Élargissement de l’Union européenne : les enjeux géostratégiques
Julien Arnoult, docteur en science politique, expert EuropaNova, explique dans le JDDles enjeux autour de l’élargissement de l’UE.
La Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine ont adressé le 28 février 2022 une demande d’adhésion à l’Union européenne (UE). Au bout de onze jours, elle a rationnellement et sagement rejeté celle irréaliste de l’Ukraine. Le Président Emmanuel Macron, s’exprimant au titre de la présidence française du Conseil de l’UE (PFUE), a proposé comme alternative la formule éculée du partenariat, qui est aussi insatisfaisante pour les États candidats qu’elle est inefficace à dissuader la Russie de les attaquer. Sur le fond, ces demandes ouvrent la voie à un changement de conception quant aux futurs élargissements, tant sur la nature que la méthode. Il est autant d’ordre politique que juridique, les deux étant imbriqués.
La question dépasse le seul cas d’une Ukraine un jour en paix, que ce soit au mieux dans ses frontières internationalement reconnues, ou bien dans ses limites de fait que nous lui connaissons actuellement, ou pire dans une nouvelle démarcation qui l’aurait transformée en État démembré ou croupion. À moins qu’elle n’ait été rayée de la carte par la Russie.
La perspective d’élargissement posée par les demandes des trois États issus de l’éclatement de l’Union soviétique remet à jour un problème politique connu et en pose un nouveau.
Le premier a trait aux limites spatiales de l’Europe. Jusqu’alors, l’UE n’a pas voulu les définir, ce qui a conduit à intégrer en 2004 Chypre, située en Asie. Elle ne l’a pas fait non plus pour la Turquie, toujours formellement candidate, dont 97 % du territoire est en Asie. La Géorgie frappe maintenant à notre porte, or la partie de son territoire située en Europe est dérisoire. Cela va au-delà de la question de principe : comment l’UE peut-elle un jour porter secours à la Géorgie, isolée des autres États européens et voisine de la belliciste Russie ?
Le second est relatif à la durée d’attente entre le dépôt de candidature et l’intégration. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht en 1993 et la création de l’UE, treize pays l’ont rejointe. Si le processus a duré trois ans et demi pour l’Autriche, la Finlande et la Suède, membres depuis 1995, il en a fallu quatorze pour Malte et Chypre, membres depuis 2004. Ce temps de latence se justifie par l’adoption par les État candidats de la volumineuse législation, appelée « acquis communautaire ». Mais il expose également ces pays à la menace étrangère, surtout s’ils ne sont pas déjà membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Et le risque est d’autant plus grand que la durée est longue.
Les problèmes politiques conduisent à des problèmes juridiques, d’autant plus que l’UE est avant tout une construction juridique. En voici quelques-uns.
Peut-on accueillir au sein de l’UE un État en guerre ? La réponse est dans la question, mais Emmanuel Macron, s’exprimant au titre de la PFUE, a été clair : c’est non. Reste à déterminer si ce principe doit être ancré dans un traité.Peut-on désormais intégrer dans l’UE un pays dont une partie du territoire est occupé directement par un autre État ou indirectement grâce à un État fantoche ? À ce jour, la réponse est oui, puisque le tiers de Chypre est sous contrôle turc, via la République turque de Chypre Nord, sachant que l’UE n’a jamais conditionné la poursuite des négociations d’adhésion avec la Turquie au retrait de ses troupes. La question se posera pour la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine, qui sont dans le même cas avec la Russie.
Peut-on prévoir un système d’adhésion graduelle pour aller plus vite dans la solidarité entre États de l’UE ? Les candidats adopteraient, par exemple, la législation relative à la citoyenneté, aux droits fondamentaux, à la souveraineté et à la défense, ce qui vaudrait adhésion immédiate. Puis ils intégreraient le reste de l’acquis communautaire au fur et à mesure. En outre, il existe déjà un système dérogatoire et des périodes d’adaptation. C’est ce qui a été décidé pour les élargissements de 2004, de 2007 et 2013 concernant l’espace Schengen.
Enfin, une fois les solutions trouvées, il faut réviser les traités ou en adopter un nouveau. Pour mémoire, s’agissant du traité de Lisbonne, il s’est écoulé deux ans et demi entre le début des négociations dans le cadre d’une conférence intergouvernementale et son entrée en vigueur en 2009. Quant au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, entré en vigueur depuis 2013, il a fallu un an. Il reste un peu plus de trois mois à la PFUE pour enclencher ce processus de clarification.