«Hollande dans une impasse» (Gérard Grunberg)
Politologue au Centre d’études européennes de Sciences Po, spécialiste de la gauche, Gérard Grunberg analyse dans les Echos la situation de François Hollande avant le marathon des vœux. Il ne croit «pas du tout» à la remise à plat de la fiscalité annoncée par Jean-Marc Ayrault.
Que peut faire François Hollande pour espérer rétablir la confiance ?
La manière dont François Hollande s’est positionné et dont il a gouverné depuis un an et demi fait que sa marge de manœuvre est aujourd’hui très étroite. Il a beaucoup basé sa stratégie sur une amélioration de la situation économique et de l’emploi, s’appliquant à ne « pas désespérer Billancourt ». Je crois que ça a été une erreur car les Français sont tout à fait conscients de la gravité de la situation. Certes, il n’est pas possible de savoir comment l’opinion aurait réagi à un discours à la fois plus véridique et volontariste, mais il est clair que le propos relativement lénifiant du président ne l’a pas rassuré. Pour la simple raison que les Français ne voient pas d’amélioration. François Hollande est donc dans une impasse. Sa politique réformiste des petits pas manque d’efficacité même si elle va dans la bonne direction. Confronté à cette impasse, la seule option possible serait pour lui un changement de gouvernement mais cette option n’a d’intérêt que s’il s’accompagne d’un véritable tournant politique. Et de toutes manières, il est maintenant trop tard pour opérer un tel changement avant les élections du printemps prochain.
Le chef de l’Etat doit-il corriger son propre comportement ?
Je ne vois pas François Hollande changer profondément son comportement. Qui le pourrait d’ailleurs après une longue carrière politique ? S’il veut opérer un véritable changement, celui-ci ne peut donc provenir que d’un changement de Premier ministre, et à condition de le laisser s’imposer à la tête du gouvernement, chose toujours délicate sous la Ve République puisqu’elle implique que le président se mette en retrait. Dans cette option, c’est probablement Manuel Valls qui constituerait le meilleur choix. De toutes manières, la dégradation de l’image du président et les perspectives économiques et sociales rendent peu probable qu’il puisse regagner la confiance des Français sans bouger. Certes, les institutions de la Ve République et l’existence d’une majorité favorable à l’Assemblée lui évitent d’agir dans l’urgence. Mais le fait que son comportement ne corresponde pas suffisamment aux yeux des Français à l’image qu’ils se font d’un président de la République est néanmoins un facteur de fragilité réel.
La ligne est-elle suffisamment assumée ?
François Hollande a à plusieurs reprises exposé sa ligne politique, notamment la baisse des déficits et la reconquête de la compétitivité des entreprises pour faire baisser le chômage. Mais il ne l’a pas assumée assez clairement et, surtout, l’application hésitante de cette ligne a pu faire douter de la volonté politique qui la sous-tendait. En particulier, son discours critique sur les institutions européennes a pu paraître parfois en contradiction avec ces objectifs qui sont pourtant ceux de Bruxelles. Dans la mesure, en outre, où une partie de la gauche, et en particulier au Parti socialiste, est en désaccord profond avec sa politique de l’offre, François Hollande ne pourra pas longtemps paraître la défendre sans tenter de l’imposer réellement à ses troupes. Le fait de ne pas assumer clairement sa politique afin de ne pas inquiéter l’opinion est de toutes manières inefficace dans la mesure où elle accroît plus qu’elle ne diminue les inquiétudes de celle-ci. Il risque alors de perdre sur les deux tableaux. Enfin, les tensions qui sont apparues récemment entre le président et son Premier ministre ne peuvent qu’attiser les interrogations sur la ligne politique et la volonté des acteurs. Mais aussi sur le leadership du président.
Comment expliquer, alors, que François Hollande soit si tranché en dehors des frontières et si peu au dedans ?
Que soit sur le Mali ou la Centrafrique – je mets de côté l’affaire syrienne, plus compliquée -, je crois d’abord qu’il n’avait pas le choix et qu’il a bien fait d’intervenir. Sauf à se désintéresser totalement de l’Afrique, l’urgence était là. Certes, le risque est réel de l’enlisement et des pertes et l’on doit regretter que l’Europe n’existe pas dans ce domaine ce qui, à terme, créera un dilemme de plus en plus grand pour notre pays. Mais il est possible également que le président, se sentant plus libre d’agir dans ce domaine, compense ici par des décisions rapides et tranchées l’attitude plus prudent qui est la sienne en politique intérieure. Au dedans, le président n’a pas voulu prendre de tels risques car il sait son parti très divisé sur les questions économiques …. les ministres tirent parfois à hue et à dia. Manque d’autorité ou conception propre du maniement des hommes, toujours est-il que, de ce fait, François Hollande semble ainsi hésiter à trancher quand cela paraît nécessaire, préférant laisser les crises se résoudre d’elles-mêmes.
Comme quand il dirigeait le PS ?
Oui. Pendant ces dix ans, le Parti socialiste n’a pas choisi clairement une ligne politique et lorsque François Hollande a tenté d’imposer un choix clair, en matière européenne, son parti l’a suivi mais pas la gauche lors du référendum de 2005. Depuis, il semble avoir renoncé à imposer une ligne politique au Parti socialiste. Pourtant, l’attachement historique de ce parti à la « synthèse » a atteint aujourd’hui ses limites. La France est en crise et le PS n’a pas de ligne claire pour tenter de l’en sortir.
Croyez-vous dans la mise à plat de la fiscalité ?
Pas du tout. Cela a permis à Jean-Marc Ayrault de se relancer et de sortir, d’ailleurs efficacement, de la fronde fiscale aiguë qui menaçait de s’étendre. Mais le Premier ministre est trop intelligent, trop politique, pour ignorer que cela ne peut déboucher sur une véritable remise à plat à court terme. Personne n’a jamais remis à plat l’ensemble de la fiscalité sauf lors des Etats généraux de 1789 et ça s’est mal terminé !
A vous entendre, François Hollande a déjà perdu la présidentielle de 2017.
C’est le plus probable mais il faut toujours compter sur ses adversaires ! L’UMP est en très mauvaise forme et la crise de leadership est loin d’être réglée. Le Front national constitue une menace réelle aux élections législatives. En outre, les Français ne semblent pas penser aujourd’hui que la droite ferait beaucoup mieux que la gauche. Et l’évolution de la crise économique est encore incertaine. François Hollande a fait preuve tout au long de sa carrière politique d’une réelle habileté politique. A tout prendre, il préférerait voire la droite plutôt que la gauche se casser en deux ! D’où son possible choix de ne rien changer et de voir venir.