La mise en cause du Green deal européen ? (Pascal Canfin )
Tribune
Regardons une carte politique européenne et cherchons les pays dans lesquels un parti conservateur, comme Les Républicains en France ou la CDU en Allemagne, dirige. Résultat : on retrouve cette configuration dans neuf pays : en Autriche, Croatie, Grèce, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et à Chypre. Autrement dit, la droite conservatrice n’est plus au pouvoir dans aucune des grandes capitales européennes. Et au Conseil européen, qui rassemble les chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de l’Union, les présidents ou premiers ministres de la droite traditionnelle ne pèsent plus que 12% des voix. Cela entraîne plusieurs conséquences.
La première est la radicalisation des partis de droite qui ne se sentent plus liés par les contraintes de l’exercice des responsabilités nationales et européennes. L’arrivée dans les propositions de LR en France de la volonté de remettre en cause le primat du droit européen sur le droit national en est un bon exemple. Cette idée est directement issue du corpus de l’extrême-droite et des partis illibéraux au pouvoir en Pologne et en Hongrie. Elle est à rebours du logiciel pro-européen du centre droit incarné en Allemagne encore récemment par Angela Merkel. Cette proposition revient à déconstruire toute cohérence européenne puisque la France dira que dans tel domaine, par exemple l’immigration, le droit européen ne s’applique pas, quand les Polonais diront qu’il ne s’applique pas en terme de respect du droit des minorités.
Cela signe la fin de la construction européenne qui implique justement que l’on bâtisse ensemble des règles qui nous lient tous. Or, l’Europe s’est construite sur quatre familles politiques – les chrétiens démocrates, les centristes libéraux, les socio-démocrates et, plus récemment, les écologistes. Si les partis de centre droit migrent vers des alliances avec des formations d’extrême droite, cela crée une nouvelle donne politique. La récente alliance dans la plus grande région espagnole, la Castille et Léon, d’une coalition entre le parti populaire conservateur PP et le parti d’extrême-droite Vox en est le dernier exemple en date et permet à Vox d’entrer pour la première fois dans une coalition gouvernementale en Espagne.
La deuxième conséquence est une radicalisation anti-écologique de l’ancienne droite de gouvernement. Mises bout à bout, les prises de position récentes des partis de droite contre des éléments importants du Green deal européenaboutirait à un détricotage de l’ambition climatique du continent : attaques contre les éoliennes de LR en France, remise en cause des objectifs de la transition agricole par le groupe de droite au Parlement européen, volonté de la CDU de faire de son opposition à la fin du moteur thermique en 2035 telle que prévue par la Commission européenne un élément fort de sa reconquête en Allemagne en adoptant un discours proche de celui de l’AFD, le parti d’extrême-droite, etc…
« L’incohérence et l’absence de volonté de la dépasser est bien le signe d’un renoncement à l’esprit de responsabilité européen qui implique justement de soutenir les compromis pour avancer ensemble »
Et sur le sujet emblématique de la taxonomie qui classe les activités économiques au regard de leur intérêt pour la transition écologique, les députés européens LR pourraient voter contre au Parlement car ils trouvent que les règles ne sont pas assez favorables au nucléaire, quand leurs collègues de la CDU pourraient aussi voter contre car ils trouvent que les règles sont… trop favorables au nucléaire. Cette incohérence et l’absence de volonté de la dépasser est bien le signe d’un renoncement à l’esprit de responsabilité européen qui implique justement de soutenir les compromis pour avancer ensemble.
La prédominance en Europe des gouvernements socio-démocrates et centristes, avec la présence croissante de partis écologistes en position de participation minoritaire comme en Allemagne, en Suède, en Irlande ou encore au Luxembourg, montre que ce sont bien les familles politiques qui assument leur position pro-européenne qui l’emportent aujourd’hui. C’est une bonne nouvelle car sur de nombreux sujets, l’Europe est le bon cadre d’action, sur le climat comme pour assurer notre autonomie stratégique face à la Chine ou à la Russie par exemple. Mais c’est aussi un défi identitaire pour les partis de la droite traditionnelle qui sont à l’heure des choix.
Pascal Canfin est député europée (Renew), président de la commission Environnement, Santé publique et Sécurité alimentaire du Parlement européen.