Pratiques de concurrence : pas grand chose de neuf !
Avec pour objectif affiché d’identifier les bonnes pratiques relatives à la conformité en droit de la concurrence, un groupe de travail créé en 2020 et composé de représentants de l’Autorité de la concurrence et de membres du secteur privé (entreprises, associations professionnelles et avocats) a fait rejaillir la volonté d’un texte de référence sur les programmes de conformité en France. Par Marion Legrix De La Salle* Head of Antitrust & Compliance, Samsung Electronics et Frédéric Pradelles*, Avocat associé, McDermott Will & Emery ( dans la Tribune)
Cette initiative s’intègre dans un mouvement plus général observé ces dernières années, aux Etats-Unis avec l’actualisation régulière par le Department Of Justice de ses lignes directrices destinées à évaluer les programmes de compliance des entreprises, au Royaume Uni par le Serious Fraud Office, en Europe depuis le RGPD et en France depuis la loi Sapin 2, laquelle s’accompagne de clarifications pratiques et régulières de l’AFA dans ses guides.
S’inscrivant dans cet élan, l’Autorité de la concurrence a publié le 24 mai 2022 un document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence, qu’elle avait soumis à consultation publique à l’automne 2021. Les 10 pages de ce document sont en fait une actualisation du document-cadre que l’Autorité avait déjà publié en 2012, mais retiré en 2017 à la suite de la réforme de la procédure de transaction. L’Autorité revient aujourd’hui sur la définition de la conformité (un processus et un objectif) pour s’intéresser à ses dimensions préventive et curative.
Le texte, qui reprend une large partie des éléments-clés figurant dans le document de 2012, est présenté comme un recueil de « principes directeurs », « enrichi » par l’Autorité. Il comprend une introduction rappelant les pouvoirs de l’Autorité dans sa mission de surveillance des marchés, pour laquelle la période de consultation a permis à l’Autorité de préciser la finalité de la conformité : « défendre des valeurs et encourager des comportements vertueux ». Le document comporte ensuite trois parties respectivement dédiées aux bénéfices des programmes de conformité, aux éléments constitutifs de ceux-ci et aux acteurs de la conformité.
A l’inverse de son précédent document et du choix opéré par de nombreux Etats membres (le plus récent étant l’Allemagne) (1), l’Autorité ne revient pas sur la possibilité de tenir compte de l’engagement d’une entreprise à mettre en place un programme de conformité pour bénéficier d’une réduction d’amende, et ce malgré les nombreuses demandes en ce sens formulées lors de la consultation publique. On se souvient en effet que la loi Macron du 6 août 2015 avait modifié les dispositions du code de commerce, en instaurant une nouvelle procédure de transaction à la place de la non-contestation des griefs. Pour justifier le retrait de cette faculté pourtant incitative pour les entreprises, l’Autorité avait à l’époque indiqué qu’elle estimait désormais que l’élaboration et la mise en œuvre de programmes de conformité avaient « vocation à s’insérer dans la gestion courante des entreprises, tout particulièrement lorsque celles-ci sont de taille conséquente » (cf. décision n°17-D-20 du 18 octobre 2017 dans le cartel des revêtements de sols).
Pour le reste, les grands principes du document-cadre de 2012 sont « enrichis », à la marge.
Sur le bénéfice des programmes de conformité, le document finalisé souligne notamment l’importance de la détection, qui va « permettre à l’entreprise ou l’association d’entreprises d’identifier les faits potentiellement contraires au droit de la concurrence ».
Sur l’efficacité de ces programmes, une attention particulière est portée à leur conception « par et pour l’entreprise », à leur construction sur des points-clés nécessaires à leur efficacité et à la nécessité d’une mise à jour régulière et documentée. A noter que le temps de la consultation aura été l’occasion d’intégrer plusieurs considérations bienvenues, comme la nécessité de les concevoir dans un programme de conformité global qui rassemble l’ensemble des dispositifs préventifs mis en place par l’entreprise (en matière de lutte contre le blanchiment et la corruption, de protection des données personnelles, de responsabilité sociale, sociétale et environnementale, etc.) ou la possibilité d’explorer un recours à des outils numériques innovants pour les processus de conformité. Les points-clés s’articulent quant à eux autour de cinq piliers, dont l’intitulé et le contenu ont été amendés à la marge durant le temps de la consultation : un engagement public de l’entreprise, des relais et experts internes, une information, formation et sensibilisation, des mécanismes de contrôle et d’alerte (deux fonctions distinctes, pour lesquelles l’Autorité insiste sur la nécessité d’un traitement spécifique) et un dispositif de suivi et de mise à jour.
Sur le fond, dix ans après sa première version, nul doute que certains regretteront l’apport relativement limité de ce nouveau texte et l’absence d’exemples concrets facilitant son déploiement par les entreprises. Une explication est peut-être à trouver dans l’absence de contrôle de l’Autorité sur l’adoption effective de ce document-cadre par les entreprises et son application qui reste facultative, ce qui l’éloigne de la portée quasi-normative des recommandations publiées par l’AFA en matière d’anticorruption ou encore du UK Bribery Act qui permet à une entreprise disposant de « procédures adéquates » de voir la mise en cause de sa responsabilité écartée dans les cas de corruption de ses partenaires (2).
Pour autant, l’initiative de l’Autorité devrait globalement être bien accueillie par les acteurs économiques en ce qu’elle encourage plus avant l’intégration et la mise en œuvre de programmes de conformité destinés à protéger les entreprises, et partant contribue à la diffusion salutaire des règles de bonne conduite en antitrust et d’une véritable « culture de conformité » auprès du plus grand nombre.
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(1) Bundeskartellamt, Lignes directrices sur l’évaluation des sanctions, 11 octobre 2021 (voir le communiqué de presse en anglais).
(2) Recommandations de l’AFA, 2021 : « [...] une organisation [tenue de déployer au dispositif anticorruption au titre de la loi Sapin 2] qui indique lors d’un contrôle de l’AFA avoir suivi les présentes recommandations bénéficie d’une présomption simple de conformité. Celle-ci ne peut être renversée que par la démonstration par l’AFA d’une application non effective, incorrecte ou incomplète des recommandations » (point 11) et section 7 du UK Bribery Act (2010).