Afrique: repenser la formation ?
Francis Akindes sociologue en Côte d’Ivoire interroge le contenu de la formation en Afrique de l’Ouest jugée inadaptée notamment aux besoins de l’économie dans( l’Opinion). Un problème qui n’est pas spécifique à l’Afrique mais qui concerne tout autant des pays comme la France.
En outre contrairement à la France, nombre de pays d’Afrique de l’Ouest ont conservé un solide système de formation élémentaire ( et avec des classes parfois dans le public de 50 à 60 élèves quand en France on ne parvient pas à maîtriser une classe de 25!). La situation commence à se dégrader en secondaire et surtout en supérieur où les enseignants sont rémunérés de manière dérisoire. Certes la formation mérite d’être repensée pour tenir compte des évolutions structurelles de notre économie et de notre société mais l’autre problème est celui de l’offre d’emploi significative pour éviter la fuite des qualifications et des cerveaux. NDLR
Tribune
. L’Afrique compte aujourd’hui 400 millions de jeunes âgés de 15 à 35 ans, soit 33 % de la population – une classe d’âge en quête d’opportunités, mais frappée par un taux de chômage important. Comment créer des emplois et les opportunités d’accès à ces emplois si, dans le même temps, l’on ne trouve guère de solution au nœud gordien de l’inadéquation entre l’offre d’éducation et les besoins du marché du travail ?
La transformation radicale du système éducatif reste l’un des plus grands défis des Etats en Afrique de l’Ouest. Pourquoi ? Avec, à l’horizon 2050, une population de 2,5 milliards d’habitants, soit un quart de la population mondiale, et actuellement une population composée de plus de 400 millions de jeunes âgés de 15 à 35 ans, soit 33 % de la population du continent, l’Afrique dispose théoriquement d’un important atout : la jeunesse de sa population.
Selon l’Organisation internationale du travail, la part active de cette population jeune en Afrique augmente rapidement. Si en 2020, les jeunes âgés de 15 à 24 ans représentaient moins d’un quart (24 %) de la population mondiale en âge de travailler, ils comptaient pour plus d’un tiers (34 %) en Afrique. Mais, au lieu d’être vue comme une ressource, cette tranche d’âge est plutôt redoutée sur le continent et perçue comme une source de risque politique, en raison du fort taux de chômage qui la frappe. En Afrique du Sud, l’actualité nous apprend ainsi qu’un taux record de 66 % des 15-24 ans cherchent un emploi…
Des croissances non inclusives. La tendance du chômage ne s’inversera pas si rien n’est fait pour la corriger. Car l’on projette d’ici à 2030, l’arrivée chaque année de 30 millions de jeunes Africains sur le marché du travail. Comment transformer cette ressource en capital humain et en faire une part active de l’émergence tant attendue ? Or, la Banque africaine de développement relève depuis quelques années, un paradoxe saisissant : celui de la performance améliorée des pays africains en termes de croissance économique (5-9 %), mais sans création d’emplois.
L’inefficacité relative des systèmes de formation. Dans les agences de développement, les débats sur la croissance « inclusive » et le dividende démographique vont bon train. Comme l’illustre une étude de l’Unesco de 2011, un consensus semble se dégager sur l’inefficacité relative des systèmes éducatifs et de formation. Ceux-ci peinent à transformer le potentiel démographique en capital humain. En découle la contradiction suivante : les systèmes éducatifs forment des personnes dont le marché du travail n’a pas besoin, tandis que le marché du travail a des besoins de compétences auxquels les systèmes éducatifs ne forment pas.
Alors que l’Union africaine propose une stratégie continentale pour l’enseignement et la formation techniques et professionnels en faveur de l’emploi des jeunes, des pistes viennent de politiques nationales, comme au Bénin et en Côte d’Ivoire.
Le Bénin en fait une priorité nationale. Le Bénin illustre le problème de la surqualification, et une volonté politique forte de s’attaquer à la question. Le pays doit en effet insérer 39 % de chômeurs (25-34 ans) et gérer 75 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, avec un risque de doublement de cet effectif à l’horizon 2025. Il lui faut également corriger la tendance notée chez les élèves à s’orienter plutôt vers l’enseignement général que technique (respectivement 97 % contre seulement 3 %). L’on comprend aisément qu’un tel déséquilibre soit à la source de distorsions structurelles sur le marché du travail.
Les autorités tentent de relever le défi à travers un plan sectoriel pour l’éducation post-2015 et une « stratégie nationale de l’enseignement technique et la formation professionnelle ». Pour le gouvernement mené par le président Patrice Talon, à l’échéance 2026, l’objectif est de relever le niveau en mettant en place des formations adaptées au marché du travail, en concertation avec les acteurs économiques. Pour ce faire, un investissement important a été consenti pour créer et équiper 47 lycées techniques dans les secteurs de l’agriculture (en particulier du coton), l’énergie, le numérique, les infrastructures, les transports et le tourisme ainsi que sept écoles de référence dans l’énergie, le numérique, le BTP, l’automobile, l’eau, le bois, l’aluminium et le tourisme.
Formations de masse en Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire, toujours en Afrique de l’Ouest, a de son côté lancé des écoles « de la seconde chance » et appuie les formations qualifiées dans la filière des énergies renouvelables. Entre 350 000 et 400 000 jeunes rejoignent chaque année la population en âge de travailler. Face aux contraintes de chômage presque identiques à celles du Bénin, le gouvernement a mis en place le programme dénommé « Une Côte d’Ivoire solidaire pour l’insertion et l’autonomisation des jeunes ». Sept établissements de formation professionnelle répartis sur l’étendue du territoire sont en construction.
Un programme « Ecole de la deuxième chance » cherche à reconvertir certains diplômés sans emploi, accompagner les jeunes sans diplôme ou qualification dans des métiers à visée d’insertion rapide. Un tel programme de formation de masse vise à l’horizon 2030 à traiter un stock de 1 million de personnes sans emploi ou mal insérées.
Aussi, depuis la crise sociopolitique de 2010, la relance appelle d’importantes transformations, notamment dans l’énergie. Le gouvernement a opté pour un mix énergétique composé à 40 % de renouvelables, dont au moins 6 % d’énergie solaire à l’horizon 2030. Ces choix engendrent un besoin de main-d’œuvre qualifiée. Ce à quoi l’Etat tente de répondre à travers des partenariats internationaux, comme le système de double diplôme entre l’Institut National Polytechnique Félix Houphouët-Boigny et l’Université Sorbonne Paris Nord dans le domaine de la gestion durable des déchets.
Ces efforts reflètent certes une conscience politique des efforts à consentir, mais ne doivent pas se limiter à l’accélération des formations professionnelles. Les capacités d’insertion se démultiplieront si et seulement si elles intègrent au primaire et secondaire une culture de créativité, de l’innovation et de l’initiative entrepreneuriale, avec ce que cela appelle comme compétences en matière de maîtrise du digital. Car l’école d’aujourd’hui en Afrique ne peut plus ressembler à celle d’hier, si elle veut être l’incubatrice des jeunes acteurs inventifs apportant des solutions aux besoins de leur société.
Francis Akindes est sociologue. Il enseigne à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké en Côte d’Ivoire.