Influence de la France en Europe –le pays affaibli par sa situation financière
par Maxime Lefebvre
Permanent Affiliate Professor, ESCP Business School dans The Conversation
Les élections européennes n’ont pas été marquées, en France, par des enjeux véritablement européens. Emmanuel Macron a certes essayé, avec son deuxième discours de la Sorbonne, en avril, de focaliser le débat sur de nouvelles propositions de nature à relancer la construction européenne, mais celles-ci n’ont pas intéressé l’opinion. Cela n’est pas sans lien avec le fait que les Français sont, avec quelques autres nationalités (Chypriotes, Slovènes, Tchèques, Grecs), les plus défiants vis-à-vis de l’Union européenne, seulement 34 % d’entre eux ayant confiance dans l’UE, 54 % n’ayant pas confiance.
Les débats entre les têtes de liste des partis européens n’ont pas eu de prise en France, contrairement aux débats télévisés entre les têtes de liste françaises. Les candidats se sont affrontés sur des sujets (l’immigration, le pouvoir d’achat, l’écologie, le nucléaire, l’Ukraine, la Palestine) qui avaient une dimension européenne, mais ils se sont placés d’abord dans une perspective nationale, évoquant souvent l’Europe sur le mode du refus (en critiquant par exemple certaines mesures du « pacte vert », ou encore le marché européen de l’électricité, les accords de libre-échange et le pacte migratoire). Ces débats ont servi de prélude à la campagne, inattendue, des législatives.
Pendant ce temps, au niveau européen, l’élection a débouché sur une poussée contenue des forces nationalistes qui n’a pas empêché la relative stabilité de la coalition pro-européenne (malgré le recul des Verts et des centristes libéraux de « Renaissance »). Ursula von der Leyen a été reconduite à la tête de la Commission européenne, à une majorité plus large qu’en 2019, dans un casting qui fait davantage de place aux petits pays qu’aux grands (le Portugais Antonio Costa à la tête du Conseil européen et l’Estonienne Kaja Kallas comme Haute Représentante), ce qui pose la question du poids de la France dans le système européen.
Une marginalisation institutionnelle ?
La France, qui avait obtenu dans le paquet des nominations de 2019 la présidence de la Banque centrale européenne pour Christine Lagarde, la perdra en 2027 à l’issue de son mandat. La voix forte incarnée par Emmanuel Macron sur la scène européenne depuis 2017 se trouve affaiblie par ses déconvenues politiques internes et la perte de sa majorité relative à l’Assemblée nationale. Des ministres qui ont une expérience éprouvée à Bruxelles, comme Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, pourraient quitter la scène. Le commissaire français au Marché intérieur Thierry Breton a été renouvelé par le président français sans attendre l’avis du nouveau gouvernement, mais le processus de nomination de la nouvelle Commission n’est pas terminé.
Il est symbolique aussi que la France et l’Allemagne n’aient pas réussi, à l’occasion du Conseil européen tenu fin juin, à rouvrir la négociation de l’agenda stratégique européen, déjà approuvé au niveau technique, avant son adoption par les chefs d’État et de gouvernement. Ces demandes de renégociation à la dernière minute sont toujours malvenues et hasardeuses, mais cela montre que Paris et Berlin (qui représentent ensemble le tiers de la population de l’Union et près de la moitié du PIB de la zone euro) ont perdu une certaine capacité de leadership au sein d’une Union pilotée par son système institutionnel dans un cadre atlantique ressoudé par la guerre en Ukraine.
Au total, le sentiment se dégage qu’avec cette séquence électorale le lien s’est davantage défait entre la France et l’UE. Certes, l’influence d’un pays ne se mesure pas uniquement aux plus hauts postes occupés, mais la France, pays dominé par la culture de l’État souverain et centralisateur, a justement toujours un peu négligé l’influence dans les postes moins visibles, dans les cabinets des commissaires, dans l’administration européenne, ou au Parlement européen.
Au Parlement, plus de la moitié des sièges français sont occupés par des partis, à l’extrême gauche mais surtout à l’extrême droite, qui n’appartiennent pas à la coalition pro-européenne (conservateurs, libéraux, sociaux-démocrates, verts) et dont la capacité d’influence sur la négociation des textes et des législations sera limitée. Les deux plus importantes délégations nationales, pesant chacune une trentaine de députés (presque 5 % des sièges), sont la CDU/CSU allemande (un sixième des sièges du Parti populaire européen) et le Rassemblement national (40 % des effectifs du groupe des Patriotes pour l’Europe). Les Républicains (au PPE) et les Verts français, en plus des députés LFI et RN, n’ont pas voulu voter pour Mme von der Leyen, qui n’a été soutenue que par un tiers des députés français (centristes et socialistes).
Les partis conservateurs (PPE) sont déjà au pouvoir dans 11 États membres sur 27 et représentent donc ces pays au Conseil. Si la CDU/CSU, parti dont vient Mme von der Leyen, revenait au pouvoir en Allemagne lors des élections législatives de 2025, comme cela est prévisible, la France pourrait se retrouver dans un système largement influencé par les conservateurs allemands (à la Commission, au Conseil, comme au Parlement européen). Et il lui serait alors d’autant plus difficile de défendre des positions contraires à la politique européenne arrêtée à Bruxelles.
Or, et c’est un autre élément de préoccupation, les positions françaises apparaissent de plus en plus décalées par rapport au barycentre des positions européennes. Ce n’est pas complètement nouveau. La France s’est toujours caractérisée par des positions moins libérales, plus soucieuses de solidarité, porteuses d’une « Europe puissance » sur le plan de la politique étrangère et de la défense.
Jusqu’à un certain point, Emmanuel Macron a réussi à porter ces positions au niveau européen depuis 2017. Ses propositions sur la souveraineté européenne et l’autonomie stratégique se sont traduites par la montée en puissance d’une politique industrielle européenne et par l’adoption d’un plan de relance post-Covid ambitieux, proposé avec l’Allemagne, en 2020.
Le principal point d’achoppement est clairement aujourd’hui celui des finances publiques. Le taux d’endettement public de la France est passé de 60 à 110 % du PIB depuis l’avènement de la monnaie unique, alors que d’autres pays ont réussi à le stabiliser ou à le réduire. La France fait pire que l’Espagne et le Portugal et n’est plus devancée que par la Grèce et l’Italie.
Même si la révision du pacte de stabilité en 2024 (négociée sous influence française) donne une certaine latitude dans les trajectoires de retour à l’équilibre budgétaire, il est inévitable que des mesures rigoureuses soient prises, alors que la France détient déjà le record des prélèvements obligatoires. Paris n’est pas non plus dans une situation où il pourrait monnayer sa ratification d’un accord européen en obtenant, en contrepartie, des mesures ou des plans en faveur de la croissance, comme ce fut le cas en 1997 avec le gouvernement Jospin (pacte de stabilité et de croissance accompagnant le traité d’Amsterdam) et en 2012 avec l’équipe Hollande/Ayrault (pacte pour la croissance accompagnant le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance signé par Sarkozy).
Cette mauvaise posture budgétaire affaiblit nécessairement la crédibilité du discours européen de la France, notamment lorsqu’elle réclame de nouveaux emprunts européens pour des dépenses accrues en faveur de la défense ou des investissements publics, ou lorsqu’elle plaide pour une modification du mandat de la BCE en faveur de la croissance et de la transition écologique.