Relance du programme nucléaire: Hypothéquée par les contradictions du pouvoir et la question financière
Face à l’embargo russe sur le gaz, l’entreprise doit retrouver son excellence perdue pour construire les nouveaux réacteurs EPR, estime dans sa chronique Jean-Michel Bezat, journaliste au « Monde ».
On souhaite bien du courage – sinon du plaisir – au futur directeur général d’Electricité de France (EDF), qui sera sans doute Luc Rémont. Le responsable des activités internationales de Schneider Electric devrait prendre les rênes d’un groupe stratégique dont l’Etat actionnaire à 84 % va reprendre le contrôle total pour lancer la construction de six à quatorze réacteurs EPR. Du courage, oui, car il lui faudra composer avec une tutelle exigeant de lui, entre autres défis, d’exécuter ce programme nucléaire en évitant la ruineuse dérive du calendrier et des coûts constatée à Flamanville (Manche). Et sans regimber, comme son prédécesseur Jean-Bernard Lévy, pour ne pas s’exposer aux foudres jupitériennes d’Emmanuel Macron.
Le nouveau patron l’apprendra vite, s’il ne le sait déjà : EDF n’est pas une entreprise comme les autres. Quelle autre société publique cotée en Bourse le gouvernement aurait-il pu priver de 10 milliards d’euros de résultat d’exploitation pour fiancer le plafonnement à 4 % de la hausse des factures d’électricité des Français, alors qu’elle supporte une dette nette de 43 milliards d’euros et prévoit des dizaines de milliards d’investissements dans un proche avenir ?
M. Lévy a dû s’exécuter. Non sans adresser à l’Etat un recours gracieux pour qu’il revienne sur sa décision ; puis, faute de réponse, de saisir le Conseil d’Etat et réclamer 8,3 milliards d’indemnisation. Sans plus de succès. Sa récente passe d’armes avec M. Macron instruira le nouveau PDG. Un dirigeant d’entreprise publique, c’est comme un ministre, « ça ferme sa gueule ou ça démissionne », selon la formule de Jean-Pierre Chevènement.
Le gouvernement ayant décidé d’avancer son départ de six mois, M. Lévy s’est lâché, fin août, imputant notamment l’arrêt de 30 réacteurs sur 56 au projet de l’Etat de fermer douze « tranches », après les deux de Fessenheim. « On n’a pas embauché des gens pour en construire douze, on en a embauchés pour en fermer douze », a-t-il déploré.
« Absolument inacceptable », a cinglé M. Macron, persuadé d’avoir « redonné de la visibilité à la filière » dès 2018 en repoussant l’arrêt progressif de 2025 à 2035, puis en supprimant cette date butoir. L’exploitation et la maintenance sont du ressort d’EDF, et leur défaillance est à mettre au débit du patron sortant.
Mais la visibilité – et donc la planification de nouvelles centrales nécessaires à une industrie du temps long – est de la responsabilité de l’Etat. Et au plus haut niveau, tant les enjeux de financement, de sécurité d’approvisionnement et de sûreté des réacteurs sont lourds. L’annonce des nouveaux EPR s’est fait attendre jusqu’en février 2022, à la veille du scrutin présidentiel.