Immobilier- la crise du foncier
Comme nombre d’élus franciliens, j’hérite aujourd’hui d’une ville très majoritairement bâtie avec plus de 90% des fonciers construits. Le ZAN (Zéro Artificialisation Nette), nous le pratiquons depuis des années, bien avant qu’il ne fasse loi. Nous agissons au travers d’opérations sur les terrains à requalifier dans le respect de l’insertion urbaine et de la qualité architecturale. Mais ces opérations ne suffiront pas à répondre à l’ensemble des besoins.
par Julien Chambon, Maire de Houilles dans la Tribune
Au-delà de la crise conjoncturelle, la crise du logement dans les zones tendues restera avant tout une crise du foncier.
À cet égard, je ne peux que constater le manque d’outils dont nous disposons face à la réalité de nos territoires. Les modèles de production, encore trop largement tournés vers la construction neuve, reposent bien souvent sur des objectifs de volume, de densité et de rentabilité par opération, souvent incompatibles avec la nature de nos tissus urbains.
Démolir pour densifier encore et toujours plus ne peut être une solution soutenable. Une telle logique fait l’objet d’un rejet croissant de la part de nos concitoyens. Je ne peux non plus accepter de voir nos quartiers pavillonnaires être grignotés par des opérations immobilières hors échelle. Ils sont des atouts essentiels à préserver face aux changements climatiques, grâce à leurs nombreux jardins et la biodiversité qu’ils abritent. Par ailleurs, il peut exister d’autres moyens de réaliser de la densité tout en préservant le caractère humain et pavillonnaire des quartiers.
Pour produire les logements de demain, nous devons donc sortir des sentiers battus : réhabiliter, transformer, surélever, optimiser le « déjà-là ». Le tout dans le respect et la préservation de notre cadre de vie et de nos espaces verts. Il s’agit désormais de rentrer dans l’ère de « l’urbanisme de dentelle et de transformation ».
La profession des promoteurs est de manière générale très en retard sur ce sujet et n’a pas pris le virage puisqu’elle reste concentrée sur la construction et non sur la réhabilitation. Or, la réhabilitation est plus complexe et demande une mutation des métiers ainsi qu’un changement de modèle économique pour des opérations à taille plus humaine. Nous devons accélérer cette transition.
Si les Maires sont évidemment en première ligne, nous ne pourrons pleinement déployer cette transformation sans le concours de l’État et l’aménagement d’un cadre législatif, fiscal et réglementaire. Les aides fiscales ont, par exemple, été trop orientées sur la construction neuve, servant ainsi l’activité économique d’un système productif, mais sans faire baisser les prix. Au contraire, le prix du foncier que j’évoquais plus haut s’est accru en raison, notamment, des aides solvabilisatrices à court terme, mais inflationnistes à long terme. Il est urgent de réformer ce cadre, car tout un système économique en a profité, au détriment du caractère abordable du logement.
Il en va par exemple du PTZ dans l’ancien, aujourd’hui non éligible dans des communes comme celle de Houilles. Or l’immense majorité des constructions de demain existe déjà. Une telle exclusion est en décalage avec la réalité de nos territoires. Il faut ouvrir les aides conditionnées à la réhabilitation dans les zones tendues. Plus largement, cette inadéquation du zonage des aides par rapport aux besoins illustre les effets d’une politique trop centralisée. La décentralisation doit faire partie des priorités de réforme du secteur.
Autre idée dans le cadre du triptyque « Rénover, adapter, créer ». Avec près d’un propriétaire sur deux âgé de plus de 55 ans, les quartiers pavillonnaires sont sujets à un fort phénomène de vieillissement et de décohabitation. Soutenir la mobilité résidentielle est une part de la solution afin de libérer de grands logements pour de jeunes familles. Mais permettre aux habitants, attachés à leur quartier de rester chez eux, est aussi nécessaire. En ce sens, engager des travaux de rénovation, notamment énergétiques, et d’adaptation, doit pouvoir être l’occasion, pour ceux qui le souhaitent, de reconfigurer leur propriété en y ajoutant par exemple un logement destiné à de jeunes ménages dans le respect des règles d’urbanisme en vigueur. Une telle disposition permettrait en outre de diminuer, voire d’annuler le reste à charge par l’apport des nouvelles recettes issues des logements créés. C’est le cas également des copropriétés, pour lesquelles les possibilités d’optimisation et de surélévation sont nombreuses. Il faut réorienter les aides vers ce type de démarches.
Enfin, la fiscalité de l’aménagement s’avère inadaptée. La taxe d’aménagement est encore exclusivement indexée à la création de surfaces neuves. Elle exclut ainsi les projets de création de logements dans des enveloppes existantes, ce qui n’apporte aucune contribution à la collectivité pour financer ses équipements publics. Nous devons également repenser l’assiette de la fiscalité pour les adapter à ces nouveaux enjeux.
Pour résoudre la crise latente du logement, il nous faut inventer de nouvelles manières de produire. Il ne s’agit pas d’avoir une vision purement quantitative de la production de logements. Ce qui importe, c’est la production de logements abordables, de qualité, énergétiquement sobres et adaptés aux usages d’aujourd’hui pour les populations qui font vivre la ville.
Des Maires sont prêts à relever le défi. À l’État de nous donner les moyens de nos ambitions.