Europe : le couple franco-allemand mis en cause
Fondateur d’EuropaNova, Guillaume Klossa préside l’association Civico (civico.eu). A quelques jours d’un important Conseil européen, et au lendemain de la visite à Paris de la Chancelière Angela Merkel, il présente ses idées pour refonder le projet européen et met en garde contre « les forces sapant nos fondamentaux démocratiques » partout en Europe. Son dernier livre, Une jeunesse européenne , a été publié en 2014 chez Grasset. L’intéressé remet en cause dans l’Opinion l’efficacité du couple franco-allemand. (Notons cependant que ce concept de couple admis en France ne l’est guère en Allemagne NDLR)
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Emmanuel Macron, qui a reçu vendredi Angela Merkel, a du mal à faire avancer son projet de refonder l’Europe. Pourquoi ?
Avec le discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron, la France est à peu près le seul pays à avancer une vision pour l’avenir de l’Europe. Pour bouger les lignes, il lui faut des partenaires et le soutien des opinions publiques. Or l’Allemagne et l’Italie, nos partenaires naturels, étaient aux abonnés absents, et les autres gouvernants, faute de sentir le soutien de leurs opinions, sont rétifs. Pour refonder l’Europe, un couple franco-allemand à l’initiative n’est plus suffisant. Il faudrait une dynamique transversale associant société civile, syndicats, leaders d’opinion et gouvernants. Jean Monnet l’a compris après-guerre, avec son comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe, une coalition de bonnes volontés dépassant les clivages traditionnels ; c’est ce que nous essayons de renouveler avec Civico depuis l’appel du 9 mai 2016, publié dans quinze pays.
Les citoyens, très critiques à l’égard du projet européen, ne risquent-ils pas de faire défaut ?
Après le référendum britannique les citoyens ont pris conscience que l’Europe était mortelle. Il y avait un boulevard pour relancer, c’est alors qu’il aurait fallu agir. Ce mouvement n’a pas pris corps, faute d’une synchronisation entre les temps politique et civique. Le « business as usual » est de retour et la fenêtre d’opportunité s’est réduite. Un enjeu majeur est à mon sens que chaque citoyen ait un sentiment de responsabilité dans cette relance.
Vous proposiez, dans votre rapport « La voie européenne pour un futur meilleur », une « feuille de route concrète et ambitieuse » à mettre en œuvre après les élections allemandes. Où en êtes-vous ?
L’idée de feuille de route me semble avoir été reprise par Angela Merkel et Emmanuel Macron vendredi à l’Elysée. Il y a cependant une contradiction à surmonter : les Etats attendent beaucoup de Paris et Berlin mais en même temps ils les soupçonnent d’hégémonie. Il faut donc un couple franco-allemand inclusif, discutant avec tous, donnant l’impression à chacun qu’il a eu l’idée des initiatives mises sur la table. Il faut aussi sans doute qu’il utilise mieux la Commission, dont le rôle est de faire émerger des propositions d’intérêt général. C’est un exercice d’équilibriste.
Peut-on relancer l’idée des listes transnationales, torpillée par le Parlement européen ?
Pour 2019, il est tard pour modifier les lois électorales des Vingt-Sept. Miser sur 2024 est plus réaliste. Mais ces listes ne sont qu’un ingrédient pour créer un espace public européen. Une éducation civique commune est également nécessaire, de même que la définition d’un enjeu clair pour les élections européennes qui soit de choisir le président de la Commission. Il serait sain que ce dernier soit un « Spitzenkandidat », l’un des chefs de file des partis européens. Il faut aussi sortir des silos nationaux pour développer une expérience démocratique commune.
Il y a une fenêtre d’opportunité pour créer une force rassemblant ceux qui en Europe veulent sortir du dilemme droite-gauche
C’est que vous vous tentez de faire avec Civico.eu ?
Nous voulons profiter des « consultations citoyennes sur l’Europe », auxquelles participeront la quasi-totalité des Etats membres, pour expérimenter une plateforme permanente permettant de consulter et faire débattre les citoyens de manière transnationale. Des universités, des médias, des syndicats, de grandes entreprises, des PME et des startups participeront à cette expérimentation qui est un laboratoire de réinvention démocratique.
Une nouvelle force politique peut-elle, comme en France, émerger lors des élections de 2019 ?
Partout en Occident, les partis traditionnels sont remis en question. Il y a une fenêtre d’opportunité pour créer une force rassemblant ceux qui en Europe veulent sortir du dilemme droite-gauche.
Craignez-vous une progression des partis populistes ?
Elle est possible. Le vrai sujet est l’affaiblissement des chrétiens-démocrates et des sociaux-démocrates qui portent le projet européen depuis 1950. Il complique le processus de refondation de l’Europe. La démocratie, le pluralisme et l’indépendance des médias qui la conditionnent, l’indépendance de la justice, les libertés, n’ont jamais été aussi menacés depuis la chute du mur. En tant que citoyen engagé, j’invite les leaders d’opinion intellectuels mais aussi syndicaux ou entrepreneuriaux à se coaliser d’urgence aux côtés des citoyens pour contrer les forces sapant nos fondamentaux démocratiques partout en Europe. Nous ne pouvons assister les bras ballants à l’effondrement de ce qui a constitué la modernité de nos sociétés.
Comment lutter contre la mafia de l’État islamiste (Franco Roberti)
Comment lutter contre la mafia de l’État islamiste (Franco Roberti)
Franco Roberti, procureur national de la Direction antimafia et antiterrorisme à Rome répond aux questions du JDD.
La Direction antimafia s’occupe depuis cette année d’antiterrorisme. L’État islamique est-il mafieux?
Oui. L’organisation terroriste État islamique a un profil mafieux élevé : pensons seulement au racket que ses hommes exercent dans les territoires qu’ils contrôlent. Sans parler de la contrebande et du trafic de drogue. Le terrorisme est un phénomène de criminalité transnationale qui a beaucoup d’affinités avec la criminalité mafieuse. Avant même l’État islamique, on savait qu’une bonne partie du financement du terrorisme dérivait du pétrole, du trafic de drogue, d’armes et de migrants, de la contrebande de marchandises ou de la traite d’êtres humains. Le blanchiment d’argent alimente également leurs caisses. Une fois cette nouvelle compétence en matière de lutte contre le terrorisme confiée par le législateur, nous avons constitué une section antiterrorisme, en vue d’une coopération internationale et d’échange d’informations, essentiels sur le sujet.
En parlant d’échange d’informations, justement, Salah Abdeslam, principal suspect des attentats de Paris en novembre, est passé par Bari cet été…
Nous avons en effet pu établir ce passage grâce à des informations financières. Il a utilisé des cartes de crédit qui ont été enregistrées entre juillet et août, bien avant les attentats de Paris. Je ne sais pas s’il a été contrôlé en Italie. Il l’a été en France, mais il n’y avait aucune charge contre lui. Il n’était pas connu pour être un islamiste radical. L’Italie a toujours été un pays de transit. Nous sommes habitués à lutter contre des individus qui offrent un support logistique aux entreprises terroristes. C’était déjà le cas lorsque nous avions affaire aux groupes salafistes ou au GIA algérien. Aujourd’hui, la situation a changé avec Internet. Nous devons enquêter sur le Web pour vérifier les traces du financement du terrorisme. Tout cela n’exclut pas que nous devons aussi prévenir des attentats dans notre pays. Pour l’instant, nous y sommes parvenus, grâce aux expulsions ou aux mesures préventives.
La Direction antimafia est impliquée dans la lutte contre le trafic de migrants. Ce trafic serait-il une ressource possible pour l’État islamique?
Nous n’avons pas de preuves formelles que l’État islamique se finance également avec le trafic de migrants. Mais la logique nous conduit à le penser. Le groupe contrôle des pans de territoires de deux pays de provenance des migrants, l’Irak et la Syrie, ainsi que des régions d’un pays de transit et d’embarquement comme la Libye. Il est impensable qu’une organisation de type terroristo-mafieux qui contrôle ces territoires et les activités qui s’y déroulent ne tire pas profit de ces activités. En imposant par exemple des pots-de-vin ou des pourcentages sur les profits illicites.