Les rêves illusoires de Macron
Emmanuel Macron Livres dans les Échos ses rêves européens. Le seul problème c’est qu’il est assez loin des réalités de cette Europe et de sa diversité. Concrètement il n’est réellement soutenu que de manière très marginale autant à l’intérieur des frontières qu’au plan de l’Europe. Certes certaines propositions paraissent séduisantes mais complètement à contre-courant des orientations de nombreux pays européens tant sur le plan économique que stratégique. Dans ce dernier domaine d’ailleurs, la France s’illusionne beaucoup sur sa capacité en matière de défense car elles ne disposent à vérité que de d’une micro armée qui ne résisterait pas un mois un conflit avec la Russie. Pour preuve, le recul assez lamentable de la force Barkhane en Afrique.
Après votre dialogue avec le président Xi Jinping, que peut-on vraiment attendre de la Chine sur l’Ukraine ?
Je pense que la Chine fait le même constat que nous, à savoir qu’aujourd’hui, le temps est militaire. Les Ukrainiens résistent et nous les aidons. Le temps n’est pas aux négociations, même si on les prépare et, s’il faut, planter les jalons. C’est le but de ce dialogue avec la Chine : consolider des approches communes. Un : le soutien aux principes de la charte des Nations unies. Deux : un rappel clair sur le nucléaire et il appartient à la Chine de tirer les conséquences du fait que le président Poutine ait déployé des armes nucléaires en Biélorussie quelques jours après avoir pris l’engagement de ne pas le faire . Trois : un rappel très clair sur le droit humanitaire et la protection des enfants. Et quatre : la volonté d’une paix négociée et durable.
Je note que le président Xi Jinping a parlé d’architecture européenne de sécurité. Or il ne peut y avoir d’architecture européenne de sécurité tant qu’il y a des pays envahis en Europe ou des conflits gelés. Vous voyez donc qu’il se dégage de tout cela une matrice commune. L’Ukraine est-elle une priorité de la diplomatie chinoise ? Peut-être pas. Mais ce dialogue permet de tempérer les commentaires que l’on a pu entendre sur une forme de complaisance de la Chine à l’égard de la Russie.
Les Chinois étant obsédés par leur confrontation avec les Etats-Unis, notamment sur la question de Taïwan, n’ont-ils pas tendance à voir l’Europe comme un pion entre les deux blocs ?
En tant qu’Européens, notre préoccupation est notre unité. C’est la mienne depuis toujours. Nous montrons à la Chine que nous sommes unis et c’est le sens de cette visite commune avec la présidente de la Commission Ursula von der Leyen . Les Chinois aussi sont préoccupés par leur unité et Taïwan, de leur point de vue, en est une composante. Il est important de comprendre comment ils raisonnent.
La question qui nous est posée à nous Européens est la suivante : avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan ? Non. La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise. Pourquoi devrions-nous aller au rythme choisi par les autres ? A un moment donné, nous devons nous poser la question de notre intérêt. Quel est le rythme auquel la Chine elle-même veut aller ? Veut-elle avoir une approche offensive et agressive ? Le risque est celui d’une stratégie autoréalisatrice du numéro un et du numéro deux sur ce sujet. Nous Européens, nous devons nous réveiller. Notre priorité n’est pas de nous adapter à l’agenda des autres dans toutes les régions du monde.
Le piège pour l’Europe serait qu’au moment où elle parvient à une clarification de sa position stratégique, où elle est plus autonome stratégiquement qu’avant le Covid, elle soit prise dans un dérèglement du monde et des crises qui ne seraient pas les nôtres. S’il y a une accélération de l’embrasement du duopole, nous n’aurons pas le temps ni les moyens de financer notre autonomie stratégique et deviendrons des vassaux alors que nous pouvons être le troisième pôle si nous avons quelques années pour le bâtir.
Dès lors qu’un nombre croissant de pays européens se tournent plus que jamais vers les Etats-Unis pour assurer leur sécurité, l’autonomie stratégique européenne a-t-elle encore un sens ?
Bien sûr ! Mais c’est le grand paradoxe de la situation actuelle. Depuis le discours de la Sorbonne sur ce sujet il a cinq ans, quasiment tout a été fait. Nous avons gagné la bataille idéologique, d’un point de vue gramscien si je puis dire. Il y a cinq ans, on disait que la souveraineté européenne n’existait pas. Quand j’évoquais le sujet des composants de télécommunications, qui s’en préoccupait ? A l’époque, nous disions déjà aux pays hors de l’Europe que nous considérions qu’il y avait là un enjeu majeur de souveraineté et que nous allions adopter des textes pour réguler cela, ce que nous avons fait dès 2018. Je note que la part de marché des fournisseurs d’équipements de télécommunication non européens en France s’est nettement réduite, ce qui n’est pas le cas de tous nos voisins.
Nous avons également installé l’idée d’une défense européenne, d’une Europe plus unie qui émet de la dette ensemble au moment du Covid. Il y a cinq ans, l’autonomie stratégique était une chimère. Aujourd’hui, tout le monde en parle. C’est un changement majeur. Nous nous sommes dotés d’instruments sur la défense et sur la politique industrielle. Les avancées sont nombreuses : le Chips Act, le Net Zero Industry Act et le Critical Raw Material Act, ces textes européens sont les briques de notre autonomie stratégique. Nous avons commencé à implanter des usines de batteries, de composants hydrogène ou d’électronique. Et nous nous sommes dotés d’instruments défensifs qui étaient complètement contraires à l’idéologie européenne il y a seulement trois ou quatre ans ! Nous disposons à présent d’instruments de protection très efficaces.
Le sujet sur lequel nous devons être particulièrement vigilants est que la guerre en Ukraine accélère la demande d’équipements de défense . Or l’industrie de défense européenne ne répond pas à tous les besoins et reste très éclatée, ce qui conduit certains pays à se tourner vers des fournisseurs américains voire asiatiques de manière provisoire. Face à cette réalité, nous devons monter en puissance.
L’autonomie stratégique doit être le combat de l’Europe. Nous ne voulons pas dépendre des autres sur les sujets critiques. Le jour où vous n’avez plus le choix sur l’énergie, sur la manière de se défendre, sur les réseaux sociaux, sur l’intelligence artificielle parce qu’on n’a plus l’infrastructure sur ces sujets, vous sortez de l’histoire pour un moment.
Certains pourraient dire aujourd’hui en Europe qu’il y a plus de franco-allemand et moins de Pologne…
Je ne dirais pas cela. Nous avons créé un fonds européen pour les missiles et les munitions doté de 2 milliards d’euros, or il est strictement européen et fermé. Mais il est clair que nous avons besoin d’une industrie européenne qui produise plus vite. Nous avons saturé nos disponibilités. Comme l’histoire s’accélère, il faut en parallèle une accélération de l’économie de guerre européenne. Nous ne produisons pas assez vite. D’ailleurs, voyez ce qui se passe pour faire face en urgence à la situation actuelle : les Polonais vont acheter du matériel coréen…
Mais d’un point de vue doctrinal, juridique et politique, je pense qu’il n’y a jamais eu une telle accélération de l’Europe-puissance. Nous avons posé les jalons avant la crise et il y a eu un formidable levier franco-allemand pendant la pandémie, avec des avancées très fortes en matière de solidarité financière et budgétaire. Et nous avons réactivé le format Weimar avec l’Allemagne et la Pologne. Aujourd’hui, il faut accélérer la mise en oeuvre sur le plan militaire, technologique, énergétique et financier pour accélérer notre autonomie effective.
Le paradoxe est que l’emprise américaine sur l’Europe est plus forte que jamais…
Nous avons certes accru notre dépendance vis-à-vis des Etats-Unis dans le domaine de l’énergie, mais dans une logique de diversification car nous dépendions beaucoup trop du gaz russe. Aujourd’hui, il est un fait que nous dépendons davantage des Etats-Unis, du Qatar et d’autres. Mais cette diversification était nécessaire.
Pour le reste, il faut prendre en compte les effets de rémanence. Pendant trop longtemps l’Europe n’a pas construit cette autonomie stratégique pour laquelle je me bats. Aujourd’hui, la bataille idéologique est gagnée et les jalons sont posés. Cela a un coût, c’est normal. C’est comme pour la réindustrialisation française : nous avons gagné la bataille idéologique, nous avons conduit les réformes, elles sont dures, nous commençons à en voir les résultats mais dans le même temps, nous payons les pots cassés de ce que nous n’avons pas fait en vingt ans. C’est ça la politique ! Il faut de la durée. Il faut tenir. Mais c’est à ce prix que les mentalités changent.
Il reste que les Etats-Unis mènent avec l’Inflation Reduction Act (IRA) une politique que vous avez-vous même qualifiée d’agressive…
Quand je suis allé à Washington en décembre dernier, j’ai mis le pied dans la porte, on m’a même reproché de l’avoir fait de manière agressive . Mais l’Europe a réagi et avant la fin du premier trimestre 2023, en trois mois, nous avions une riposte avec trois textes européens. Nous aurons notre IRA européen. Agir avec une telle rapidité constitue une petite révolution.
La clé pour moins dépendre des Américains consiste d’abord à muscler notre industrie de défense, à s’accorder sur des standards communs. Nous mettons tous beaucoup d’argent mais on ne peut pas avoir dix fois plus de standards que les Américains ! Ensuite cela impose d’accélérer la bataille pour le nucléaire et le renouvelable en Europe. Notre continent ne produit pas d’énergies fossiles. Il y a une cohérence entre réindustrialisation, climat et souveraineté. C’est la même bataille. C’est celle du nucléaire, du renouvelable et de la sobriété énergétique européenne. Ce sera la bataille des dix à quinze années qui viennent.
L’autonomie stratégique, c’est assumer avoir des convergences de vue avec les Etats-Unis mais, que ce soit sur l’Ukraine, le rapport à la Chine ou les sanctions, nous avons une stratégie européenne. Nous ne voulons pas entrer dans une logique de bloc à bloc. Nous devons au contraire « dérisquer » notre modèle, ne pas dépendre de l’autre, tout en gardant partout où c’est possible une forte intégration de nos chaînes de valeurs.
Le paradoxe serait, qu’au moment où nous mettons en place les éléments d’une véritable autonomie stratégique européenne, nous nous mettions à suivre la politique américaine, par une sorte de réflexe de panique. Au contraire, les batailles à conduire aujourd’hui consistent d’une part à accélérer notre autonomie stratégique et d’autre part à assurer le financement de nos économies. J’en profite pour insister sur un point : nous ne devons pas dépendre de l’extraterritorialité du dollar.
Joe Biden est-il un Donald Trump en plus poli ?
Il est attaché à la démocratie, aux principes fondamentaux, à la logique internationale, et il connaît et aime l’Europe, tout ceci est essentiel. En revanche, il s’inscrit dans une logique transpartisane américaine qui définit l’intérêt américain comme la priorité n° 1 et la Chine comme la priorité n° 2. Le reste est moins important. Est-ce critiquable ? Non. Mais nous devons l’intégrer.
La Chine n’est-elle pas la puissance qui se substitue à nous partout où l’Europe recule, en Afrique, au Moyen-Orient…
Je ne crois pas. Cela fait une vingtaine d’années qu’il y a recul. J’ai décidé il y a trois ans d’accroître notre aide publique au développement mais après quinze ans de recul. Quand l’Europe se désengage, il ne faut pas s’étonner que d’autres avancent. Quand les Etats-Unis se tournent plus vers eux-mêmes comme depuis les années 2010 ou vers le Pacifique et que l’Europe subit une crise financière, la Chine, naturellement, avance ses pions . C’est pourquoi il est important de faire en sorte qu’elle reste dans un cadre commun, qu’elle participe à la réforme de la Banque mondiale, qu’elle s’engage avec nous comme elle compte le faire au prochain sommet de Paris, en juin, sur le financement des économies en développement.