La France : un pays de sport ?
Et si la France devenait un pays de sport s’interroge Stéphane Collinot dans la Tribune
Pendant ses vacances bretonnes, Marie-George Buffet se délecte en famille des Jeux olympiques, comme des millions de Français. À ceci près qu’entre deux médailles ses réflexes militants la rattrapent. « J’ai envie de lancer une pétition nationale, confie la très respectée ministre de la Jeunesse et des Sports de Lionel Jospin, entre 1997 et 2002. Après avoir vécu ces choses magnifiques, on ne peut pas continuer avec un budget ridicule. Ce que le monde de la culture a obtenu en se mobilisant dans les années 1980, le sport doit le réclamer à son tour : 1% du budget de l’État, et non 0,3% comme aujourd’hui. Il doit se faire entendre par des initiatives et des rassemblements. »
Surfer sur cette vague populaire pour faire du sport un levier puissant de cohésion, de bien-être et de fierté, beaucoup y songent. À commencer par Emmanuel Macron, qui a décrété l’activité physique et sportive grande cause nationale en 2024, et par la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, qui promeut trente minutes d’activité physique quotidienne. Ce match n’est pas gagné. Même les idoles de cet été enchanté sont sceptiques. À peine avaient-ils épongé leur sueur et quitté des Arena en feu que Teddy Riner et Florent Manaudou rafraîchissaient l’atmosphère. « La France n’est pas un pays de sport », ont-ils asséné tour à tour, rejoints par Marie-José Pérec et Yannick Noah.
Persuadé que les médailles et l’engouement de la quinzaine reposent souvent sur le sable d’exploits individuels, Florent Manaudou s’inquiète pour le haut et le bas de la pyramide sportive. Il s’interroge sur la pérennisation des aides accordées depuis trois ans aux athlètes de haut niveau et se désole de l’état de nos installations sportives. Qu’il compare à la qualité époustouflante des gymnases ou piscines universitaires aux États-Unis. « La moitié de nos équipements a plus de trente ans », confirme Guillaume Dietsch, enseignant agrégé, coauteur d’Une histoire politique de l’EPS (De Boeck).
Amélie Oudéa-Castéra fait valoir que près de 1 milliard d’euros a été investi en deux quinquennats et que 5 000 équipements de proximité sont en train de sortir de terre. « C’est peu, et on parle de beaucoup d’espaces publics sportifs, comme des city stades, des skateparks, recadre Guillaume Dietsch. C’est très bien, mais ça ne bénéficiera pas aux gens éloignés du sport si on n’y met pas d’éducateurs. » Il en faudra d’autres dans les clubs pour accueillir à la rentrée les foules inspirées par le pongiste Félix Lebrun, la vététiste Pauline Ferrand-Prévot ou encore le nageur Léon Marchand.
Comment les attirer ? Dans son rapport « Pour un sport plus démocratique, plus éthique et plus protecteur », coécrit avec l’ancien athlète Stéphane Diagana, Marie- George Buffet a préconisé des mesures pour faire basculer le mouvement sportif dans une autre ère. « Un bénévole pourrait bénéficier d’une décharge en entreprise, ou d’une indemnité financée par les moyens publics, qui compterait pour sa retraite », suggère-t-elle.
Encore faudrait-il que le sport, absent des derniers débats électoraux, suscite l’intérêt de la classe politique. « À l’Assemblée, quand on se retrouvait avec les référents sports des différents partis, se souvient Marie-George Buffet, on rigolait parce que personne ne voulait notre place, alors que tout le monde avait un avis sur la culture. »
On doit réclamer 1% du budget de l’État, et non 0,3% comme aujourd’hui
L’ancienne ministre des Sports Marie-George Buffet
Nombre de députés ont également des idées sur l’Éducation nationale. Où le sport n’a rien d’une priorité. « Il n’y a que deux heures hebdomadaires d’EPS au lycée », s’est encore étranglé Florent Manaudou. « C’est même une heure vingt en moyenne, à cause des temps de transport vers les installations, et ce à l’âge précis où il y a le plus d’abandon de la pratique », regrette Guillaume Dietsch, tout en jugeant que la bataille se perd bien plus tôt, dès la maternelle : « Quand on emmène un enfant de 3 ans vers le sport, on développe l’apprentissage par le corps, des compétences cognitives et psychosociales. On pourrait lutter contre les inégalités, transformer les mentalités et construire un pays de sport, alors qu’aujourd’hui la France n’est qu’un pays de sportifs. »
L’enseignant plaide pour un sport mixte et intergénérationnel, qu’il ne constate pas sur les playgrounds de basket et autres terrains de jeu. Ce qu’ont su faire certains pays du nord de l’Europe et anglo-saxons. Cofondateur de l’agence OverBoarder, qui place des sportifs européens dans des universités américaines, Benoit Matival constate qu’outre-Atlantique le sport est central dans les réunions de parents. « Ça développe une culture, y compris pour aller supporter le club local, souligne-t-il. Et ça amène une vision différente des sportifs, très valorisés dans le monde de l’entreprise. »
Malgré des progrès notables, le regard des Français sur la pratique physique reste à améliorer. « Depuis Descartes, on a séparé l’esprit et le corps, qui est dévalorisé, rappelle Béatrice Barbusse, sociologue, vice-présidente de la Fédération française de handball. Tout sportif de haut niveau a vécu ce dénigrement. À Normale sup, je ne disais pas que je l’étais. Pourtant, faire des choix en un centième de seconde, c’est de l’intelligence. »
Pour certains universitaires, le système est néanmoins loin d’être à jeter. « Certaines formulations m’agacent prodigieusement, car la France est déjà une grande nation sportive », a déclaré l’historien Patrick Clastres dans le magazine de l’Ufolep, première fédération sportive multisports. Il en veut pour preuve les « 16 millions de licenciés, et autant de pratiquants autonomes ». Il précise également que « pour ce qui est des médailles, le chercheur libanais Nadim Nassif a montré que, rapporté à sa population, la France se situait au deuxième rang mondial derrière les États-Unis » tous sports confondus (olympiques et non olympiques).
Le parallèle avec l’Inde, 1,4 milliard d’habitants et cinq médailles à Paris (64e place), invite à relativiser l’autoflagellation, cette discipline que l’Hexagone pourrait survoler si elle était olympique. Mais d’autres questions affleurent alors que le top 5, l’objectif assigné, est en vue. Pourquoi la France est-elle absente de la discipline reine, l’athlétisme ? Pourquoi les Australiens, les Néerlandais ou les Norvégiens nous dominent-ils au classement par PIB ou par population ? « Le regard sur le sport peut changer, mais ça prendra du temps car il est ancré dans notre culture, émet Béatrice Barbusse. Ces JO peuvent y participer. Si des moyens sont mis, le sport sera progressivement replacé dans le champ normal des activités. »
Stéphane Colineau