Afghanistan : un désastre mondial pour les équilibres géopolitiques
Le retrait américain d’Afghanistan va réveiller les appétits géopolitiques de la Chine et de la Russie qui, « enhardies par le spectacle de la déroute », pourraient se montrer téméraires et commettre des fautes stratégiques, analyse le spécialiste de géopolitique Jean-Sylvestre Mongrenier, dans une tribune au « Monde ».(extrait)
Tribune.
Vingt ans après les attentats du 11 septembre 2001, le lâchage de l’Afghanistan aura de redoutables conséquences. Déjà, comme après la guerre du Vietnam, le spectre de la décadence hante l’Amérique. Au vrai, l’Europe ne saurait se poser en observateur extérieur. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis dirigent un empire informel qui réunit les nations occidentales. Leurs destinées sont liées.
De prime abord, le redéploiement géostratégique voulu par Washington n’est pourtant pas dépourvu de rationalité. La montée en puissance de la Chine populaire, les visées révisionnistes de la « Russie-Eurasie » ainsi que les ambitions iraniennes au Moyen-Orient préfigurent un regroupement d’« Etats perturbateurs » capables de tournebouler les équilibres géopolitiques. Aussi, la « longue guerre » contre le terrorisme peut-elle faire figure de coûteuse diversion stratégique.
S’étirant depuis les « Méditerranée asiatiques » (mers de Chine du Sud et de l’Est) jusqu’aux rivages du golfe Arabo-Persique et de l’Afrique orientale, un nouvel ensemble spatial s’impose à l’analyse : la région indo-pacifique. Là se détermineraient les rapports de force du XXIe siècle. Menacées de redevenir un petit cap de l’Asie, l’Europe et ses nations ne sauraient s’abstraire de cette grande épreuve. Moins encore la France, avec ses territoires dans les océans Indien et Pacifique. Sans l’alliance américaine, il lui sera difficile de contenir la pression chinoise sur son domaine maritime.
« De l’Afghanistan au Sahel, du golfe de Guinée à la Corne de l’Afrique, jusqu’en Asie du Sud-Est même, la “longue guerre” perdurera
Dans une telle perspective, le désintérêt pour l’Afghanistan, au cœur de la masse terrestre eurasiatique, est compréhensible. N’était-il pas temps de trancher ce « nœud gordien » et de reporter l’effort vers l’Indo-Pacifique ? C’est ce que Joe Biden voulait signifier dans son allocution du 16 août. Pourtant, le maintien d’une force américaine limitée et de contingents de l’OTAN était possible, voire nécessaire. Le discours qui pose les talibans en alliés objectifs de l’Occident contre Al-Qaida et l’Etat islamique laisse dubitatif. Et de l’Afghanistan au Sahel, du golfe de Guinée à la Corne de l’Afrique, jusqu’en Asie du Sud-Est même, la « longue guerre » perdurera.
De surcroît, le départ d’Afghanistan aura des répercussions sur d’autres points du globe. Entendons-nous : cette décision n’entraînera pas mécaniquement le lâchage de Taïwan ou de l’Ukraine. Et si le prestige américain est atteint, la « réputation » d’un Etat n’est pas l’alpha et l’oméga du rapport des forces. Avec l’exaspération des rivalités internationales, les facteurs bruts de la puissance s’avèrent plus importants que le soft power, concept incertain trop souvent convoqué. Sous cet angle, il serait hâtif de penser que la puissance américaine se liquéfie.