Société : « Mafia corse. Une île sous influence »
« La Corse vit bien sous le joug d’un système mafieux » ; extraits du nouveau livre-enquête de Jacques Follorou, journaliste au « Monde »
Livre
La Corse semble s’enfoncer inexorablement sous le poids du pouvoir mafieux, mortifère et prédateur. Sur le continent, c’est l’indifférence générale. Sur l’île, le fatalisme cohabite avec une crainte justifiée. Les premiers piliers du crime organisé sont aujourd’hui morts mais le système n’a pas disparu pour autant. Son emprise paraît même avoir progressé. Ses acteurs sont plus nombreux, plus disséminés, et le voyou s’est aujourd’hui largement imposé comme une figure positive et dominante aux yeux des jeunes générations insulaires.
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Longtemps apparue sans fondement aux yeux des principales figures de l’île, la parole anti-mafia a surgi en 2019. Au cours de l’été, Jean-André Miniconi, candidat à l’élection municipale d’Ajaccio, voit ses entreprises visées par des incendies criminels. Puis, le 12 septembre 2019, Maxime Susini, un militant nationaliste, est assassiné à Cargèse. L’émotion suscitée par ces actes entraîne la création de deux collectifs anti-mafia et l’annonce par le président (autonomiste) du conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, de l’ouverture, fin octobre, d’une session extraordinaire de l’Assemblée territoriale sur la violence.
Fin septembre 2019, à Ajaccio, une vingtaine de personnalités de la société civile ont baptisé leur rassemblement « A maffia no, a vita iè » (« non à la mafia, oui à la vie »), revendiquant 2 500 membres. Le second collectif, appelé « Massimu Susini », voit le jour, début octobre, à Cargèse, où vivait la victime. Ces deux mouvements entendent fédérer tous ceux qui veulent « résister à la mafia », une démarche relayée par un débat sur l’emprise criminelle sur la société, organisé à l’université de Corte fin septembre, ayant connu un certain succès d’affluence.
Ces paroles dispersées ont reçu, dans un premier temps, un certain écho auprès du pouvoir politique de l’île. Le mal concerne l’ensemble du territoire, dit Gilles Simeoni. « Il y a une situation de dérive mafieuse en Corse et ce phénomène est ancien. » Fort de ce constat, dit-il, « nous allons faire passer notre société d’une logique archaïque et mortifère à une logique de vie et de respiration démocratique ». Selon lui, « il faut dire haut et fort que nous n’avons pas peur », « les élus doivent prendre leurs responsabilités ; certains ont des porosités critiquables avec ces milieux, y compris chez les nationalistes ».
Le propos n’est pas anodin. Les Corses, dans leur majorité, ont pris pour acquis que la pègre était une composante inaliénable de la société. Ils semblent avoir admis qu’une partie de la richesse est captée par les truands et leurs prête-noms. Sur cette île, l’inversement des valeurs n’est pas une vue de l’esprit. Les homicides sont considérés, ici, comme une composante de la vie, des vecteurs de régulation d’une justice privée qui échapperait au droit commun, mais obéirait à des règles non dites, celles d’un pouvoir parallèle, davantage craint que celui de l’Etat. Chacun, de près ou de loin, mesure son emprise sur le commerce, le foncier, les marchés publics, les élections et toute activité générant des bénéfices.