Forces et faiblesses de l’Europe
Depuis 20 ans, l’euro reste une avancée stratégique inachevée et fragile. Les travaux du Prix Nobel Robert Mundell sur les zones monétaires optimales (1999) en souligne les faiblesses. Il ne peut y avoir durablement de monnaie sans gouvernement unique, ou tout au moins sans une Union de transferts permettant de redistribuer du capital au profit des pays les moins compétitifs de l’Union monétaire. Par Maxime Maury et Jean-François Verdié, Professeurs, TBS Education. (dans la Tribune)
Par ailleurs, l’Union bancaire n’est pas achevée (assurance des dépôts incomplète) et il n’y a toujours pas d’Union de financement de l’investissement et de l’innovation avec émission de titres de dette et d’épargne communs. Pas de mutualisation significative des dettes publiques non plus.
Voici, en dépit d’une utilisation internationale importante de l’euro, la véritable faiblesse de la monnaie européenne par rapport au dollar. Son marché n’a pas la profondeur ni la liquidité des titres en dollars.
Enfin la monnaie unique n’est toujours pas adossée à une fiscalité commune ni à des régimes sociaux partagés.
C’est dans ce contexte de fragilité constitutive que cinq événements récents viennent reposer la question de la pérennité de l’euro :
- l’abandon, en 2020, du Pacte de stabilité qui régissait les normes budgétaires indispensables à la poursuite de l’Union monétaire ;
- la réapparition de spreads importants sur les taux d’intérêt long terme (250 points de base entre l’Allemagne et l’Italie) ;
- la chute de l’euro tombé à son plus bas niveau depuis 20 ans face au dollar;
- la démission du président du Conseil italien engagé dans la concrétisation du plan européen de juillet 2020 qui doit transférer 200 milliards de capital à l’Italie par endettement européen mutualisé ;
- enfin la divergence des trajectoires d’endettement entre la France dépensière et la vertueuse Allemagne.
Les risques de cette situation, à la veille d’une possible récession mondiale, suggèrent deux chantiers aussi difficiles qu’urgents pour renforcer l’euro :
- la réussite des outils « anti-fragmentation » de la BCE pour éviter une nouvelle crise de l’euro; ou pour le dire autrement, la compatibilité de ces outils avec le resserrement d’une politique monétaire enfin anti-inflationniste ;
- la refondation du Pacte de stabilité européen qui doit faire appel à une véritable innovation conceptuelle ;
- les compléments nécessaires de la fragile architecture de la monnaie unique.
L’ensemble plaide en faveur d’une évolution plus fédérale de l’Europe, mais le mot est frappé en France d’un tabou et d’une profonde incompréhension.
Les mesures annoncées par la BCE récemment reprennent celles lancées par Mario Draghi en 2012. Si les taux d’intérêt divergeaient sans raisons légitimes, la BCE interviendrait pour racheter des titres de dettes mais à condition que le pays aidé respecte les règles européennes.
Cela pose deux problèmes opérationnels :
- le nécessaire sang-froid de la BCE qui ne doit pas pour autant renier le resserrement de sa politique monétaire ni encourager les dérives budgétaires ;
- l’indispensable refondation du Pacte de stabilité évanoui en 2020 pour compléter le policy mix. La BCE disposera en outre d’une marge de manœuvre pour réinvestir dans des titres italiens (ou français) les montants échus de dettes allemandes afin de réduire les primes de risque sur les pays faibles.
La refondation du Pacte de stabilité européen, abandonné en 2020, a été reportée en 2023. Cette procrastination découle de la difficulté à accorder les pays du nord et ceux du sud.
Le président français et l’ancien président du Conseil italien ont suggéré de concert que les dépenses d’investissement soient exclues des critères budgétaires (le plafond des 3% de déficit sur PIB).
Il faut maintenant concilier dans une synthèse intelligente trois exigences contradictoires :
- la volonté des pays dits « frugaux » de voir les pays du sud respecter enfin la même norme budgétaire qu’eux ;
- la nécessité d’accélérer les investissements de transition énergétique, de défense, d’éducation et de santé au profit de tous ;
- celle aussi de créer une zone monétaire optimale (au sens de Mundell) en poursuivant les transferts en capital au profit des pays les moins compétitifs.
La meilleure façon de faire serait de confier à l’échelon européen la fixation et le financement de l’effort d’investissement de tous. Et de rétablir pour les dépenses courantes les critères de Maastricht (déficit courant, déficit structurel, endettement).
Parallèlement, pour soutenir l’effort d’investissement commun, la dette Covid qui est inscrite à hauteur des 3/4 dans les comptes de la BCE serait rachetée par le Mécanisme Européen de Stabilité créé en 2012, mutualisée et amortie sur 30 ans.
Ce serait l’embryon d’une Union fédérale.
Le cercle de l’euro est proche de celui de l’Union européenne (27 pays) dont les membres ont tous vocation à rejoindre tôt ou tard l’Union monétaire. La règle paralysante de l’unanimité doit céder désormais à une règle de la majorité qualifiée.
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(*) Dr Maxime Maury, Officier des Palmes académiques, Professeur affilié à TBS Education, Ancien Directeur régional de la Banque de France et Dr. Jean-François Verdie, Professor - Economics and Finance, Associate Dean for Executive Education, Head of MSc Banking and international finance, TBS Education.