Santé-former les médecins spécialistes africains……en Afrique
Stéphan Bretones, du centre hospitalier Saint-Joseph-Saint-Luc de Lyon, et Kora Tushune, de l’université éthiopienne de Jimma, appellent à repenser les projets de collaboration Nord-Sud.
Tribune.
Les collaborations Nord-Sud en médecine ne sont pas cantonnées aux missions humanitaires sur fond de guerre ou de catastrophes naturelles. Des échanges féconds existent de longue date dans le domaine de l’enseignement. En Afrique, il existe des universités de médecine dans la plupart des pays. On y forme des généralistes et des spécialistes, et si toutes les spécialités ne sont pas enseignées dans tous les établissements, elles sont accessibles ailleurs sur le continent, pour peu que l’on soit disposé à voyager.
Il en va différemment des surspécialités, qui concernent soit des compétences très pointues, soit des spécialités d’un seul organe à l’intérieur d’une même spécialité. Leur enseignement s’organise depuis de nombreuses années dans les systèmes de santé du Nord, mais manque cruellement au Sud. Il arrive donc que des universités africaines fassent appel à des homologues occidentaux pour des cours, des présentations ou des démonstrations opératoires, mais, le plus souvent, ces formations ont lieu en Europe ou aux Etats-Unis. Des déplacements qui sont coûteux pour les intéressés et peu rentables.
D’abord parce que beaucoup d’étudiants finissent par rester à l’étranger pour pallier les pénuries locales de personnel, ce qui prive les Etats africains d’enseignants dont les Etats ont besoin pour que leurs systèmes de santé évoluent. Ensuite parce que les médecins africains formés en Occident ne disposent pas toujours, dans leur pays d’origine, des technologies qu’ils ont appris à utiliser au Nord, ce qui peut poser problème dans leur pratique.
Nous pensons qu’il est préférable et surtout plus utile de former les futurs spécialistes africains en Afrique. Pour y parvenir, des projets de collaboration Nord-Sud respectueux de chacun et qui fonctionnent dans la durée sont possibles, comme en témoigne le partenariat entre le centre hospitalier Saint-Joseph-Saint-Luc de Lyon, les Hospices civils de Lyon et l’université de Jimma, en Ethiopie.
C’est l’université qui a sollicité, en 2016, l’équipe lyonnaise pour mettre en place une formation d’urogynécologie. Cette équipe, comprenant un professeur des universités et deux chirurgiens gynécologues, s’est engagée à assurer une formation sur place une semaine tous les deux mois pendant deux ans. Ces trois gynécologues ont permis d’assurer une formation théorique et pratique qui s’est soldée par une remise de diplômes d’urogynécologie de l’université de Jimma à cinq gynécologues obstétriciens éthiopiens.
Depuis, deux promotions ont été formées par les diplômés et une troisième est en cours. Aujourd’hui, le projet s’étend dans le pays puisqu’un nouvel enseignement d’urogynécologie s’ouvre prochainement dans la capitale, Addis-Abeba. Ce succès est lié en grande partie à l’engagement des acteurs locaux, mais aussi à l’entente entre les membres des équipes du Nord et du Sud. D’autres formations sont en cours à Jimma selon le même modèle. Chacun de ces enseignements fait suite à une demande de l’équipe médicale locale appuyée par l’université de Jimma.
Pour tous ces projets, il est important de souligner que l’université et son vice-président se sont engagés au niveau financier. Cela leur a permis de rester maîtres à bord et d’avoir un certain degré d’exigence sur le déroulement des formations. Trop de projets de collaboration dans le domaine de la santé prennent fin quand les fonds se tarissent. L’engagement des Etats africains et de leurs universités dans le financement de surspécialités est donc un point à ne pas négliger dans le futur.
Si la collaboration entre Lyon et Jimma a été fructueuse, c’est aussi parce que les équipes occidentales se sont impliquées sur le long terme, avec des professionnels aux profils variés. L’enseignement universitaire diplômant requiert bien évidemment le concours de professeurs d’universités pour assurer la partie théorique. Mais la formation des spécialistes passe aussi par le compagnonnage et l’apprentissage auprès des pairs. Dans les hôpitaux du Nord, c’est auprès de praticiens hospitaliers des services publics et privés que les futurs spécialistes sont formés.
Les universitaires sont peu nombreux et souvent trop occupés pour pouvoir s’engager seuls dans des programmes de formation à l’étranger. Les médecins non universitaires sont beaucoup plus nombreux, parfois plus jeunes, et souvent très motivés pour donner de leur temps dans des projets de partage de compétences. La mobilité des étudiants et de leurs professeurs français a permis de combiner de manière équilibrée l’observation au Nord avec une formation pratique et concrète au Sud. Ce point est important pour optimiser l’apprentissage, car la seule observation, tel que c’est le cas pour la plupart des médecins africains lorsqu’ils viennent apprendre une surspécialité au Nord, ne donne pas les compétences requises et forme les résidents en dehors du contexte dans lequel ils travaillent.
Si la France veut jouer un rôle dans le transfert de compétences du Nord vers le Sud, il faudrait dès à présent mettre en commun les forces vives du ministère de la santé et du ministère de l’enseignement supérieur, en collaboration avec le ministère des affaires étrangères, afin de construire les enseignements diplômants souhaités par les pays du Sud. Il faut pouvoir utiliser les compétences et envies de chacun pour permettre la formation de ceux qui donneront au pays ses spécialistes et surspécialistes.