Harvey Leibenstein a publié en 1966 un article célèbre dans lequel il présentait le concept de « l’efficience-X ». Cette théorie porte sur l’efficience des organisations en fonction notamment de leurs facteurs de production et de leurs conditions de concurrence ou de « pression ». Les études empiriques menées dans ce cadre ont pu, par exemple, comparer des usines a priori très similaires mais dont les résultats différaient largement. Ou encore analyser les effets d’une réduction brutale de la force de travail employée sur la production d’une entité. Seront ainsi étudiées des structures dont une part importante du personnel se met en grève sans que leur activité diminue dans des proportions comparables… Et conformément aux théories de la concurrence, mais par un autre chemin, l’efficience-X fait apparaître les situations monopolistiques comme étant souvent les moins efficientes.
A l’heure où la Belgique traverse une crise politique historique, notamment par sa durée, et alors que des Belges s’apprêtent à célébrer avec le sens de la dérision qui les caractérisent un « record du monde » de période sans gouvernement, la transposition de l’analyse de l’efficience-X à la sphère politique est naturellement tentante.
Depuis 2007, en effet, la Belgique n’arrive pas à former un gouvernement stable qui agirait avec un mandat clair, et cette crise a pris une nouvelle dimension avec l’impossibilité de constituer un nouveau gouvernement depuis les dernières élections législatives, il y a maintenant plus de sept mois. C’est donc un parfait cas d’école pour étudier l’efficience d’un système politique puisque l’une de ses principales composantes est inexistante sur une durée suffisamment longue pour pouvoir en mesurer les possibles effets.
La conclusion semble s’imposer : le gouvernement belge démontre par son absence qu’il ne sert à rien. Au moins en matière économique. Bien entendu, il y a des administrations en Belgique qui remplissent des fonctions indispensables, et un personnel politique qui assure les affaires courantes. Mais il n’y a ni projet, ni programme en cours d’application, et l’économie belge n’en subit aucune conséquence dans ses chiffres.
Il ne s’agit pas de mésestimer une situation potentiellement à risque dans un pays en proie à ses tensions linguistiques, ni la souffrance qu’elle suscite pour beaucoup de Belges. D’ailleurs, si la situation de vacance du pouvoir est exceptionnelle en Belgique, la conclusion sur l’efficience des politiques économiques n’a aucune raison de l’être.
On peut bien sûr objecter que le contexte d’un pays fédéral est très spécifique, que les exécutifs locaux du royaume de Belgique sont puissants et pleinement opérationnels et que, par sa taille, l’économie belge est de toute façon très dépendante de la santé de ses grands voisins appartenant à la même zone monétaire. Mais ce cas est trop éloquent pour ne pas s’interroger de manière plus générale sur l’efficience de l’action politique. Au moins une autre situation type mérite d’être citée du fait de son importance et de sa fréquence : la cohabitation entre partis rivaux à la Maison-Blanche et au Congrès, et/ou au sein de celui-ci, qui se traduit généralement par une grande inertie de l’action politique aux Etats-Unis (moins de lois adoptées, une gestion beaucoup plus « affaires courantes »). Ces périodes ne se caractérisent pas, loin s’en faut, par de mauvaises performances relatives et absolues de l’économie américaine. Réciproquement, les années où le président et le Congrès sont à l’unisson ne sont pas souvent les plus brillantes.
La théorie de l’efficience-X appliquée à la politique économique penche clairement en faveur du « laisser-faire ». Et devrait au moins conduire à considérer avec prudence les plaidoyers passionnés pour le volontarisme comme la dénonciation enflammée des technocraties, qu’elles soient de Bruxelles, de Francfort ou d’ailleurs. Finalement, celles-ci se débrouillent plutôt bien toutes seules pour accomplir leurs missions…