Saga Bettencourt, le Dallas français
Il n’y a que les américains pour faire des sagas type Dallas ; en France, on a Bettencourt, (aussi l’affaire Tapie, elle aussi assez gratinée) avec l’argent, les liaisons dangereuses finances-politique, la lutte familiale intestine, les relations troubles entre un intrigant et la riche héritière, les magouilles politiciennes, l’armée d’avocats et de juridictions concernée. Un beau scenario commencé il y a plusieurs années et qui peut encore durer au moins autant grâce aux délices procéduriers de notre justice de pays très riche. Dernier épisode (attention il ne faut pas en manquer un pour comprendre): la Cour d’appel de Bordeaux dira le 24 septembre si elle fait droit aux demandes des avocats de l’affaire Bettencourt, dont celui de Nicolas Sarkozy, déterminés à faire annuler une expertise médicale clef, que le parquet général a cependant jugée valable mardi. L’avocat général Pierre Nalbert a estimé pour sa part, de sources concordantes, que cet examen médical de l’héritière de L’Oréal Liliale Bettencourt, le 7 juin 2011, était juridiquement valable. Reprenant le terme de « passage en force » , évoqué par certains avocats pour décrire les conditions de l’expertise, il a estimé que, si passage en force il y avait eu, il était justifié par l’urgence et la difficulté de faire procéder à une expertise médicale de la milliardaire. L’audience de mardi, à huis clos et destinée à examiner les éventuelles nullités de procédure de l’affaire, était l’occasion, pour les 12 mis en examen du volet de l’enquête Bettencourt consacré aux éventuels abus de faiblesse commis à son égard, d’attaquer l’instruction menée par les juges Cécile Ramonatxo, Valérie Noël, et surtout Jean-Michel Gentil. Un déluge de critiques s’est abattu sur ce dernier et en particulier sur ses choix en relation avec l’expertise conduite au domicile de Mme Bettencourt par cinq experts, sous sa direction. L’expertise conclut en effet que la nonagénaire est en état de faiblesse depuis septembre 2006, date englobant notamment la campagne électorale de M. Sarkozy en 2007, au cours de laquelle les juges soupçonnent celui-ci et son ex-trésorier de campagne, l’ancien ministre Eric Woerth, d’avoir obtenu indûment des fonds de la milliardaire. Depuis plus d’un mois, fleurissent dans la presse des révélations de nature à jeter un doute sur l’impartialité du juge Gentil. Non seulement Sophie Gromb, médecin légiste du CHU de Bordeaux qui a participé à l’expertise et en a fait la synthèse, était le témoin de mariage de Mme Gentil en 2007, mais encore M. Gentil aurait produit ce qui s’apparente à « un faux », selon plusieurs avocats. Afin d’emmener pour l’expertise deux neurologues de son choix ne figurant pas sur la liste des experts de la Cour d’appel, il a prétendu que l’experte y figurant n’était pas disponible, alors qu’il ne l’avait jamais consultée. Me Thierry Herzog, l’avocat de Nicolas Sarkozy, aurait tenté de démontrer dans sa plaidoirie l’utilisation par le juge de tous les moyens, y compris des « manoeuvres frauduleuses », pour parvenir à ses fins : prendre dans la nasse judiciaire l’ex-président de la République. En tout l’audience a duré 11 heures, « ce qui montre que le débat a été sérieux », a observé l’ancien bâtonnier de Paris, Me Francis Teitgen, avocat de l’entrepreneur Stéphane Courbit. Les avocats ont aussi déposé mardi auprès du président de la chambre de l’instruction une demande de suspension de celle-ci jusqu’au prononcé de l’arrêt sur les nullités de procédure. Ce magistrat y répondra dans les prochains jours. Les défenseurs craignent que les juges d’instruction, qui ont la possibilité à partir du 29 juillet de rendre leur ordonnance de règlement -c’est-à dire décider qui doit être en définitive jugé et qui doit bénéficier d’un non-lieu- n’attendent pas l’arrêt du 24 septembre pour le faire. »Il n’est pas pensable sérieusement que le dossier soit (réglé) par un juge d’instruction avant que la chambre de l’instruction n’ait statué sur le problème des nullités (…) même si aucun texte ne l’impose », a tempéré pour sa part Me Benoît Ducos Ader, avocat des parties civiles. Le parquet de Bordeaux a requis vendredi six non-lieux dans ce dossier, au bénéfice notamment de MM. Sarkozy, Woerth et Courbit. Il a requis le renvoi de l’artiste ami de la milliardaire, François-Marie Banier, ou de l’homme de confiance de celle-ci, Patrice de Maistre. La guerilla judiciaire contre l’instruction de M. Gentil, qui a pris un tour très « dynamique », selon un avocat, depuis que Nicolas Sarkozy a été mis en examen le 21 mars, n’est pas forcément terminée. Faute d’avoir obtenu en juin un dessaisissement des juges auprès de la Cour de cassation, les avocats peuvent encore dégainer une demande de récusation, à déposer auprès de la Première présidente de la Cour d’appel. Une autre arme possible, évoquée du bout des lèvres par certains, serait le lancement d’une plainte pour faux en écriture publique visant M. Gentil pour l’affaire de la commission des experts neurologues.