Huile de palme : danger pour la sante, la faune et la flore
Par Alain Rival, correspondant pour la filière palmier à huile au Cirad.
Quelles sont les conséquences de sa consommation sur la santé humaine ?
A. R. : L’huile de palme est naturellement riche en acides gras saturés, c’est ce qui lui donne sa consistance solide sous nos températures tempérées. Le beurre, les produits laitiers, la charcuterie, qui participent aux 60 kg de corps gras que nous consommons annuellement par personne en France, contiennent eux aussi une forte proportion d’acides gras saturés. Pour offrir une consistance plastique intéressante lors de la transformation, une huile naturellement fluide sous nos latitudes – tournesol, colza, soja – doit être hydrogénée industriellement. Or, cette hydrogénation peut accidentellement mener à la production d’acides gras trans (AGT), qui sont extrêmement mauvais pour la santé (Morin, 2013). Quant aux acides gras saturés, l’huile de palme en contient environ 50 %. A titre de comparaison, le beurre de cacao en contient 60 % et l’huile d’olive, 15 %. On les retrouve principalement dans les produits laitiers et la charcuterie. Ces acides gras sont soupçonnés d’être la cause de maladies cardio-vasculaires, bien que les différentes études menées chez l’homme ne soient pas toutes concordantes et qu’il soit difficile de dissocier l’effet de ces seuls produits de ceux de notre régime alimentaire général et de notre style de vie (Lecerf, 2013). Les spécialistes en nutrition lipidique s’accordent à dire que tous les acides gras sont des composés naturels (on les trouve dans le lait maternel) qui ont une fonction biologique utile. Il n’y a pas de « bonne » ou « mauvaise » huile, car aucune n’est naturellement capable de fournir tout le spectre des acides gras essentiels. Cependant, c’est la dose qui fait le poison. Le consommateur doit donc veiller, quand il le peut, à varier les types d’huile végétale dans son alimentation (FFAS, 2012). En outre, les relations entre acides gras et obésité ou acides gras et maladies cardio-vasculaires sont complexes. Les résultats publiés sont souvent antagonistes et très difficilement transférables d’une espèce animale à l’autre.
Le principal défaut de l’huile de palme reste son côté un peu monolithique, car elle apporte un acide gras saturé majoritaire : l’acide palmitique. L’acide palmitique est la forme de stockage de l’énergie la plus élaborée, il a constitué un avantage évolutif considérable pour bon nombre d’espèces animales, mais c’est aussi une molécule-carrefour qui va s’accumuler dès que l’alimentation est déséquilibrée, y compris en sucres. Et l’homme moderne du Nord a conservé, malgré son mode de vie sédentaire et son alimentation trop riche, sa capacité à stocker l’énergie en prévision des mauvais jours, héritage de ses ancêtres chasseurs-cueilleurs.
La position des acides gras sur le glycérol semble aussi jouer un rôle dans leur digestibilité, même si ces résultats demandent à être confirmés chez l’homme adulte : dans l’huile de palme, les acides gras saturés ne se trouveraient pas en position digestible. Rappelons pour finir que l’huile de palme brute est le produit le plus riche que l’on connaisse en carotènes (précurseurs de la vitamine A) et en tocophérols, un antioxydant, d’où notamment l’intérêt de son utilisation en Afrique comme source naturelle de Vitamine A.
Les coupes de forêt primaire sont-elles directement liées aux plantations de palmiers à huile ?
Alain Rival : En Indonésie, ce sont les plantations d’essences forestières à croissance rapide (fast wood) qui sont les premiers moteurs de la déforestation, l’exploitation minière joue également un rôle considérable (Abood et al, 2015). Sur les 21 millions d’hectares de forêt primaire qui ont disparu en Indonésie entre 1990 et 2005, seulement 3 millions correspondent à la création de palmeraies. Lorsqu’elles ne sont pas replantées, les surfaces déforestées sont laissées en friche jusqu’à ce qu’elles deviennent des savanes dégradées qui seront, ou non, reconverties pour des activités agricoles. Au cours des dernières années, la déforestation s’est accélérée et concentrée sur des foyers de biodiversité comme Bornéo, l’Amazonie ou le bassin du Congo, qui demandent aujourd’hui une vigilance accrue des gouvernements, des ONG et des sociétés de plantation.
Comment éviter de détruire de précieux réservoirs de biodiversité ?
A. R. : Si une forêt primaire est transformée en palmeraie, la perte de biodiversité s’élève à 85 %, comme pour toute monoculture intensive, sous les tropiques comme ailleurs. Pour éviter les extensions de palmeraies dans les zones limitrophes de forêt primaire, dites à haut stock de carbone ou à haute valeur de conservation, il convient de fournir un revenu équivalent à celui issu de la coupe du bois et de déplacer le projet de création de palmeraie vers une savane dégradée ou une zone agricole à reconvertir. Des projets existent, mais ils se heurtent le plus souvent à des problèmes de droit foncier : absence de cadastre, de droits de propriété, antagonismes entre droit coutumier et droit civil, etc. D’après R.H.V. Corley (2009), si on mettait en culture toutes les terres dégradées recensées à ce jour, uniquement en Indonésie, on pourrait satisfaire les besoins en corps gras de la totalité de la population mondiale jusqu’en 2050. Il n’est donc pas inéluctable de couper de la forêt primaire pour répondre aux besoins croissants en corps gras de la population mondiale.
Il existe en outre des initiatives comme la Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO) qui visent la certification des plantations durables de palmier à huile. Il s’agit d’une démarche consensuelle liant les principaux acteurs de la filière décidés volontairement à s’entendre sur un socle de principes et critères partagés, régulièrement redéfinis en fonction des demandes des membres de la Table ronde. Au-delà de la RSPO, plusieurs groupes d’acteurs (ONG, plantations, institutions de recherche) s’associent désormais pour protéger ces forêts. Plusieurs compagnies de plantation se sont d’ailleurs engagées dans une démarche « zéro déforestation ». La filière réagit et s’organise, même si ces efforts peuvent être jugés insuffisants et trop lents par rapport à l’urgence à protéger les dernières forêts tropicales. Les gouvernements impliqués doivent eux aussi prendre leur part de responsabilité, notamment dans l’établissement d’un cadastre à jour et indiscuté et dans l’application sévère des lois (Rival & Levang, 2013).
Quelles sont les solutions concrètes pour concilier la préservation de la biodiversité et un développement agricole indispensable aux populations du Sud ?
A. R. : Tout d’abord, la planification du paysage qui consiste à identifier des forêts à « haute valeur de conservation » ou à stock élevé de carbone et à les entourer de zones tampons. Dans ces zones, des agroforêts, installées à côté des plantations, permettent une activité humaine raisonnée : cultures vivrières, fruitiers, caoutchouc, plantes médicinales ou même écotourisme. Cette pratique permet d’éviter une réduction drastique de la biodiversité consécutive à l’ouverture d’espaces agricoles en limite directe de forêt primaire. La culture du palmier à huile est alors intégrée à une planification du paysage en concertation avec les populations locales (Koh et al, 2009).
Par ailleurs, dans les zones dédiées à la monoculture du palmier à huile, il s’agit aujourd’hui de produire plus et mieux sur la base des caractéristiques naturelles exceptionnelles du palmier à huile, tout en limitant les recours aux intrants et aux pratiques non durables. Cette intensification écologique passe par la mise à disposition de tous les planteurs, familiaux ou industriels, de matériel végétal amélioré issu des programmes de sélection, par l’optimisation de l’utilisation des engrais par la valorisation de la biomasse et le recyclage des effluents d’huileries et de plantation (Rival, 2013).
Enfin, dans chaque pays producteur, les petits planteurs constituent une mosaïque hétérogène d’acteurs plus ou moins organisés. Il convient de comprendre puis d’anticiper leurs trajectoires et de les associer aux efforts en cours de certification de la durabilité de la filière. Pour cela, il s’agit de mieux connaître les systèmes de production qu’ils adoptent, leurs relations avec les pouvoirs publics, les plantations industrielles avoisinantes et les usiniers.
Le palmier à huile apparaît comme une culture à 100 % industrielle qui profite aux multinationales occidentales. Quelle place occupent les petits planteurs ?
A. R. : Les multinationales agroalimentaires du Nord ne contrôlent pas directement le secteur des plantations. Ce dernier est occupé soit par des sociétés nationales ou transnationales, publiques ou privées, soit par des petits planteurs, groupés ou non en coopératives. Ceux-ci fournissent près de la moitié de la production mondiale.
Les petits planteurs représentent aujourd’hui plus de 40 % de la production mondiale d’huile de palme. Ils vendent leurs fruits à des usiniers qui assurent l’extraction de l’huile. Suite aux privatisations de la filière palmier décidées dans les années 1980-1990, notamment en Afrique de l’Ouest, les petits planteurs ne sont plus encadrés par de grands programmes nationaux et les rapports entre usiniers et producteurs se sont modifiés. Le secteur villageois exploite aujourd’hui une multiplicité étonnante d’agro systèmes à base de palmier à huile.
En Indonésie, ce sont 1 000 à 2 000 dollars par an et par hectare qui sont générés par la culture du palmier à huile, un revenu qui a contribué significativement, selon McCarthy (2010) à la régression de la pauvreté et à l’émergence d’une classe moyenne rurale. Aujourd’hui, plus de 5 millions de personnes en Indonésie dépendent directement de la culture du palmier à huile.
Quelles sont les conséquences de la culture du palmier à huile sur l’environnement ?
A. R. : Le palmier à huile est la plante oléagineuse la plus productrice, avec des rendements moyens de l’ordre de 6 tonnes d’huile/hectare/an dans de bonnes conditions écologiques (jusqu’à 12 T/ha dans les meilleurs essais génétiques actuels). La productivité moyenne mondiale d’huile de palme est de 3,8 T/an. Pour que s’exprime le potentiel des meilleures semences, l’utilisation de fertilisants est indispensable. Il y a donc un risque réel de pollution, notamment des nappes phréatiques, lorsque ces intrants sont utilisés en excès et/ou au mauvais moment. Les engrais constituent aujourd’hui 60 % des coûts d’exploitation d’une plantation et sont de plus en plus remplacés par des apports de compost issu du recyclage des effluents, qui permettent d’économiser jusqu’à 15% de la facture globale de fertilisants.
Le Cirad et ses partenaires travaillent sur la fertilisation raisonnée des palmeraies depuis plus de 50 ans. Il s’agit d’optimiser les apports d’engrais afin qu’ils profitent au mieux à la plante au travers d’applications fractionnées et raisonnées, évitant ainsi que les résidus se retrouvent dans les nappes ou les eaux de surface. Ces besoins sont évalués au travers de prélèvements réguliers de sols et de feuilles dans les plantations. Leur analyse permet de donner des limites à l’utilisation d’engrais en fonction de la saison, de la physiologie de la plante, de la nature du sol ou de l’âge de la plantation. Cette gestion raisonnée n’est pas un concept nouveau, mais elle prend de l’ampleur depuis quelques années avec la prise de conscience que les hauts rendements doivent aller de pair avec la protection de l’environnement. De même, très tôt, le Cirad a travaillé sur le compostage des résidus d’usine afin de recycler les effluents solides et liquides issus des huileries.
Côté pesticides, en revanche, le palmier à l’huile joue la carte de la chance : il n’y a, à ce jour, pas de parasite ou ravageur majeur du palmier qui n’ait pas de solution biologique. La fusariose en Afrique a été éradiquée grâce à des semences résistantes issues de programmes de sélection variétale classique. Les recherches concernant les attaques de Ganoderma en Asie du Sud-Est suivent la même voie, avec la mise à disposition récente de semences tolérantes. Des expérimentations sont également en cours pour identifier les agents responsables de la Pourriture du Cœur en Amérique latine, en utilisant les résistances génétiques naturelles apportées par l’espèce amazonienne Elaeis oleifera. Trois continents, trois maladies qui pour l’instant restent confinées dans leur contexte d’origine. La mondialisation des échanges de semences, de pollen, appelle à la plus haute vigilance. Il ne faut pas oublier que près de 90 % de l’huile de palme mondiale est produite dans la même région du monde : l’Asie du Sud-Est.
Enfin, l’extraction de l’huile de palme à partir des fruits s’effectue en outre par pression, sans ajout d’adjuvant chimique ou de solvant, de même que pour l’huile d’olive.