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La guerre : un impératif pour que Poutine se maintienne au pouvoir

La guerre : un impératif  pour que Poutine se maintienne au pouvoir

 

Pour le régime de Poutine comme pour son économie, la guerre en Ukraine est devenue un leitmotiv. Sans la guerre ou la victoire, Poutine ne peut espérer maintenir son pouvoir. Sans la guerre, son économie doit complètement revoir son modèle de croissance développé à marche forcée après le début de la guerre en Ukraine en février 2022. Par Victor Warhem, représentant du Centre de Politique Européenne en France dans « la Tribune » (*).

Les incitations sont là. La Russie va continuer à attaquer l’Ukraine et semble même désormais se préparer à attaquer l’OTAN. La probabilité qu’elle passe de nouveau à l’offensive sur le théâtre d’opérations ukrainien est très élevée.

Pendant ce temps-là, les Européens discutent. Ils discutent notamment d’un passage à l’économie de guerre, mais sans pour l’heure y mettre véritablement les moyens, ce qui retarde notamment la livraison d’aide militaire promise à l’Ukraine.

Pourtant, si Donald Trump et les Républicains décident de durablement stopper l’envoi d’aide militaire à l’Ukraine alors que les États-Unis en ont été le plus grand pourvoyeur depuis 2022 – à hauteur de plus de 42 Md € délivrés, contre moins de 40 pour les Européens -, l’Europe doit se doter des capacités de production pour faire face à la flambée des besoins. Sans quoi – et c’est peut-être le calcul machiavélique des Républicains – les Européens devront faire face à l’explosion de la demande d’aide en achetant essentiellement … américain. Le tout à des frais parfois très élevés compte tenu des taux d’intérêt actuels. Si tant est que les marchés mondiaux soient suffisamment fournis.

Avec le Programme industriel de Défense européenne présenté le 5 mars dernier, la Commission européenne met 1,5 milliard d’euros sur la table pour améliorer la visibilité des commandes publiques des bases industrielles et technologiques de défenses (BITD) européennes. Assez pour accélérer le passage à l’économie de guerre ? Pas assez pour y parvenir rapidement, alors qu’il y a urgence à pouvoir répondre aux besoins ukrainiens. Il faudrait en effet considérablement élever le niveau de commande publique en Europe à moyen long terme, et ce dès maintenant, pour que les investissements dans les BITD européennes puissent soutenir une cadence d’aide militaire bien plus élevée.

Nous pourrions, comme souvent, être attentistes. Considérer que l’allié américain ne va pas manquer à ses obligations, qu’il est au final normal d’acheter massivement américain si nous devons faire face au déluge de feu russe en Ukraine en raison de notre partenariat otanien. Par ailleurs, répartir équitablement les fonds européens entre les BITD nationales serait un casse-tête tant les intérêts divergent. Donc moins de frais, moins de dettes, moins de problèmes pourraient penser certains. Mais plus de sueurs froides malgré tout, si l’allié américain continue d’instrumentaliser notre dépendance militaire à son égard, avec le risque, à terme, de ne pas avoir de véritables capacités de défense européennes dans les heures les plus sombres.

Être attentiste n’est donc pas une solution responsable, loin de là. En retardant l’inéluctable, nous commettons une grave erreur. Une nouvelle offensive russe d’ici l’été pourrait s’avérer être une vraie occasion manquée pour le continent européen. C’est aujourd’hui qu’il faut agir pour permettre aux BITD européennes de passer à l’économie de guerre. Pas dans six mois, ni même dans trois. Aujourd’hui.

Le gouvernement estonien soutenu par le président Macron a évoqué l’idée d’un nouvel emprunt européen à hauteur de 100 milliards d’euros. Il est également possible d’imaginer baisser les taux d’intérêt afin de faciliter une hausse de l’endettement des pays qui en ont déjà un niveau élevé, mais c’est une décision qui ne revient pas aux chefs d’État et de gouvernement. Enfin, il serait aussi éventuellement possible de liquider le stock d’actifs russes gelés en Europe, même si cela peut s’avérer difficile juridiquement. Ainsi, de manière réaliste, la seule vraie solution qui s’impose et qui doit être débattue au plus haut niveau est celle d’un emprunt européen de grande ampleur.

Les dividendes de la paix sont bel et bien derrière nous. Place aux « emprunts de la paix ». Saisissons donc l’occasion de cette nécessité de réarmement massive pour construire une Europe de la défense partageant une même vision stratégique, des systèmes d’armement communs et européens, ainsi que des forces militaires capables de travailler en symbiose.

Le temps presse, et l’Ukraine ne doit pas perdre. Prenons d’ores et déjà les solutions qui s’imposent pour que la Russie soit arrêtée.
(*) Victor Warhem a pris ses fonctions au CEP à Paris en juillet 2019. Diplômé en économie de Sciences Po Paris et de la Paris School of Economics, il est spécialisé dans les questions financières et macroéconomiques. Il est depuis septembre 2023 représentant du Centre de Politique Européenne en France.

Climat : avec le rapport du GIEC, il est impératif d’agir dès maintenant

Climat : avec le rapport du GIEC,  il est impératif d’agir dès maintenant

 

 

Le dernier rapport du GIEC est la plus importante contribution scientifique sur le climat. C’est elle qui sera prise en compte lors du prochain grand sommet réunissant les dirigeants du monde entier. Par Eddy Pérez, Université de Montréal (*)

Le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a présenté lundi 9 août le premier des trois rapports attendus d’ici 2022 dans le cadre de son sixième cycle d’évaluation du climat. Ces textes présentent la plus importante contribution sur l’état des connaissances actuelles sur la crise climatique, ses origines, ses causes, ses impacts, et les mesures de réponse à notre disposition.

Il s’agit d’un exercice rigoureux qui se tient à tous les cinq à six ans. Le rapport publié lundi a été approuvé par 234 auteurs et 195 gouvernements. C’est la plus importante contribution scientifique sur le climat et c’est elle qui sera prise en compte lors de la COP26 — ce grand sommet climatique qui aura lieu à Glasgow en novembre 2021. En 2022, le GIEC publiera deux autres rapports qui porteront sur les impacts des changements climatiques et sur les possibilités d’atténuation.

Essentiellement, ce rapport donne raison aux militants et activistes du climat, ainsi qu’à tous ces représentants des pays du Sud qui, en 2015, ont fortement insisté pour que les États membres de la Convention climatique de l’ONU s’engagent à garder la hausse des températures bien en deçà de deux degrés Celsius et, de préférence, à 1,5 degré Celsius, tel que stipulé dans l’Accord de Paris

Je suis directeur de la diplomatie climatique internationale du Réseau action climat Canada. Chargé de cours à l’Université de Montréal, j’enseigne la justice climatique et la coopération internationale. J’analyse et je suis les négociations climatiques internationales, surtout en ce qui concerne les obligations et responsabilités climatiques du Canada à l’échelle internationale, l’implantation des plans climatiques à l’échelle domestique et la finance climatique internationale.

Bien qu’une augmentation de la température de 1,5 °Celsius ait des conséquences bien pires que celles que l’on observe aujourd’hui, une telle hausse serait bien plus désastreuse à 2 °Celsius. Et le scénario deviendrait plus dangereux — et injuste pour les populations du Sud — si la température continuait d’augmenter au-delà des deux degrés Celsius. D’ailleurs, les vagues de chaleur extrêmes que le Canada et l’Amérique du Nord ont vécues cet été sont aujourd’hui 150 fois plus probables que depuis la fin du XIXe siècle.

Les conclusions de ce rapport permettent au GIEC d’être plus clair et plus incisif sur le lien direct entre l’activité humaine et le réchauffement climatique actuel. Le GIEC montre comment l’activité humaine a provoqué l’accélération du rythme du réchauffement au cours des quatre dernières décennies par rapport aux 80 années précédentes.

Image du Sommaire des décideurs (SPM.2) : Contributions évaluées au réchauffement observé en 2010-2019 par rapport à 1850-1900. a) : Réchauffement climatique observé (augmentation de la température de la surface de la planète) et sa plage très probable {3.3.1, encadré 2.3}. b) : Preuves issues des études d’attribution, qui synthétisent les informations provenant des modèles climatiques et des observations. Le panneau montre les changements de température attribués à l’influence humaine, aux changements dans les concentrations de gaz à effet de serre, aux aérosols, à l’ozone et au changement d’affectation des terres, aux facteurs solaires et volcaniques, et à la variabilité climatique interne. c) : Preuve de l’évaluation du forçage radiatif et de la sensibilité du climat. Le panneau montre les changements de température dus aux différentes composantes de l’influence humaine, notamment les émissions de gaz à effet de serre, les aérosols et leurs précurseurs, les changements d’affectation des terres et les traînées de condensation des avions. Les estimations tiennent compte à la fois des émissions directes dans l’atmosphère et de leur effet, le cas échéant, sur d’autres facteurs climatiques. Pour les aérosols, les effets directs (par rayonnement) et indirects (par interaction avec les nuages) sont pris en compte {6.4.2, 7.3}. IPCC (2021) Figure SPM.2

Nous pouvons constater nos empreintes digitales sur le système climatique. La science est en mesure de démontrer comment le réchauffement climatique actuel a rendu plus probables les incendies, inondations, tempêtes et vagues de chaleur que nous ressentons présentement. Nous vivons donc dans une planète avec un système climatique que nous avons altéré et qui est désormais moins stable.

L’Amérique du Nord, l’Europe, l’Australie, une grande partie de l’Amérique latine, l’Afrique australe occidentale et orientale, la Sibérie, la Russie et toute l’Asie connaissent déjà des températures extrêmes. L’accélération des changements dans les océans, les glaciers et les niveaux de la mer sont parmi les symptômes les plus visibles et les plus dramatiques de la crise climatique. Cette accélération se poursuivra même si le réchauffement causé par nos activités s’arrête.

Chaque augmentation de température, si petite soit-elle, aura des incidences sur la fréquence et l’intensité des phénomènes extrêmes. Ces derniers sont amplifiés avec chaque augmentation supplémentaire du réchauffement planétaire.

Changements prévus dans l’intensité et la fréquence des températures extrêmes sur terre, des précipitations extrêmes sur terre, et des sécheresses agricoles et écologiques dans les régions sèches. IPCC (2021)

S’il est vrai que certains changements dans le climat sont irréversibles, nous avons toujours le choix de mettre de l’avant des solutions audacieuses et responsables afin de protéger les populations des impacts les plus dévastateurs de cette injuste crise.

C’est d’ailleurs le message principal du Secrétaire général des Nations unies à la suite de la publication du rapport : « La viabilité de nos sociétés dépend des dirigeants des gouvernements, des entreprises et de la société civile qui exigeront des politiques, des actions et des investissements qui limiteront la hausse des températures à 1,5 °Celsius. »

Les différents scénarios

En 2015, les pays membres de la convention climat de l’ONU se sont donnés comme objectif de limiter l’augmentation de la température d’ici la fin du siècle à 2 °Celsius. Ils se sont aussi engagés à faire tout ce qui est possible pour que cette limitation ne dépasse pas la barre du 1,5 °Celsius.

Dans son rapport, le GIEC présente cinq scénarios différents pour illustrer comment les émissions peuvent augmenter pendant le reste du siècle. Dans tous ces scénarios, nous pourrions atteindre 1,5 °Celsius d’ici vingt ans. Cependant, dans les scénarios où les émissions seraient plus élevées, nous dépasserons plus rapidement l’objectif du 1,5 °Celsius au cours du siècle.

Changements prévus dans l’intensité et la fréquence des températures extrêmes sur terre, des précipitations extrêmes sur terre, et des sécheresses agricoles et écologiques dans les régions sèches. IPCC (2021)

En revanche, pour le scénario d’émissions le plus faible, le GIEC suggère que les températures augmenteront d’un peu plus de 1,5 °Celsius, avant de redescendre à la fin du siècle, à mesure que le carbone sera éliminé de l’atmosphère — ce qui est compatible avec l’objectif ultime de l’Accord de Paris.

Atteindre la carboneutralité

Le GIEC a donc confirmé l’importance de réduire rapidement les émissions de CO2, ainsi que celles des autres gaz à effet de serre pendant cette décennie et de paver la voie pour atteindre la carboneutralité vers 2050. Rien ne peut remplacer la réduction des émissions de gaz à effet de serre à la source.

 

S’il est vrai que les puits de carbone naturels — des réservoirs qui captent et stockent le carbone atmosphérique, comme les puits océaniques, la biosphère, les forêts et les tourbières — sont importants pour nous aider à atteindre le reste du chemin vers la carboneutralité, la quantité de carbone pouvant être absorbé par les écosystèmes et les océans est très limitée. Le GIEC émet même des réserves sur l’utilisation des technologies d’élimination de carbone artificielles qui peuvent avoir des incidences négatives importantes sur la qualité et la quantité de l’eau, la production alimentaire et la biodiversité.

Émissions anthropiques cumulées de CO₂ absorbées par les puits terrestres et océaniques d’ici 2100 selon les cinq scénarios illustratifs. IPCC (2021)

Limiter la hausse de température à 1,5 °Celsius ne sera pas facile. Mais, plus nous dépassons ce seuil, plus nous sommes exposés à de futurs risques imprévisibles et graves avec des points de bascule qui peuvent se produire à l’échelle mondiale et régionale. Le Secrétaire général de l’ONU a déclaré qu’aucune nouvelle centrale au charbon ne doit être construite après 2021. Il va sans dire que devons éliminer progressivement le charbon existant d’ici 2030, et tous les autres pays doivent suivre d’ici 2040 et mettre fin à toute nouvelle prospection et production de combustibles fossiles.

Le rôle du Canada

Le Canada doit réviser son plan climatique afin de s’assurer qu’il soit compatible avec cet objectif de réduction. Le pays n’atteindra pas ses objectifs climatiques sans un engagement clair visant à mettre fin à toute expansion du secteur pétrolier et gazier.

En 2018, le GIEC a d’ailleurs estimé que pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °Celsius, la production pétrolière mondiale devait diminuer d’ici 2030 de 37 % sous les niveaux de 2010 et de 87 % d’ici 2050.

Malgré ces conclusions claires, le Canada prévoit toujours une production de pétrole et de gaz bien plus importante en 2050 qu’en 2019. À lui seul, le secteur pétrolier pourrait émettre jusqu’à 200 Mt de CO2 le jour où il est censé atteindre la carboneutralité.

Le Canada est responsable de 2 % des émissions mondiales en moyenne, mais selon ses projections actuelles, son expansion pétrolière et gazière devrait épuiser jusqu’à 16 % du budget carbone mondial. Tout scénario qui mène donc à l’expansion des énergies fossiles pourrait tout simplement détruire notre planète telle qu’on la connait.

Les données présentées dans ce premier rapport du GIEC sont bouleversantes. Désormais, chaque tonne d’émissions, chaque fraction de degré aura un impact direct sur notre santé et notre sécurité.

Cependant, tant et aussi longtemps qu’il le sera possible, nous devons faire tout ce qui est nécessaire pour nous protéger et protéger les gens qu’on aime des pires impacts des changements climatiques.

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(*) Par Eddy Pérez, Lecturer, certificat en coopération internationale, Université de Montréal

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

 

Vaccins Covid-: « La levée des brevets, impératif humanitaire »

Vaccins  Covid-: « La levée des brevets, impératif humanitaire »

 

Alors que sur 1,77 milliard de vaccins  administrés, seulement 0,3 % l’ont été dans des pays à faible revenu, la question de la levée des droits n’est plus seulement juridique. Elle est avant tout un impératif moral, politique et sanitaire, estime, dans une tribune pour « Le Monde », la juriste Séverine Dusollier.

 

Tribune.

 

Le G7 ne s’est finalement pas prononcé en faveur de la levée des brevets et autres droits intellectuels en lien avec les traitements et vaccins relatifs au Covid-19, optant plutôt pour une promesse d’approvisionnement de 1 milliard de doses en faveur des pays à faible revenu, un nombre qu’on estime déjà insuffisant.

Voilà qui augure mal de la négociation entamée à l’OMC [Organisation mondiale du commerce] sur la recherche d’un consensus sur cette initiative de l’Inde et de l’Afrique du Sud. Cette dérogation inédite à la protection autoriserait les Etats à ne pas mettre en œuvre les droits intellectuels sur les outils de diagnostics, les traitements, les vaccins, les dispositifs médicaux et équipements de protection dans le cadre de la pandémie.

 

On pourrait se perdre (et perdre le lecteur) en arguties juridiques sur le bien-fondé et les limites de cette proposition, comme le font sceptiques et opposants, notamment plusieurs experts du droit des brevets. Mais la question de la levée des droits de propriété intellectuelle n’est pas seulement juridique : elle est avant tout morale, politique et sanitaire. Onze milliards de doses seraient requises pour vacciner 70 % de la population mondiale, et sur le 1,77 milliard de vaccins déjà administrés, seulement 0,3 % l’ont été dans des pays à faible revenu.

 

Cette inégalité d’accès aux vaccins est choquante et pose un risque majeur pour la santé publique mondiale. La suspension des brevets ne sera certes pas suffisante pour assurer la vaccination de la population globale mais elle remet la propriété intellectuelle au cœur de l’économie politique du droit à la santé. Au lieu de défendre à tout prix le régime des brevets comme l’outil indispensable de l’innovation pharmaceutique, il faut corriger ses défaillances en termes de justice distributive.

 

Les opposants à la proposition insistent sur la fonction incitative de la propriété intellectuelle (sans la récompense de l’exclusivité, les firmes n’investiraient pas dans la recherche) : y toucher fragiliserait l’innovation au détriment de l’intérêt public. Or, l’effectivité du brevet comme incitant est contestée, peu démontrée et varie en fonction des secteurs technologiques et des niveaux de développement. Les milliards d’investissements publics et de préachats ont davantage accéléré le développement des vaccins et largement réduit le risque, tout en concentrant l’offre vers les marchés occidentaux.

La crise sanitaire révèle aussi crûment l’échec du contrat social global inscrit dans les accords sur les droits de propriété intellectuelle signés à l’OMC en 1994 : l’extension de la protection à l’ensemble des Etats (qui a, en réalité, majoritairement profité aux pays technologiquement et économiquement avancés) devait être compensée par des flexibilités et des transferts de technologie en faveur des pays moins développés.




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