« Même si l’optimisme se révèle justifié, l’équation budgétaire ne sera pas aisée »
Jean Pisani-Ferry, professeur à Sciences Po et à l’Institut de Florence, chercheur associé à Bruegel (Bruxelles) et au Peterson Institute (Washington).
Les effets de la crise économique née de la pandémie seront moins violents que ceux de la crise financière de 2008, affirme l’économiste dans sa chronique au Monde.
Chronique.
Cinq points de PIB en moins chaque année. 600 milliards en 2021. C’est, selon le FMI (« Perspectives économiques mondiales », octobre 2018), ce que la crise financière de 2008 a coûté aux pays de la zone euro. A quelle perte faut-il se préparer aujourd’hui, après le choc autrement plus violent de la pandémie ?
La réponse à cette question conditionne la stratégie économique et la politique des finances publiques pour les années à venir. Si l’on tient pour inéluctable un recul du PIB, il faut se préparer sans tarder à l’austérité. Mais si l’on pense que cette crise n’a pas de raison d’affecter notre potentiel économique, il faut au contraire tout faire pour relever l’activité. Or il y a aujourd’hui de bonnes raisons de miser sur l’optimisme.
Il est connu que les récessions peuvent avoir des effets persistants. Comme le rappellent Valerie Cerra, Antonio Fatas et Sweta Saxena (« Hysteresis and the Business Cycle », à paraître dans le Journal of Economic Literature), l’idée, trop simple, selon laquelle les fluctuations cycliques n’affectent pas le long terme ne résiste pas à l’examen. Un choc économique laisse généralement des blessures, surtout s’il est d’origine financière.
Pour l’empêcher, il faut des politiques actives, sur le coup et dans les années qui suivent. Cela n’a pas été suffisamment fait après la crise financière, dont la trace persistante tient pour beaucoup à l’ajustement budgétaire précipité que l’Europe a engagé dès 2011. La leçon a été retenue : la réponse à la crise pandémique a été beaucoup plus vigoureuse et elle s’annonce plus prolongée. C’est la première raison d’être optimiste.
La deuxième raison tient aux enchaînements qui font que l’affaiblissement perdure. Lors de la crise financière, le blocage du crédit a fait chuter l’investissement des entreprises, et la productivité totale des facteurs, qui reflète le rythme du progrès technique, a sensiblement ralenti. C’est ce qui explique le tassement du potentiel productif.
Or ces mécanismes ne se retrouvent aujourd’hui que sous une forme atténuée. En dépit d’une chute du PIB trois fois plus forte, l’investissement des entreprises n’a baissé que de 8 % en 2020 (c’était 12 % en 2009), et les enquêtes annoncent un rebond vigoureux cette année (au lieu de la petite reprise observée en 2010). Dans un texte écrit avec Huyiu Li (« The Impact of Covid on Potential Output », Fed de San Francisco, mars 2021), John Fernald, l’un des meilleurs spécialistes de la productivité, a calculé que le choc dû au Covid-19 n’abaissera que très faiblement le potentiel productif américain : même en tenant compte de ce qu’une partie de l’investissement a été consacrée à dupliquer du capital pour permettre aux salariés de télétravailler, la baisse ne devrait être que de deux tiers de point environ. Quand bien même ce serait le double en Europe, on restera très loin de l’impact de la crise financière de 2008.