussi une responsabilité sociale à assumer.

Que reste-t-il d’une approche contractualiste de la nation quand ce qui divise devient plus essentiel que le peu restant pour unir et nous obliger les uns envers les autres ?

Le sentiment de désagrégation du fameux « vivre ensemble » (formule qui sent bon le sable mouvant du socialisme des années 1980) est à la mesure des fractures multiples qui traversent notre pays. La société française, combien de divisions ?

Vincent Lamkin est associé-fondateur de Comfluence Groupe, co-président d’Opinion Valley.

Les dangers de l’inclusion numérique

Les dangers de l’inclusion numérique

Interview dans de  JACQUES MARCEAU  Président dans les Echos 

« Vouloir l’inclusion numérique pour tous n’est pas sans conséquence sur notre société de tradition et de culture démocratique. Un « numérique inclusif » peut en effet transformer le citoyen d’une nation en usager d’une plateforme sur laquelle le politique n’est plus en capacité d’exercer sa souveraineté. Un débat qui est loin de n’être que sémantique…

Après la réduction de la fracture numérique, l’inclusion numérique est devenue le nouveau leitmotiv de nos politiques et fait même aujourd’hui l’objet d’un plan gouvernemental intitulé « Stratégie nationale pour l’inclusion numérique ». En effet, l’aménagement numérique du territoire en très haut débit fixe et mobile ne s’accompagne pas, loin s’en faut, d’une adoption du numérique par tous les Français. Un constat étayé par les résultats d’une enquête(1) menée en 2018 par la Mission Société Numérique et qui révèle que 13 millions de Français sont « en difficulté avec le numérique ». C’est ainsi, qu’à l’heure de la virtualisation massive du commerce, des services et plus généralement de toutes les activités économiques et sociales, la modernité numérique vient ajouter une nouvelle source d’exclusion à celles bien connues que sont le chômage, le faible niveau d’instruction, l’isolement, les mauvaises conditions de vie, etc. Une exclusion qui frappe en priorité et majoritairement, comme une double peine, des personnes déjà fragilisées pour lesquelles, par exemple, l’accès aux droits sociaux est conditionné à celui de services en ligne qu’elles sont dans l’incapacité d’utiliser. C’est ainsi que la tendance à la virtualisation des services publics vient exacerber la complexité d’une relation par essence complexe et souvent conflictuelle entre l’Etat et l’individu, entre le bien collectif et l’intérêt individuel. Il y a peu, quand l’Etat était représenté par ses seuls agents, même protégés par un guichet dont le rideau pouvait, tel un couperet, tomber à tout moment indifférent au temps passé à attendre son tour, la relation humaine pouvait toujours laisser la place à l’échange, à la compréhension, voire à la compassion. Sentiments dont on conviendra que le robot, même doté d’une intelligence artificielle dernier cri, est absolument incapable. Qui n’a d’ailleurs pas, à cet égard, fait l’expérience de l’exaspération que peut procurer la relation avec la machine pour effectuer une déclaration ou une demande en ligne ? En réponse à cette déshumanisation croissante des services en général et du service public en particulier et conscient des risques de fracture sociale associés, l’Etat élève aujourd’hui l’idée d’inclusion numérique au rang de priorité nationale. Ainsi, et dorénavant, pour satisfaire à ses obligations d’honnête citoyen ou simplement vivre dans un monde sensé être plus simple et plus sûr grâce au numérique, il faudra être inclus ! Un mot ambigu quand on y réfléchit et quand on lui cherche, pour mieux en appréhender la signification, des synonymes dans les dictionnaires : assimilé, soumis, dilué, intégré, enfermé, et même compromis. Visionnaire, Paul Valéry déclarait en 1935 dans son « Bilan de l’intelligence(2) » que « suggestionné, harcelé, abêtis, (…) l’individu est déjà compromis avant même que l’Etat l’ait entièrement assimilé ». Une vision pessimiste mais qui se révèle aujourd’hui pertinente à la différence inquiétante que l’Etat, en perdant sa souveraineté face aux géants du numérique, se retrouve lui-même assimilé. Une perte de souveraineté de l’Etat, et plus généralement des élus, sur la chose numérique qui rend encore plus hasardeuse sa tentative de promotion d’un « numérique inclusif » qui pourrait bien, en définitive, s’effectuer au seul profit du renforcement de la dominance économique et peut-être un jour politique, de plateformes hégémoniques. L’inclusion numérique suppose en effet, et au lieu de mettre la machine à la main et au service de l’homme, son assujettissement. L’injonction est claire : « si vous ne voulez pas être exclu du monde à venir, il vous faudra être capable non seulement de faire usage mais encore de servir et renseigner la machine ! ». C’est ainsi que le citoyen à l’ère numérique se doit, pour ne pas être un exclu, être inclus, comme si le simple jeu des antonymies justifiait une nouvelle doxa politique. Doxa qui ne s’arrête pas à son expression littérale mais qui prend forme aujourd’hui dans toutes sortes d’initiatives en faveur de l’inclusion numérique mêlant l’incitation à la contrainte, la séduction à l’obligation, la solidarité à la soumission. Les prévisibles et sombres conséquences de ce désordre sémantique pourraient être évitées si l’on se résolvait, enfin, à considérer le numérique comme un simple outil au service de l’homme et de la société et l’intelligence artificielle comme un esclave au service de l’Esprit. Car il est peut-être là, notre problème. La perte de l’Esprit que vient palier la prothèse numérique qui lui évite, la flemme étant l’un des ressorts favoris de l’assujettissement, de se fatiguer à compter, écrire, traduire, penser, décider. Formé, formaté, adapté, enfermé dans la bulle sociale et cognitive choisie pour lui par des algorithmes, l’inclus numérique ne deviendra-t-il pas l’idiot utile d’un pouvoir qui aura demain échappé au politique, qui ne sera pas non plus celui de la machine, mais de ceux à qui obéit la machine ? C’est aujourd’hui, car demain il sera trop tard, que nous devons faire le choix entre la Cité Politique(3), matrice historique des sociétés démocratiques, et la Cité Numérique où le citoyen éduqué se transformera en « usager inclus ». Faire le choix de la Cité Politique c’est d’abord proposer une vision portée par un discours(4), la parole précédant toujours l’action, tout comme la pensée précède le projet et l’invisible le visible. C’est ainsi que, nommer devenant un acte politique fondateur, la parole doit être juste pour que les mots ne deviennent pas la source des maux. C’est pourquoi, et au regard des sombres perspectives portées par un numérique inclusif, je proposerais volontiers les vocables de cohésion numérique et de numérique cohésif, porteurs de nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui persistent à orner le fronton de nos écoles. »

1. https://societenumerique.gouv.fr/13-millions-de-francais-en-difficulte-avec-le-numerique/ 2. Le Bilan de l’intelligence, conférence de Paul Valéry à l’Université des Annales le 16 janvier 1935 3. « Comment les géants du numérique veulent gouverner nos villes » – Jean Haëntjens – Editions Rue de L’échiquier 2018 4. Jacques Marceau – Stratégies – 5 janvier 2016 – http://www.strategies.fr/blogs-opinions/idees-tribunes/1030349W/rehabiliter-le-discours-de-l-entreprise-un-nouvel-enjeu-pour-les-relations-publics.html




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