Ukraine: Une furieuse envie d’indépendance
Maîtresse de conférences en sciences politiques
Alors que Vladimir Poutine nie aux Ukrainiens leur capacité à s’autogouverner, la chercheuse en sciences politiques Alexandra Goujon rappelle, dans une tribune au « Monde », que leur indépendance est l’aboutissement d’une longue lutte au sein de l’Empire russe puis de l’Union soviétique.
Tribune.
La Russie a attaqué militairement l’Ukraine. Cette invasion s’inscrit dans la logique du discours du 21 février de Vladimir Poutine, qui parle de l’Ukraine comme d’une « colonie américaine » et qui nie aux Ukrainiens la capacité de se gouverner eux-mêmes. Or, le peuple ukrainien existe depuis plus longtemps que son Etat. A l’image d’autres peuples européens, un mouvement de renaissance nationale ukrainien apparaît à partir de la moitié du XIXe siècle dans l’Empire russe. Mais les autorités russes y voient la manipulation des Polonais. Des cercles nationaux (hromady) sont liquidés et l’interdiction d’imprimer en ukrainien est proclamée. Les Ukrainiens sont alors considérés comme des « Petits-Russes », une subdivision du peuple russe. Le foyer de la culture ukrainienne se déplace en Galicie autrichienne.
L’indépendance de l’Ukraine approuvée par référendum à plus de 92 % des voix en 1991 enclenche un processus de construction nationale et étatique longtemps empêché au sein de l’Empire russe puis de l’Union soviétique. Pour répondre aux doutes sur l’existence de son pays y compris chez son voisin de l’est, le deuxième président ukrainien et ancien responsable communiste, Leonid Koutchma, publie en 2003 un ouvrage en langue russe intitulé L’Ukraine n’est pas la Russie. Ce titre résonne aujourd’hui dans la nation ukrainienne qui exprime son effroi et revendique son unité face à l’attaquant russe.
Depuis trente ans, la population ukrainienne vit dans un imaginaire national distinct de celui de la Russie avec ses propres médias, musées, fêtes nationales et manuels d’histoire. Son opinion à l’égard de son voisin de l’est s’est teintée d’animosité lorsque, en 2014, elle observe, sous le choc, l’annexion de la Crimée et le soutien russe, contre Kiev, au séparatisme dans l’est du pays conduisant à une guerre qui a déjà fait plus de 14 000 morts. L’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, vantée pour ses valeurs démocratiques, au moment de la révolution de Maïdan, en 2013-2014, est réclamée comme seule protection possible de l’Etat ukrainien parallèlement à une intégration à l’OTAN.
Certes, l’URSS, créée en 1922, a donné à l’Ukraine ses contours étatiques actuels et contribué à faire émerger un sentiment national à travers l’usage de la nationalité (appartenance ethnique) dans les documents administratifs ou la création de structures à caractère national (union des écrivains, académie des sciences, parti communiste…). Les bolcheviks avaient cherché, notamment, à donner des gages aux Ukrainiens en tant que peuple opprimé dans l’Empire russe, pour les faire adhérer à la cause communiste. Mais l’indépendance, bien que proclamée en 1918, fut une perspective qui disparut quelques mois plus tard dans une guerre civile meurtrière.